Édition du 4 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La guerre en Ukraine - Les enjeux

« Guerre en Ukraine : trois ans après »

L’économiste Michael Roberts analyse le futur des économies russes et ukrainiennes, trois ans après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et alors que Zelensky se prépare à signer un accord avec Trump.

26 février 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Guerre-en-Ukraine-trois-ans-apre%CC%80s-par-Michael-Roberts

Ukraine : une catastrophe humaine

Aujourd’hui marque la fin de la troisième année de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Après trois ans de conflit, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a causé des pertes considérables au peuple et à l’économie ukrainiens. Il existe différentes estimations du nombre de victimes civiles et militaires ukrainiennes (décès et blessures) : 46 000 civils et peut-être 500 000 soldats. Les pertes militaires russes sont à peu près les mêmes. Des millions de personnes ont fui à l’étranger et des millions d’autres ont dû fuir leurs foyers. Une évaluation confidentielle ukrainienne réalisée plus tôt en 2024, et rapportée par le Wall Street Journal (WSJ), a estimé les pertes des troupes ukrainiennes à 80 000 tués et 400 000 blessés. Selon les chiffres du gouvernement, au cours du premier semestre 2024, le nombre de personnes décédées en Ukraine a été trois fois supérieur à celui des naissances, a rapporté le WSJ. L’année dernière, les pertes ukrainiennes ont été cinq fois plus élevées que celles de la Russie, Kiev perdant au moins 50 000 militaires par mois.

Le PIB de l’Ukraine a baissé de 25 % et 7,1 millions d’Ukrainiens supplémentaires vivent désormais dans la pauvreté.

Par ailleurs, les retards scolaires des enfants ukrainiens sont particulièrement préoccupants : l’Ukraine se retrouvera avec une main-d’œuvre de moins bonne qualité en raison des perturbations du processus d’apprentissage causées par la guerre (et auparavant par le Covid). Ces pertes sont estimées à environ 90 milliards de dollars, soit presque autant que les pertes en capital fixe [1] à ce jour. Des études ont montré que vivre une guerre durant les cinq premières années de la vie d’une personne équivaut à une baisse d’environ 10 % des scores de sa santé mentale à l’âge de 60-70 ans. Le problème ne se limite pas aux victimes de guerre et à l’économie, mais aussi aux dommages à long terme causés aux Ukrainiens qui n’ont pas pu fuir.

Malgré la guerre, une légère reprise économique a été observée l’année dernière. Les exportations d’énergie ont bondi. Les ports ukrainiens de la mer Noire sont toujours en activité. Les échanges commerciaux se font vers l’ouest le long du Danube et, dans une moindre mesure, par train. Parallèlement, l’agriculture a amorcé une reprise. En revanche, la production de fer et d’acier reste encore très en-dessous de son niveau d’avant-guerre, passant de 1,5 million de tonnes par mois à seulement 0,6 million de tonnes par mois.

L’Ukraine manque cruellement de personnes valides pour produire ou pour aller à la guerre. Si le taux de chômage de l’Ukraine est redescendu à 16,8 % en janvier 2025 après un pic de 24,53% en 2022 [2], cela ne résout pas le problème de la pénurie de main d’œuvre. En effet, les personnes qualifiées ont quitté le pays et d’autres ont été mobilisés dans les forces armées. La situation est si mauvaise qu’il a été question de mobiliser les 18-25 ans [3] – actuellement exemptés – mais cette mesure est très impopulaire et réduirait encore davantage l’emploi civil.

L’Ukraine est encore totalement dépendante du soutien de l’Occident. Elle a besoin d’au moins 40 milliards de dollars par an pour maintenir ses services publics, subvenir aux besoins de sa population et maintenir la production. D’un côté, elle compte sur l’UE pour toutes ses dépenses publiques, et de l’autre, elle dépend des États-Unis pour son financement militaire - une « division du travail » pure et simple. En outre, le FMI et la Banque mondiale ont proposé une aide monétaire, mais pour l’obtenir, l’Ukraine doit démontrer sa « viabilité », c’est-à-dire qu’elle doit être capable à un moment donné de rembourser ses emprunts. Ainsi, si les prêts bilatéraux des États-Unis et des pays de l’UE (il s’agit principalement de prêts et non d’une aide directe) ne se concrétisent pas, le FMI ne pourra pas prolonger son programme de prêt.

