Édition du 17 décembre 2024

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Guerre au Liban

Guerre au Liban : silence sur les violations israéliennes du droit international

« Le Moyen-Orient est le tombeau du droit international », écrivait le juriste Serge Sur. Ce billet identifie dans le récit médiatique français les omissions et les manoeuvres de contournement permettant de parler de la guerre au Liban sans évoquer les violations israéliennes du droit international, à l’heure où la guerre a tué plus de 2900 personnes au Liban.

Tiré du blogue de l’autrice.

En France le Hezbollah est discrédité d’office, à juste titre, comme une organisation qui enfreint le droit international, commet des actes terroristes, tire des roquettes sur le territoire israélien qui ont tué 39 civils et 61 soldats et entraîné le déplacement de plus de 63 000 personnes depuis le 8 octobre 2023. Il faut ajouter que le Hezbollah a soutenu militairement un régime sanguinaire en Syrie à la suite du mouvement de protestation populaire en 2011. Au Liban, il paralyse le fonctionnement des institutions, contribuant de tout son pouvoir à empêcher l’instauration d’un Etat de droit et à ruiner l’économie libanaise. Il a assassiné des résistants communistes à l’occupation israélienne dans les années 1980 dans le but de diriger sans partage le mouvement de la résistance, puis il a organisé des attentats contre le premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005, contre l’ancien ministre Mohammed Chattah, assassiné en 2013, contre l’intellectuel Lokman Slim - assassiné en 2021 pour avoir dénoncé l’emprise du parti de Dieu sur le pays.

Israël, qui enfreint le droit international depuis des décennies, et qui depuis le 8 octobre 2023 a tué plus de 43 000 Palestiniens - en majorité des civils -, qui affame les rescapés, empêche l’aide humanitaire de leur parvenir, tue le personnel médical, décime les élites culturelles gazaouies, assassine les journalistes, détruit le patrimoine historique palestinien, et soumet Gaza, selon l’expression de la Cour internationale de justice, à "un risque plausible de génocide", Israël qui refuse de reconnaître le droit au retour des réfugiés palestiniens, s’oppose à l’existence d’un Etat palestinien, conduit une politique coloniale et instaure un régime d’apartheid - toujours selon la CIJ -, Israël qui a occupé le sud du Liban pendant 22 ans, annexé Jérusalem-Est et le Golan syrien, mené plusieurs guerres meurtrières, et qui a tué au Liban au cours de l’année écoulée plus de 2900 personnes - en majorité des civils -, Israël est un partenaire économique, politique et militaire de la France.

Omissions

L’ONU publie en ligne le 4 octobre 2024 un texte au titre explicite : « Liban : des experts de l’ONU déplorent le mépris croissant d’Israël pour le droit international ». Israël a un long passé de violations du droit international au Liban analysées dans des études académiques (1). Mais depuis le début de la guerre menée par Israël au Liban en 2023, on cherche souvent en vain dans les médias français des références aux violations actuelles du droit international perpétrées par l’Etat hébreu.

Un tel évitement est manifeste dans le traitement des frappes israéliennes visant le secteur médical. Human Rights Watch parle de crimes de guerre pour le ciblage des professionnels de santé au Liban. Aucun média français ne relaie cette qualification gênante pour Israël ni n’apporte quelque éclairage juridique que ce soit. 163 secouristes ont été tués, 20% des hôpitaux du Liban ont été endommagés dans des frappes. Des centres médicaux ont été bombardés au motif qu’il appartiennent à des organisations affiliées au Hezbollah, et leur personnel tué, alors qu’ils sont protégés par le droit international au même titre que n’importe quels autres établissements de santé.

Même indifférence au droit dans le compte rendu de l’assassinat prétendument ciblé de Hassan Nasrallah, dans une frappe qui devait tuer, selon une estimation préalable israélienne, 300 personnes - estimation basse par conséquent. Israël largue dans une zone densément peuplée des bombes de 900 kg de fabrication américaine qui détruisent six immeubles ; personne ne s’interroge sur le sacrifice de centaines de civils qu’implique cette exécution extra-judiciaire. Il faut attendre le 19 octobre, soit deux semaines après l’événement, pour que le site d’information irlandais The Journal invite une juriste, Heidi Matthews, à livrer une analyse du massacre. H. Matthews note que depuis le début des années 2000 le nombre acceptable de victimes civiles dans des attaques contre un commandant ennemi a été multiplié par dix - évolution attribuable selon elle aux Etats-Unis et à leur allié israélien qui allèguent les nécessités de la "guerre contre le terrorisme".

Même black out concernant la qualification des bombardements indiscriminés d’infrastructures civiles, à l’heure où un quart des bâtiments dans le sud du Liban ont été détruits par Israël. Un expert de l’ONU, Ben Saul, de même que Amnesty international, Human Rights Watch, des médias anglophones (Washington Post, The Canary). rappellent que même les bâtiments d’une banque qui finance les activités militaires du Hezbollah, comme Qard al-Hassan, visés par des bombardements massifs le 21 octobre 2024, sont protégés au même titre que les autres bâtiments civils. Exception faite de France 24, les autres médias français se bornent à exposer les activités de Qard al-Hassan sans plus de commentaires.

