Édition du 12 novembre 2024

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Economie internationale

Crise existentielle dans le système du néolibre-échange

2018/08/30 | tiré de l’Aut’journal

Stupéfiant renversement de situation : le président du pays qui, au début des années 1990, a conçu, promu et signé l’ALENA - l’accord type de néolibre-échange – déclare aujourd’hui qu’il n’y croit plus. C’est « le pire accord jamais conclu », clame Trump. Le libre-échange, oui, mais transformé à l’avantage des États-Unis : America first !

L’ordre néolibre-échangiste, qui s’est imposé à l’échelle planétaire, traverse une grave crise existentielle. Crise alimentée par les dérèglements climatiques, la dégradation de notre habitat terrestre, la montée scandaleuse des inégalités et la crise migratoire qui s’ensuit. Sa raison même d’exister semble remise en cause.

Un objectif démentiel présidait à la mise en place de ce système. Domestiquées par les lobbies des compagnies transnationales, les élites politiques d’Occident ont formé le dessein d’organiser le monde comme un marché unique, global et dérèglementé.
Un tel système, aux dimensions planétaires, ne peut fonctionner que si les dirigeants des grandes puissances lui apportent un soutien sans failles. Ce n’est plus le cas. Les dirigeants actuels des États-Unis, du Royaume-Uni, et de nombreux de pays de l’Union européenne, dont l’Italie, n’y croient plus.
 
Un séisme révélateur

Il est tentant de considérer l’opposition de Donald Trump à l’ALENA, au traité de Partenariat trans-pacifique (PTP) et au néolibre-échange en général, comme une aberration. La lubie d’un homme d’affaires arrivé par accident à la présidence de la première puissance mondiale. Le phénomène Trump, c’est plutôt l’aboutissement logique de 30 ans d’une guerre commerciale larvée, qui a dégénéré en une guerre commerciale mondiale, ouverte et fracassante. 

Le nœud de tous les accords de néolibre-échange, c’est la dérégulation financière. Une manœuvre qui laisse le champ à la libre circulation transfrontalière des capitaux et des investissements. C’est la voie ouverte au déménagement des entreprises d’un pays à l’autre. Le but est de tirer les salaires vers le bas.

L’ex-président de General Electric, Jack Welch, estimait que toutes grandes compagnies devaient se considérer comme campant sur une grande barge, prête à voguer, à tout moment, vers le pays où les salaires sont les plus bas, les impôts minimes et les règlementations sociales et environnementales quasi absentes.

Cette économie de la « grande barge » expose les salariés des pays riches à une concurrence impossible avec la main-d’œuvre bon marché des pays sous-développés ou émergents. Il en résulte un système d’empoisonnement mutuel, comme c’est le cas entre les États-Unis et le Mexique liés par l’ALENA.

Les géologues constatent que les tremblements de terre contribuent à une meilleure connaissance de la croûte terrestre et des forces tectoniques qui la secouent. Ainsi, le séisme politico-économique enclenché par Trump fournit l’occasion de mieux comprendre la véritable nature du capitalisme néolibre-échangiste prédateur, aujourd’hui ébranlé par les alliances géopolitiques qui se nouent de l’autre côté du globe.
 
Pendant ce temps, en Asie…

À l’autre bout du monde, émerge un autre type d’échanges internationaux, capitalistes certes, mais plus coopératif et respectueux de la souveraineté des États : le Partenariat économique régional global (PERG).

Le PERG est une initiative de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ANASE), qui regroupe 10 pays de cette région : le Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. Fondée en 1967, l’ANASE a évolué dans le sens d’une communauté politique, économique et culturelle. 

En plus des 10 États susnommés, le PERG rassemble six autres grands pays de la région : l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, le Japon et la Nouvelle-Zélande.
Lancées en 2012, les négociations entre les 16 pays du groupe progressent lentement mais sûrement. Beaucoup de difficultés à aplanir entre des pays au passé colonial et au développement si divers. 

Les deux projets, le PTP originel et le PERG, diffèrent fondamentalement.