Ce qui nous ramène à cette question : qu’adviendra-t-il de l’économie ukrainienne, si et quand la guerre avec la Russie prendra fin ? Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, l’Ukraine aura besoin de 486 milliards de dollars au cours des dix prochaines années pour se redresser et se reconstruire, en supposant que la guerre prenne fin cette année. C’est près de trois fois son PIB actuel. Les dommages directs causés par la guerre ont actuellement atteint près de 152 milliards de dollars, avec environ 2 millions de logements - soit environ 10 % du parc immobilier total de l’Ukraine - endommagés ou détruits, ainsi que 8 400 km d’autoroutes, de routes nationales et autres routes, et près de 300 ponts. Environ 5,9 millions d’Ukrainiens sont demeurés à l’extérieur du pays, et les personnes déplacées à l’intérieur du pays étaient environ 3,7 millions.

Ce qui reste des ressources de l’Ukraine (celles qui n’ont pas été annexées par la Russie) a été vendu à des entreprises occidentales. Au total, 28 % des terres arables de l’Ukraine appartiennent désormais à un mélange d’oligarques ukrainiens, de sociétés européennes et nord-américaines, ainsi qu’au fonds souverain d’Arabie saoudite. Nestlé a investi 46 millions de dollars dans une nouvelle usine, dans la région de Volhynie, tandis que le géant allemand des médicaments et des pesticides, Bayer, prévoit d’investir 60 millions d’euros dans la production de semences de maïs dans la région centrale de Jitomir. MHP, la plus grande entreprise avicole d’Ukraine, appartient à un ancien conseiller du président ukrainien Porochenko. MHP a été le bénéficiaire de plus d’un cinquième de tous les prêts de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) au cours des deux dernières années. MHP emploie 28 000 personnes et contrôle environ 360 000 hectares de terres en Ukraine, une superficie plus grande que le Luxembourg.

Le gouvernement ukrainien s’est engagé à mettre en place une économie de « libre marché » pour l’après-guerre, qui inclurait de nouvelles vagues de déréglementation du marché du travail, en deçà même des normes minimales de l’UE en matière de travail (c’est-à-dire des conditions de travail proches de l’esclavage), ainsi que des réductions drastiques des impôts sur les sociétés et sur le revenu, parallèlement à la privatisation complète des actifs restants de l’État. Cependant, les pressions d’une économie de guerre ont contraint le gouvernement à mettre ces politiques de côté (pour le moment), les impératifs militaires étant prioritaires.

L’objectif du gouvernement ukrainien, de l’UE, du gouvernement américain, des agences multilatérales et des institutions financières américaines, désormais chargées de lever des fonds et de les allouer à la reconstruction, est de restaurer l’économie ukrainienne sous la forme d’une zone économique spéciale, avec des fonds publics pour couvrir les pertes potentielles du capital privé. L’Ukraine sera également libérée des syndicats, des régimes fiscaux et des réglementations sévères pour les entreprises et de tout autre obstacle majeur aux investissements rentables du capital occidental, en alliance avec les anciens oligarques ukrainiens.

Selon des sources ukrainiennes, le coût de la restauration des infrastructures (financement de l’effort de guerre : munitions, armes, etc. ; pertes de logements, d’immeubles commerciaux, indemnités pour décès et blessures, coûts de réinstallation, aides au revenu, etc.) et des pertes de revenus actuels et futurs atteindra 1 000 milliards de dollars, soit six années du PIB annuel précédent de l’Ukraine. Cela représente environ 2,0 % du PIB annuel de l’UE ou 1,5 % du PIB du G7 pendant six ans. D’ici la fin de cette décennie, même si la reconstruction se déroule bien, et en supposant que toutes les ressources de l’Ukraine d’avant-guerre soient restaurées (c’est-à-dire que l’industrie et les minéraux de l’est de l’Ukraine soient entre les mains de la Russie), l’économie serait encore inférieure de 15 % à son niveau d’avant-guerre. Dans le cas contraire, la reprise sera encore plus longue.

