Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Guerre au Liban

Israël prétend redessiner par la guerre le Proche-Orient

Israël poursuit sans relâche ses bombardements sur le Liban, assortis de tentatives d’« incursions » terrestres, selon la formule consacrée. Ses attaques contre le Hezbollah dépassent très largement l’objectif officiellement avancé : permettre le retour des habitants du nord du pays. En décapitant la direction de l’organisation et en assassinant son secrétaire général Hassan Nasrallah, le premier ministre israélien veut affaiblir l’Iran et cherche à reconfigurer toute la région.

Tiré d’Orient XXI.

La décision israélienne d’éradiquer le leadership du Hezbollah constitue évidemment une tentative de déconnecter les fronts soutenus par le régime iranien contre Israël. Il s’agit d’affaiblir Téhéran et ses mandataires en imposant un nouveau statu quo régional favorable avant qu’une nouvelle administration américaine ne prenne le relais en janvier prochain. Cependant, cette stratégie déclenche des risques de conflit régional qui pourraient finalement dompter le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.

Le 27 septembre 2024, des avions de combat israéliens ont envoyé 85 bombes anti-bunkers sur une réunion souterraine dans la banlieue sud de Beyrouth, entraînant la mort du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Le 4 octobre, ils ont également largué 73 tonnes de bombes sur l’héritier présomptif et cousin maternel de Nasrallah, Hashem Safieldine ; rien n’indique, pour l’instant, qu’il a survécu à cet assassinat.

Cette offensive de choc et d’effroi a brièvement paralysé les capacités du Hezbollah. La percée humaine et technologique dans les rangs du régime iranien puis du Hezbollah est sans précédent. Avec l’aide de l’administration américaine, Israël a pu non seulement dominer l’espace aérien, mais aussi s’appuyer sur les développements de l’intelligence artificielle pour assassiner des dirigeants de haut niveau à Téhéran et de ses mandataires au Moyen-Orient.

La politique du Hezbollah de lier le front libanais à celui de Gaza est difficile à préserver compte tenu de la pression militaire israélienne et de la pression diplomatique américaine. L’offensive israélienne, qui a débuté le 17 septembre avec l’explosion des bipeurs et des talkies-walkies, a bouleversé la structure du Hezbollah, qui n’est plus en mesure de riposter de manière proportionnée.

L’organisation avait parié sur le fait qu’Israël n’ouvrirait pas un nouveau front. Cependant, l’absence de riposte de la part du régime iranien et du Hezbollah aux assassinats perpétrés par Tel-Aviv depuis des années a encouragé le premier ministre Nétanyahou. En effet, Téhéran a donné l’impression de ne plus être en mesure de protéger ses alliés après l’assassinat du chef du Hamas Ismail Haniyeh lors d’une visite à Téhéran le 31 juillet 2024, puis celui de Nasrallah.

La centralité du rôle de ce dernier dans l’« axe de la résistance » a cependant poussé le régime iranien à réagir. Téhéran a lancé le 1er octobre plus de 180 missiles balistiques sur Israël sans causer de dommages stratégiques significatifs significatifs tandis que les Brigades Al-Qassam, aile militaire du Hamas, ont recommencé à lancer des roquettes sur Tel-Aviv ainsi que des attaques individuelles à l’intérieur d’Israël. Le Hezbollah a réussi à tuer au moins 20 soldats israéliens qui tentaient une incursion au Liban, pendant que les groupes chiites soutenus par l’Iran en Irak et les Houthis au Yémen ont intensifié leurs propres attaques. L’idée d’une unité des fronts contre Israël est devenue une réalité, alors que le régime iranien tente de rétablir un certain équilibre dans la dynamique de dissuasion avec Israël..

