Des intervenant·e·s au bout du rouleau
Ainsi a réagi ce matin la présidente de l’APTS, Carolle Dubé, au lendemain de l’émission Enquête qui lève le voile sur les conditions difficiles dans lesquelles travaillent les intervenant·e·s dans les centres jeunesse du Québec. Des conditions qui n’ont pas changé d’un iota depuis le drame de Granby et qui s’aggravent parce que les intervenant·e·s commencent à quitter massivement leur emploi, étant au bout du rouleau et ayant perdu tout espoir de changement à court et moyen terme.
« Ça fait des mois que nous dénonçons la situation dans les centres jeunesse, rappelle la présidente de l’APTS. Nous avons alerté le ministre Carmant, nous avons interpellé tou·te·s les élu·e·s de l’Assemblée nationale, nous avons indiqué maintes fois que les sommes annoncées l’été dernier ne suffisaient pas, nous avons mis en garde tant le ministre Carmant que la ministre McCann de la possibilité d’un exode si on ne donnait pas un coup de barre plus énergique que ce qui avait été fait jusqu’à maintenant. Le problème, c’est que tout le monde se retranche derrière la Commission Laurent, devenue un paravent politique pour justifier les atermoiements. Résultat : la situation continue d’empirer. »
Un autre effet de la réforme
Cet exode du personnel est directement imputable à la fusion des listes d’ancienneté entraînée par la création des nouvelles unités d’accréditation à l’échelle des centres intégrés (universitaires) de santé et de services sociaux (CISSS et CIUSSS), une des conséquences de la réforme instaurée en 2015. Cette situation offre l’occasion aux intervenant·e·s, souvent parmi les plus expérimenté·e·s, de quitter les centres jeunesse pour d’autres postes dans le réseau. Après plusieurs années sur la « ligne de front », ils et elles n’en peuvent plus de travailler dans un environnement qui ne cesse de se détériorer et décident de changer de poste.
Le mouvement s’est enclenché en Abitibi-Témiscamingue, quand vingt-deux intervenant·e·s ont postulé ailleurs qu’au centre jeunesse. Vingt-deux autres leur ont depuis emboîté le pas dans la région de Lanaudière. Une trentaine ont ensuite suivi en Montérégie Est. Et les chiffres vont augmenter, car la fusion des listes d’ancienneté se poursuivra au cours des prochaines semaines. Or, les directions de la protection de la jeunesse relèvent des CISSS et des CIUSSS de tout le Québec depuis la réforme Barrette. Au total, quelque deux cents intervenant·e·s risquent de partir si rien n’est fait. La situation est critique.
La surcharge au cœur du problème
Il y a un terrible problème de surcharge de travail dans les centres jeunesse, rappelle l’APTS. Le nombre de signalements traités a augmenté de 10 % par rapport à l’an dernier et celui des signalements retenus de 7 %, des chiffres qui grimpent en flèche depuis des années. La titularisation de plusieurs dizaines de postes annoncée l’été dernier n’a réduit en rien le « caseload » surchargé des intervenant·e·s car il n’y a pas plus de « bras » sur le terrain pour faire le travail. La situation est toujours potentiellement explosive, comme le rappelle le cas récent de cette intervenante agressée par un adolescent de 15 ans dans la région de l’Estrie.
Un leadership attendu
À titre de responsable des centres jeunesse, le ministre Carmant doit faire preuve de leadership et trouver des solutions qui sortent des sentiers battus. Certaines directions de la jeunesse s’en tirent mieux que d’autres. Comment se fait-il que ce ne soit pas le cas partout ? La bonne volonté du ministre descend-elle vraiment jusqu’aux gestionnaires sur le terrain ? L’information remonte-t-elle jusqu’à lui ? Y a-t-il des résistances dans l’appareil, des gens qui cherchent à se protéger ? Il faut aplanir toutes ces difficultés, rappeler à l’ordre - voire semoncer - les CISSS et les CIUSSS récalcitrants, et instaurer plus que jamais la transparence et le dialogue entre toutes les parties.
« Quelque six mois après l’incident tragique de Granby et toutes nos mises en garde, c’est comme si le gouvernement n’avait rien appris, se désole Carolle Dubé. Je le répète : nos intervenenant·e·s n’en peuvent plus. Si rien n’est fait pour juguler cet exode, nous n’aurons d’autre choix que d’entamer des actions de sensibilisation énergiques. On ne peut pas attendre que la Commission Laurent dépose officiellement ses recommandations alors que le feu est pogné dans la cabane " et que des milliers d’enfants comptent sur le meilleur système possible pour s’en tirer. Nous avons le devoir de dénoncer la situation et d’en appeler aux meilleures volontés dans ce dossier », de conclure la présidente de l’APTS.
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