Russie : l’économie de guerre

L’invasion de l’Ukraine par la Russie au début de l’année 2022 pour prendre le contrôle des quatre provinces russophones du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, a ironiquement donné un coup de fouet à l’économie russe. En 2023, la croissance du PIB réel était de 3,6 % et de plus de 3 % en 2024. L’économie de guerre de la Russie tient bon.

Au cours des trois dernières années de guerre, la Russie a réussi à échapper aux sanctions, tout en investissant près d’un tiers de son budget dans la défense. Elle a également pu accroître ses échanges commerciaux avec la Chine et vendre son pétrole à de nouveaux marchés, en utilisant en grande partie une flotte fantôme de pétroliers pour contourner le plafonnement des prix. Les pays occidentaux espéraient voir réduire les réserves de guerre du pays. La moitié de son pétrole et de ses produits pétroliers ont été exportés vers la Chine en 2023. Elle est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine. Les importations chinoises en Russie ont bondi de plus de 60 % depuis le début de la guerre, car le pays a été en mesure de fournir à la Russie un flux constant de marchandises, notamment des voitures et des appareils électroniques, comblant ainsi le manque des importations de marchandises occidentales perdues. Le commerce entre la Russie et la Chine a atteint 240 milliards de dollars en 2023, soit une augmentation de plus de 64 % depuis 2021, avant la guerre.

Cependant, la guerre a intensifié une grave pénurie de main-d’œuvre. Comme l’Ukraine, la Russie manque désormais cruellement de personnel, mais pour des raisons différentes. Même avant la guerre, la main-d’œuvre russe diminuait pour des raisons démographiques naturelles. Puis, au début de la guerre en 2022, environ trois quarts de million de travailleurs russes et étrangers, dont une partie de la classe moyenne des secteurs de l’informatique, de la finance et de la gestion, ont quitté le pays. Pendant ce temps, l’armée russe recrute des dizaines de milliers d’hommes en âge de travailler. Entre 10 000 et 30 000 travailleurs rejoignent l’armée chaque mois, soit environ 0,5 % de l’offre totale. Cela a profité aux travailleurs russes qui ne font pas partie des forces armées, car les cadres sont réticents à licencier qui que ce soit.

Les salaires ont connu une hausse à deux chiffres, tandis que la pauvreté et le chômage ont atteint des niveaux historiquement bas. Pour les personnes les moins bien rémunérées du pays, les salaires ont augmenté plus rapidement au cours des trois derniers trimestres que pour tout autre segment de la société, avec un taux de croissance annuel d’environ 20 %. Le gouvernement a dépensé massivement dans l’aide sociale aux familles, l’augmentation des retraites, les subventions hypothécaires et l’indemnisation des proches des militaires.

Mais l’inflation s’est emballée et le rouble s’est fortement déprécié par rapport au dollar, ce qui a contraint la Banque centrale russe à relever son taux d’intérêt à plus de 20 %.

Une économie de guerre signifie que l’État intervient et même outrepasse la prise de décision du secteur capitaliste pour l’effort de guerre national. L’investissement public remplace l’investissement privé. Ironiquement, dans le cas de la Russie, cela a été accéléré par le retrait des entreprises occidentales des marchés russes et par les sanctions. L’État russe a repris des entités étrangères et/ou les a revendues à des capitalistes russes engagés dans l’effort de guerre.

Les dépenses en nouvelles constructions, en équipements de haute technologie et en nouveaux kits ont atteint leur plus haut niveau en 12 ans, soit 14 400 milliards de roubles (136,4 milliards de dollars), soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. Selon le Centre d’analyse macroéconomique et de prévision à court terme basé à Moscou, le taux de croissance des investissements a dépassé le taux de croissance du PIB avec une marge plus importante qu’au cours des 15 dernières années.