L’héritage mitigé de Nasrallah

L’assassinat de Nasrallah ne doit pas être sous-estimé. Il va avoir un impact à long terme sur le Hezbollah et la dynamique régionale. L’aura du dirigeant parmi ses partisans fait écho à la doctrine du martyr dans la conscience collective chiite, de sorte que son mythe survivra à sa mort. Toutefois, sa trajectoire en tant que secrétaire général du Hezbollah pendant 32 ans a été complexe. Du milieu des années 1990 au retrait israélien du Liban en mai 2000, il est apparu comme un leader national et panarabe inspirant le récit de la résistance contre Israël. L’invasion américaine de l’Irak en 2003, qui a déclenché l’émergence de l’Iran comme puissance régionale, a porté les ambitions de Nasrallah au-delà des frontières libanaises ; cela s’est reflété par la synchronisation de ses activités avec celles de l’architecte de la puissance régionale du régime iranien, le chef de la force al-Qods, Qassem Soleimani.

Cette synchronisation s’est traduite par quatre décisions problématiques prises par Nasrallah. Premièrement, la décision de capturer des soldats israéliens en juillet 2006, conduisant à la grande confrontation avec Israël, qui s’est conclue par l’établissement de règles d’engagement qui ont globalement tenu jusqu’au 17 septembre 2024.

Ensuite, alors que le régime iranien se méfiait des États-Unis, de l’Arabie saoudite et de leurs alliés au Liban, le Hezbollah a retourné ses armes en mai 2008 contre ces dirigeants libanais rivaux — lesquels faisaient partie du gouvernement ayant pris la décision de démanteler le système de télécommunication de l’organisation. Peu après, le Hezbollah a adopté cette même oligarchie libanaise corrompue pour maintenir son contrôle sur le système politique, ce qui a contribué à l’effondrement économique et financier du Liban.

Tandis que le Hezbollah combattait les islamistes syriens pénétrant par la frontière libanaise, le régime iranien l’a impliqué dans le conflit syrien en 2013 pour consolider le régime. Cela l’a poussé à accroitre ses effectifs, les rendant plus vulnérables, l’a exposé à des brèches dans ses rangs, et l’a détourné de son principal champ de bataille, Israël.

Enfin, dix ans plus tard, le Hezbollah, initialement hésitant, s’est pleinement impliqué dans le « front de soutien » à Gaza, suite de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.

Les calculs du régime iranien ont toutefois évolué au cours des six dernières années. L’administration Trump a rétabli les sanctions économiques américaines contre le régime en novembre 2018 et assassiné en janvier 2020 Qassem Soleimani. Le régime se retrouve désormais avec des ressources limitées et une force aérienne modeste pour affronter Israël, alors que les États-Unis ont clairement fait savoir qu’ils s’impliqueraient militairement si Téhéran entrait dans le conflit régional. Nasrallah était le chef de facto de l’« axe de la résistance » depuis l’assassinat de Soleimani. Ses commandants ont formé les combattants de l’axe iranien et c’était lui qui jouait les médiateurs entre les différentes composantes en cas de besoin.

Le charisme et le leadership de Nasrallah sont irremplaçables dans la structure du Hezbollah, mais son approche traditionnelle du champ de bataille et son manque de compétences en matière d’organisation ont été dépassés par les services de sécurité israéliens, qui s’appuient sur des technologies et des services de renseignement performants. Nasrallah a déclaré en 2006 qu’il n’avait pas anticipé la réaction israélienne lorsqu’il a ordonné la capture de soldats israéliens. Visiblement, il n’avait pas non plus anticipé l’action de Tel-Aviv ayant conduit à son assassinat en 2024.

La complicité des États-Unis

L’incontrôlable Nétanyahou a plongé Israël dans la plus longue guerre de son histoire, avec des combats sur plusieurs fronts. Au-delà de l’extase immédiate que procure l’assassinat de dirigeants du Hezbollah et du Hamas, il n’a pas de stratégie que cela soit à Gaza ou au Liban. Quant aux États-Unis, qui lui fournissent les outils de destruction, ils sont désormais perçus comme complices ou incapables d’influencer leur principal allié au Proche-Orient.

Depuis un an au moins, le régime iranien pousse Washington à exercer une pression suffisante sur Nétanyahou pour qu’il accepte un cessez-le-feu à Gaza — car c’était pour lui, la voie la plus sûre pour éviter une confrontation directe avec Israël. De son côté, l’administration Biden a envoyé un message clair à Téhéran pour qu’il n’attaque pas les cibles américaines, en partant du principe qu’elle était attachée à la sécurité d’Israël sans être impliquée dans le conflit à Gaza et au-delà. Elle souhaite que l’Iran reste passif alors qu’Israël s’en prend à ses mandataires les uns après les autres et que Nétanyahou cherche à entraîner Washington dans un conflit régional.