Initiative des États-Unis, le PTP visait à imposer à la région Asie-Pacifque l’ordre néo-libre-échangiste. Le principal protagoniste de cet accord, le président Obama, en avait candidement révélé l’objectif dans une déclaration publiée par le Washington Post, le 22 janvier 2015 : « Si nous n’imposons pas les règles, la Chine les écrira à notre place dans la région. Nous serons alors exclus ». Conséquent, Barack Obama avait fait du PTP le « pivot » de sa politique asiatique.

Le PERG vise le développement économique de ses membres par la libre coopération, plutôt que par la libre compétition. Les négociateurs partagent un souci manifeste de préserver les souverainetés nationales. La non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres est érigée en principe absolu.
Les différences entre le néolibre-échange occidental et le partenariat asiatique en négociation s’avèrent significatives :

• les conflits entre les investisseurs étrangers et l’État national se règleront devant les tribunaux nationaux et non devant un tribunal supra-étatique ;
• le PERG ne touche pas aux normes et législations nationales, contrairement au néolibre-échange qui s’attaque aux barrières non tarifaires, c’est-à-dire aux législation nationales ;
• la libéralisation des services publics se limite à cinq secteurs : le transport aérien, les technologies de l’information et des communications, la santé, le tourisme et la logistique ;
• la surprotection des brevets des multinationales est perçue comme une violation de souveraineté et du droit d’accès au patrimoine technologique de l’humanité ;
• l’ouverture des marchés publics aux investisseurs étrangers demeure limitée.
 
Le charme discret de la Chine

Comme noté plus haut, le PERG est une initiative de l’ANASE, qui voulait résoudre les rivalités entre la Chine et le Japon, d’une part, et la Chine et l’Inde, d’autre part. La Chine a rapidement émergé comme leader naturel du groupe, mais suivant sa bonne vieille tradition diplomatique, elle reste discrète. Beijing n’a pas besoin d’imposer ses règles ; sa masse économique et démographique lui confère une capacité d’attraction qui la dispense de toute attitude autoritaire. 

Elle dispose par ailleurs de nombreux autres atouts pour étendre son influence et contrer celle des États-Unis.

En 2013, elle lance le gigantesque projet d’une nouvelle Route de la soie, renommée Belt & Road Initiative. L’objectif est de créer un réseau de voies ferroviaires et de liaisons maritimes, destiné à relier la Chine à l’Europe en passant par la Russie, l’Afrique, le Moyen-Orient et des dizaines de pays. À ce jour, 68 États ont confirmé leur participation active, dont de proches alliés des États-Unis, comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne. Au grand déplaisir de l’Oncle Sam.
En 2015, la Chine fait un pied de nez à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international, en créant la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. La BAII compte 80 membres, avec une petite caisse 250 milliards de dollars.
L’influence des États-Unis dans la région n’est pas prête de disparaître. Cependant, la nouvelle dynamique impulsée par la Chine leur fait perdre progressivement de l’influence et du terrain, non seulement en Asie, mais dans le monde.
 
René Lévesque, le québécois visionnaire

Dans ses mémoires publiées en 1987, René Lévesque écrit : « C’est Tokyo et bientôt tout l’Orient qui vont succéder à New York et Chicago. Après une greffe qui le transféra naguère de l’Europe en Amérique, le cœur du monde s’apprête à réintégrer son organisme originel. » (Attendez que je me rappelle…, p. 168)
La Chine ne veut plus dépendre d’un Occident prédateur qui l’a longtemps maltraitée. Pour cela, elle s’est mise en frais de créer un autre modèle d’échange et de communication entre les nations.
Est-ce une bonne nouvelle pour l’humanité ? Et pour la Terre en détresse ? Est-ce que les peuples auront leur mot à dire dans ce grand basculement du monde ? Attendez que j’y réfléchisse…
 
jacquesbgelinas.com

Jacques B. Gélinas

Sociologue québécois, Jacques B. Gélinas s’est toujours intéressé aux questions touchant l’émancipation du Tiers Monde, les droits de minorités et l’organisation socio-économique des communautés humaines. Après plus d’une décennie comme coopérant en Amérique latine, il a été professeur en sociologie du développement, puis cadre au ministère des Relations internationales du Québec. Il est aujourd’hui essayiste et conférencier.

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