Les principales destinations de ces investissements vont dans la « substitution des importations », les infrastructures vers l’est et la production militaire. L’ingénierie mécanique, qui comprend la fabrication de produits métalliques finis (armes), d’ordinateurs, d’optique et d’électronique, ainsi que d’équipements électriques, est l’un des secteurs d’investissement qui connaît la croissance la plus rapide.

De nombreux économistes occidentaux prévoient un effondrement de l’économie russe, comme ils le disent depuis trois ans. La pénurie aiguë de main-d’œuvre, l’inflation persistante et croissante causée par la flambée des dépenses militaires et le durcissement constant des sanctions entraîneront, selon eux, une crise économique qui forcera Moscou à abandonner ses objectifs en Ukraine et mettra fin à la guerre, avec des conditions plus acceptables pour Kiev et ses alliés.

De nombreux analystes ont attribué ces signes de surchauffe à l’augmentation des dépenses liées à la guerre en Ukraine, en soulignant que les dépenses militaires ont atteint un niveau record, qui devrait dépasser 7 % du PIB en 2024. Alors que les dépenses de défense devraient augmenter de près de 25 % cette année, représentant environ 40 % des dépenses du gouvernement fédéral, certains ont évoqué la possibilité que la Russie sombre dans la « stagflation », combinant une inflation élevée avec une croissance faible, voire nulle.

Mais malgré la guerre la plus intense en Europe depuis 1945, Moscou a réussi à la financer avec des déficits budgétaires modestes, compris entre 1,5 et 2,9 % du PIB depuis 2022. Par conséquent, le Kremlin n’a pratiquement pas eu besoin d’emprunter pour financer la guerre. Les recettes fiscales générées par l’activité intérieure ont grimpé en flèche depuis le début de la guerre. Avec environ 15 % du PIB, la Russie a le plus faible ratio dette publique/PIB des économies du G20. Ainsi, bien qu’elle soit coupée de la plupart des sources de capitaux extérieures, la Russie reste plus que capable de financer les investissements intérieurs et les dépenses publiques avec ses propres ressources.

Au cours des deux dernières années, la Russie a enregistré un excédent de sa balance courante d’environ 2,5 % du PIB. Tant que la Russie pourra continuer à exporter de grandes quantités de pétrole, cela ne devrait pas changer. Les recettes pétrolières et gazières de la Russie ont bondi de 26 % l’année dernière pour atteindre 108 milliards de dollars, alors même que la production quotidienne de pétrole et de condensats de gaz a diminué de 2,8 % en 2024, selon des responsables du gouvernement russe cités par Reuters. Bien qu’elle soit restée le pays le plus sanctionné au monde en 2024, la Russie a exporté cette année-là un volume record de 33,6 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL), soit une augmentation de 4 % par rapport à l’année précédente.

L’Institute of International Finance (IIF) prévoit une baisse de rentabilité budgétaire du prix du pétrole russe (le montant nécessaire pour équilibrer les dépenses budgétaires) à 77 dollars le baril d’ici 2025, soutenue par une reprise des recettes pétrolières et gazières. Dans le même temps, le prix du pétrole extérieur d’équilibre (le prix nécessaire pour équilibrer le compte courant extérieur), à 41 dollars le baril, est le deuxième plus bas parmi les principaux exportateurs d’hydrocarbures. Cela signifie que le prix actuel du pétrole de l’Oural dépasse largement ces seuils d’équilibre.

Mais aucun de ces investissements dans l’économie de guerre ne soutiendra la croissance de la productivité à long terme de la Russie. L’économie de guerre de la Russie reviendra à l’accumulation capitaliste lorsque la guerre prendra fin. L’économie russe reste fondamentalement liée aux ressources naturelles. Elle repose sur l’extraction plutôt que sur la fabrication. La production de guerre est fondamentalement improductive pour l’accumulation de capital à long terme. La Russie reste technologiquement arriérée et dépendante des importations de haute technologie. Même avec des mesures de relance budgétaire massives, elle ne peut pas encore produire de technologies adaptées à un marché d’exportation compétitif au-delà des armes et de l’énergie nucléaire, les premières étant déjà autorisées et les secondes sur le point de l’être. La Russie n’est pas un acteur important, dans aucune des technologies de pointe, de l’intelligence artificielle à la biotechnologie.