Le discours égocentrique et les politiques belliqueuses de Netanyahou placent le Moyen-Orient dans une compétition sécuritaire perpétuelle. Cet excès de confiance n’existerait pas sans la supériorité de sa puissance aérienne fournie par les États-Unis. Cependant, l’administration Biden n’a pas encore utilisé le levier de l’aide militaire pour contraindre le premier ministre israélien et ne semble pas déterminée à exercer des pressions sur Netanyahou pour qu’il accepte un cessez-le-feu.

Quelle suite ?

Depuis des mois, Tel-Aviv fait pression sur le Hezbollah pour qu’il retire ses forces au nord du fleuve Litani pour garantir le retour des résidents israéliens à la frontière nord avec le Liban, conformément à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies qui a mis fin à la guerre de juillet 2006. Mais les médiations franco-américaines pour atteindre ces objectifs ont échoué, le Hezbollah exigeant, en préalable, un cessez-le-feu à Gaza. Depuis le début du conflit en octobre 2023, il s’en tenait à une confrontation transfrontalière limitée. Israël a bouleversé ce statu quo.

Depuis 2006, le Hezbollah a renforcé ses capacités et dispose à présent de drones, de roquettes à plus longue portée, et de capacités maritimes. Tel-Aviv a également renforcé ses capacités en matière de renseignement et de technologie, et peut infiltrer, comme jamais, l’infrastructure et les membres de l’organisation. Israël dispose de la puissance aérienne tandis que le Hezbollah peut cibler les soldats israéliens lors d’une invasion terrestre. Mais il y aura un coût humain et économique qu’on peut déjà mesurer, car Israël étend ses frappes aériennes à tout le Liban.

Israël a pu difficilement protéger ses soldats sur le terrain à Gaza ; ce sera plus difficile à gérer au Liban. Nétanyahou ne semble pas vouloir lancer une offensive à long terme. Sa volonté serait plutôt de faire pression sur le Hezbollah et de détourner l’attention des pourparlers sur le cessez-le-feu à Gaza. Objectifs atteints. Mais le premier ministre israélien n’a aucune stratégie si le Hezbollah ne cède pas.

Or, celui-ci n’a pas cessé de lancer des roquettes sur Israël et de perturber les tentatives de l’armée israélienne de franchir la frontière libanaise. Nétanyahou ne peut donc pas continuer à affirmer, devant l’opinion publique de son pays, qu’il a atteint ses objectifs. Jusqu’à présent, il n’a pu libérer les otages capturés par le Hamas, ni assurer le retour des habitants du nord. Israël n’est pas plus en sécurité aujourd’hui qu’après un an de recours excessif à la force.

Nasrallah est mort mais pas le Hezbollah. Le groupe dispose désormais d’une direction faible et collective, et de forces opérationnelles décentralisées qui mènent les batailles sur le terrain. Le Hezbollah a subi un coup dur, dont il faudra évaluer l’impact. Il lui sera difficile de maintenir la même rhétorique et les mêmes politiques.

Ce qui se passera au Liban et à Gaza dépendra en grande partie de la manière dont Washington gèrera la rivalité entre Israël et l’Iran et si les dirigeants américains prendront ou non leurs distances par rapport à Tel-Aviv. Les erreurs de calcul constituent les plus grands risques d’extension du conflit, à moins que Washington et Téhéran n’entament des pourparlers, directement ou indirectement, pour contraindre leurs alliés respectifs, Israël et le Hezbollah.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Joe Macaron

Joe Macaron est un enseignant-chercheur affilié au Wilson Center et basé en France. Il a notamment travaillé pour le Combating Terrorism Center de West Point et le Colin Powell Center for Policy Studies. Ancien journaliste, il a également conseillé le Fonds monétaire international (FMI) sur l’engagement public au Proche-Orient et a occupé différentes fonctions au sein du système des Nations unies

https://orientxxi.info/fr/auteur1414.html

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Guerre au Liban

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...