Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Crouler sous le poids de l’histoire

Il arrive parfois un moment où une tendance devient vraiment trop forte, où une vague se transforme en raz-de-marée. Il se peut parfois que, peu importe ce qui est dit et fait, les choses se mettent en place d’elles-mêmes et que des murailles qu’on croyait indestructibles se fassent balayer par une simple brise qu’on jugeait inoffensive. Il arrive parfois que l’Histoire s’écrive d’elle-même et que les hommes restent impuissants devant celle-ci. Voilà fort probablement ce qui s’est passé lors des élections du 2 mai dernier.

Quelle analyse doit-on faire de la vague orange qui a déferlé sur le Québec ? D’un premier coup d’œil, nous aurions tendance à juger que Gilles Duceppe a mené une mauvaise campagne. Ce n’est pas faux. Le message que le Bloc a tenté de marteler était à plusieurs égards arrogant, hargneux, voire dogmatique. « Le Bloc est l’unique parti pouvant défendre les intérêts du Québec », n’a-t-on cessé de nous dire. Tout cela ajouté aux nombreuses attaques désobligeantes envers le parti de Jack Layton de la part de plusieurs bloquistes et souverainistes (Yvon Lévesque, Gérald Larose,etc.) D’un premier coup d’œil, on peut tout aussi bien juger que la campagne du NPD s’est bien déroulée. La mise en valeur d’un chef très populaire, une bonne présence aux deux débats de la part de Jack Layton et des messages publicitaires simples et efficaces ont pu contribuer à une bonne performance des néo-démocrates.

Cela étant dit, est-il vraiment possible d’expliquer un si énorme bouleversement des constantes politiques québécoises seulement par la qualité des campagnes menées par les partis politiques en présence ? Une telle proposition semble tout à fait déraisonnable tant le changement est grand. N’oublions pas que le NPD vient de remporter 58 sièges au Québec alors que le meilleur score jamais enregistré par le Bloc Québécois fut 54 sièges en 1993. D’autant plus qu’à l’époque, le Bloc avait à sa tête l’une des plus grandes figures politiques de l’histoire du Québec (Lucien Bouchard) et que le mouvement souverainiste était propulsé par le dur échec du Lac Meech, une plaie alors grande ouverte dans le cœur des québécois. Force est de constater que ce changement de paradigme doit se voir d’un angle beaucoup plus large.

Il faut adopter un point de vue historique pour répondre à la question. En fait le 26 mars, le jour du déclenchement des élections, le sort en était jeté. Même si alors les sondages prédisaient une avance certaine du Bloc au Québec tout comme un léger recul du NPD, les plaques tectoniques s’étaient déjà déplacées. Ne manquait plus que le tsunami. Pourquoi ? Parce que le Québec était à la toute fin d’un cycle. Ce cycle, on l’appellera aujourd’hui celui du vide politique. Depuis l’échec référendaire de 1995, les québécois ne votaient plus par envie, mais bien par dépit. Au fédéral, on votait Bloc pour rejeter l’alternative fédéraliste. Au provincial, c’est à se demander si les électeurs observaient réellement une différence entre les partis qu’ils portaient au pouvoir. Et au municipal…

Le vide politique était là, bien ancré dans nos institutions démocratiques. Mais quelle chose plus insoutenable que le vide ?
La campagne de Layton aurait pu être bien pire et celle de Duceppe bien meilleure que cela n’aurait pratiquement rien changé. Ce qui illustre le mieux la prépondérance de l’histoire sur le résultat du 2 mai est certainement la campagne libérale. Des élections, les libéraux peuvent se targuer de les avoir menées presque sans tache, de façon digne et toujours en proposant des solutions plutôt qu’en critiquant l’autre. Quant à Michael Ignatieff, force est d’admettre qu’il possédait toutes les qualités des plus grands chefs libéraux, de Pearson à Trudeau. Pourtant le Parti Libéral est aujourd’hui réduit au rang de tiers parti, chose qui ne lui est jamais arrivé en près de 150 ans d’histoire. Tout comme le bloc, les Libéraux étaient voués à l’échec et ni un chef extraordinaire, ni des promesses grandioses n’auraient su stopper l’élan de l’Histoire.

Les seuls pour qui l’Histoire n’aura rien changé, ce sont les conservateurs, mais la raison étant qu’ils tirent les ficelles de cette campagne au moins depuis l’élection de 2008. Stephen Harper la préparait depuis bien longtemps cette électionet il savait qu’il ne pouvait se permettre d’avoir un autre gouvernement minoritaire. Il lui fallait la majorité et il l’a eue. Néanmoins, il est important d’observer que cette majorité, c’est le Canada qui l’a octroyée au Parti Conservateur. Le Québec n’en a jamais voulu. Espérons que l’Histoire ne manquera de nous le rappeler.

L’auteur est étudiant au CEGEP Maisonneuve

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