Le creux démographique, la baisse de la qualité de l’enseignement universitaire et la rupture des liens avec les écoles internationales, ainsi que la « fuite des cerveaux », exacerbent ces problèmes. Le fossé technologique va probablement se creuser, la Russie comptant de plus en plus sur les importations chinoises et la rétro-ingénierie (copie). La croissance potentielle du PIB réel de la Russie ne dépasse probablement pas 1,5 % par an, car la croissance est limitée par le vieillissement et la diminution de la population, ainsi que par la faiblesse des taux d’investissement et de productivité.

L’économie de guerre russe est bien placée pour poursuivre la guerre pendant plusieurs années encore si nécessaire. En revanche, lorsque la guerre sera terminée, Poutine pourrait être confronté à un effondrement important de la production et de l’emploi. Le message sous-jacent est que la faiblesse de l’investissement, de la productivité et de la rentabilité du capital russe, même en excluant les sanctions, signifie que la Russie restera faible économiquement pendant le reste de cette décennie.

La paix

Le président Trump a déclaré qu’il cherchait un accord de paix par le biais de négociations directes avec la Russie. Cela signifierait la fin du soutien financier et militaire des États-Unis à l’Ukraine. Les dirigeants ukrainiens actuels s’opposent à tout accord qui impliquerait la perte de territoire et à tout veto sur une future adhésion à l’OTAN. Les dirigeants européens ont déclaré qu’ils soutiendraient l’Ukraine et continueraient à financer la guerre et à fournir un soutien militaire.

Trump veut récupérer ce que le gouvernement américain a dépensé jusqu’à présent pour l’Ukraine, ainsi que des garanties pour les dépenses futures destinées à reconstruire l’économie. Il s’est plaint des énormes transferts de fonds vers l’Ukraine, et accuse le gouvernement ukrainien d’avoir dissimulé la manière dont ils ont été dépensés. Mais c’est de la désinformation : la majorité des fonds que les États-Unis ont alloués à l’Ukraine sont restés chez eux pour financer la base industrielle de défense nationale et reconstituer les stocks américains. Les fabricants d’armes américains font d’énormes profits grâce à cette guerre.

Aujourd’hui, Trump exige que l’Ukraine cède plus de 50 % de ses droits miniers sur les terres rares aux États-Unis en échange de la livraison des 500 milliards de dollars nécessaires à la reconstruction d’après-guerre. Trump : « Je veux qu’ils nous donnent quelque chose en échange de tout l’argent que nous avons investi et je vais essayer de faire en sorte que la guerre se termine et que toutes ces morts cessent. Nous demanderons des terres rares et du pétrole, tout ce que nous pourrons obtenir. » Comme l’a déclaré le sénateur américain Lindsey Graham : « Cette guerre est une question d’argent... Le pays le plus riche de toute l’Europe en minéraux de terres rares est l’Ukraine, pour une valeur de deux à sept mille milliards de dollars... Donald Trump va chercher à conclure un accord pour récupérer notre argent, pour nous enrichir avec des minéraux rares... » Le problème est qu’environ la moitié de ces gisements (d’une valeur de quelque 10 à 12 000 milliards de dollars) se trouvent dans des zones contrôlées par la Russie.

Toutcela n’est autre qu’un indice supplémentaire que les actifs ukrainiens risquent d’être morcelés par les puissances occidentales. Le mois dernier, le président ukrainien Zelensky a signé une nouvelle loi élargissant la privatisation des banques publiques du pays. Elle fait suite à l’annonce par le gouvernement ukrainien, en juillet, de son programme de « privatisation à grande échelle 2024 » qui vise à attirer les investissements étrangers dans le pays et à lever des fonds pour le budget national ukrainien en difficulté. Parmi les actifs importants figurent actuellement le plus grand producteur de minerai de titane du pays, un important producteur de produits en béton et une usine d’extraction et de traitement. L’Ukraine envisageait de privatiser les quelque 3 500 entreprises publiques du pays dans le cadre d’une loi de 2018, qui stipulait que les citoyens et les entreprises étrangers pouvaient en devenir propriétaires. Des centaines d’entreprises de plus petite taille sont actuellement en cours de privatisation, ce qui a permis de générer des revenus de 9,6 milliards d’UAH (181 millions de livres sterling) au cours des deux dernières années.