Des quartiers entiers ont fait l’objet d’ordres d’évacuation avant d’être intégralement rasés par l’armée israélienne au sud du Liban. Les soldats israéliens ont posé des tonnes d’explosifs dans le village de Mhaibib et déclenché à distance, le 16 octobre 2024, leur explosion simultanée, transformant le village entier en champ de ruines. Seul Le Monde relaie dans une vidéo ces informations, sans un mot concernant la possible illégalité de ces destructions généralisées. Le New York Times apporte l’éclairage le 30 octobre 2024 d’un juriste selon lequel le droit international n’autorise pas à détruire des zones entières sans distinguer les structures civiles et militaires ; la question n’éveille pas l’intérêt des médias français.

Les experts de l’ONU écrivent : « Israël ne peut pas utiliser les crimes des groupes armés non étatiques pour justifier ses propres atrocités au Liban, notamment les actes de violence destinés à répandre la terreur parmi les civils et la guerre sans discrimination. Agir ainsi équivaudrait à une punition collective, une autre grave violation du droit international ». Propos demeuré sans écho dans la presse française.

Discours dominant

Voici quelques types de discours sur la guerre au Liban diffusés dans les journaux français réputés sérieux - si l’on évite ceux, à droite et à l’extrême droite, dont le parti pris pro-israélien est considéré comme notoire :

1.Les médias déroulent un récit compassionnel montrant des victimes libanaises plongées dans le malheur. Les médias savent bien, pourtant, que la compassion humanitaire fait partie du service après-vente des massacres occidentaux : on voit les Etats-Unis vendre à Israël les armes qui tuent les Gazaouis et former simultanément un pont humanitaire pour venir en aide aux survivants. La compassion n’a jamais fait vaciller un tant soit peu la suprématie occidentale. On pourrait dire que tout au contraire, elle la conforte : elle est intégrée dans le marketing militaire. Les guerres en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Palestine ont eu droit à des traitements médiatiques similaires qui ont fait leurs preuves : les journaux ont augmenté leurs ventes sans rien changer à l’ordre mondial établi.

2.Les médias adoptent une approche pragmatique calée sur les conséquences supposées des agressions israéliennes. Ils mettent en garde, par exemple, contre les risques d’une "escalade". Ce discours froid contredit frontalement le récit compassionnel : il suppose qu’une agression militaire est acceptable si elle ne provoque pas d’escalade. L’invasion israélienne du Liban, nous a-t-on répété, "risque de provoquer en embrasement régional". Mais si l’embrasement régional n’a pas lieu, l’ennemi étant trop affaibli pour riposter - ou pour le dire autrement, si Israël réussit son coup -, alors, il n’y a plus d’objection à la violation de l’intégrité territoriale d’un pays, quand même des victimes civiles au Liban ont perdu la vie et leurs habitations ont été rasées.

3.Les médias relaient sans commentaire les déclarations d’hommes politiques israéliens et libanais. Un ministre libanais accuse Israël de crimes de guerre, apprend-on en lisant le journal ; le ministre libanais étant juge et partie, ses propos n’éclairent en rien les violations israéliennes du droit, à la différence de sources indépendantes que les journaux français se gardent de relayer, tant que le scandale n’a pas pris une ampleur "suffisante", tant qu’il est possible de le laisser sous le boisseau. Les Israéliens affirment viser les infrastructures militaires du Hezbollah ; même chose ; on n’a jamais vu un pays en guerre déclarer qu’il vise délibérément les civils. Relayer de tels propos sans fournir le moindre travail d’analyse critique et de vérification relève du degré zéro du journalisme.

Le droit international est très imparfait, il a été conçu pour protéger les intérêts des Etats les plus puissants. Les sanctions de violations du droit international sont bloquées par les Etats les plus puissants siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais les médias français évacuent même le droit international et même les Nations unies.

Ah oui, une exception : les attaques israéliennes contre les soldats de la FINUL, qui ont blessé 13 Casques bleus ; les médias ont bien parlé, alors, de droit international ; la France fournit à la FINUL un contingent de 700 soldats.

Non application du droit international au Moyen-Orient

"Le Moyen-Orient est le tombeau du droit international", écrivait le juriste Serge Sur, interrogé sur la guerre à Gaza, alors que l’ONU alertait depuis plusieurs semaines sur un risque de génocide.

La question se pose de savoir qui participe à l’enterrement du droit international.

Une autre question est de savoir à qui profite cet effacement du droit. Qui a le plus à y gagner ? Le Hezbollah est déjà déshonoré aux yeux de l’opinion publique française, dire qu’il commet des crimes de guerre est peut-être plus exact que de parler d’"organisation terroriste", mais n’aggrave pas les charges qui pèsent contre lui - ce serait plutôt le contraire, dans la mesure où l’on utilise pour lui la même terminologie juridique que pour des Etats reconnus. En l’absence de droit prévaut le triomphe de la force, et il n’est pas difficile de déterminer qui a intérêt à imposer une loi unique, celle du plus fort.

Note

(1) Voir par exemple Rafael Bustos (2007) "Les violations du droit international humanitaire dans le conflit de l’été 2006", dans Franck Mermier et Elisabeth Picard (dir.), Liban, une guerre de 33 jours. ( p. 219 -226 ). La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.picar.2007.01.0219.

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