Cela implique un sous-programme de sept ans appelé SOERA (State-owned enterprises reform activity in Ukraine), financé par l’USAID avec le ministère britannique des Affaires étrangères comme partenaire secondaire. SOERA vise à « faire progresser la privatisation de certaines entreprises publiques et à développer un modèle de gestion stratégique pour les entreprises publiques qui restent la propriété de l’État ».

Les capitaux britanniques se frottent également les mains. Des documents récemment publiés par le ministère britannique des Affaires étrangères ont indiqué que la guerre offrait « des opportunités » à l’Ukraine pour mettre en œuvre «  des réformes extrêmement importantes ». « Le Royaume-Uni espère que la reconstruction de l’Ukraine profitera aux entreprises britanniques », observe un rapport sur l’aide britannique à l’Ukraine publié en début d’année par l’organisme de surveillance de l’aide, l’ICAI.

L’invasion de Poutine a poussé le peuple ukrainien dans les bras d’un gouvernement pro-libre marché et anti-travail, ce qui permettra aux capitaux occidentaux de s’emparer des actifs ukrainiens, et à exploiter les travailleurs de ce pays. C’était peut-être inévitable : des oligarques pro-russes et pro-occidentaux avant la guerre, aux capitaux occidentaux après.

La guerre n’a pas seulement détruit l’Ukraine ; elle a aussi sérieusement affaibli l’économie européenne, les coûts de production ayant explosé avec la perte des importations d’énergie bon marché en provenance de Russie. Mais il semble que les dirigeants européens veulent poursuivre la guerre même si Trump se retire. Ils se démènent désespérément pour trouver des fonds à cette fin et pour fournir une aide militaire accrue au gouvernement ukrainien assiégé. Certains dirigeants proposent d’envoyer des troupes en Ukraine. Donc « la guerre et non la paix ».

Tout aussi mauvaise est la décision de l’OTAN et des principaux dirigeants européens de doubler les dépenses de défense d’environ 1,9 % du PIB en moyenne d’ici la fin de la décennie, soi-disant pour résister aux attaques russes imminentes si Poutine obtient une paix gagnante cette année. Cette mesure est ridiculement justifiée par le fait que les dépenses de « défense » « seraient pour le plus grand bénéfice de tous » (Bronwen Maddox, directrice de Chatham House, le « think-tank » des relations internationales, qui présente principalement les points de vue de l’État militaire britannique). Maddox a conclu que : « le Royaume-Uni pourrait devoir emprunter davantage pour financer les dépenses de défense dont il a si urgemment besoin. Au cours de l’année prochaine et au-delà, les politiciens devront se préparer à récupérer de l’argent en réduisant les prestations de maladie, les retraites et les soins de santé... En fin de compte, les politiciens devront persuader les électeurs de renoncer à certains de leurs avantages pour financer la défense. » Le chef du parti vainqueur aux élections allemandes nous adresse le même message.

Cela entraînera un détournement massif des investissements des services publics et des prestations sociales, qui font cruellement défaut, ainsi que des investissements technologiques vers la production d’armes improductive et destructrice.

Notes

[1] Notion qui n’est pas utilisé dans la version originale = renvoie à du capital « perdu » qui sert à faire à faire fructifier le capital entrant.

[2] Etude de Statista, « Taux de chômage en Ukraine de 2012 à 2028 », 23/01/2025

[3] Blog DDT21 : L’Ukraine et ses déserteurs. Partie II : Guerre et révolution ? https://dndf.org/?p=21701

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Michael Roberts

Michael Roberts a travaillé comme économiste à la Cité de Londres (La City) pendant plus de 30 ans. Il est l’auteur de plusieurs livres sur l’économie mondiale dont The Great Recession, The Long Depression and World in Crisis. Il tient également un blog : https://thenextrecession.wordpress.com/blog/

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : La guerre en Ukraine - Les enjeux

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...