Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Contre-révolution de la droite aux États-Unis

Exemples de moyens et stratégies

INTRODUCTION

La droite américaine est très sérieuse dans son offensive pour contrôler, sinon occuper directement le pouvoir. Elle ne se contente pas de s’assurer qu’un parti adoptera ses idées et programme et les défendra devant l’électorat et dans les législatures.

{{}} Non, ce n’est pas suffisant. Elle va jusqu’au bout de la logique et équipe les élusEs qui les adoptent de moyens concrets pour venir à bout du travail.
Le Center for Media Democracy de Madison au Wisconsin, de concert avec le journal The Nation, a rendu publics des documents jusque là secrets de l’American Legislative Exchange Council (ALEC) qui dévoilent une stratégie bien orchestrée que nous voyons se déployer en ce moment à travers tous les Etats-Unis, sans pour autant que nous connaissions ses origines.

Democracynow.org (Amy Goodman et Juan Gonzalez journalistes) a interviewé la directrice exécutive du Centre, Mme Lisa Graves à ce sujet. Je vous livre ici une traduction de cet entretien du 15 juillet courant. a.c.

Les documents dévoilés : comment des projets de lois sont élaborés par une coalition secrète de représentants d’entreprises et de législateurs,

Le Center for Media and Democracy a publié récemment, 800 projets de lois modèles tout droit sortis des plans d’entreprises et élaborés par l’American Legislative Exchange Council (ALEC) . Les membres de ce groupe comprennent des législateurs des divers États du pays et des membres des exécutifs de grandes entreprises qui se réunissent derrière des portes closes pour discuter de projets de loi et pour les libeller. Des investigations se sont organisées dernièrement pour préciser son rôle dans l’élaboration de projets de lois qui attaquent les droits des travailleurs-euses, qui révoquent des lois régulant l’environnement, privatisent l’éducation, dérégulent les grandes industries et qui introduisent des lois sur l’identification obligatoire des citoyenNEs. C’est grâce à ce groupe qu’au moins une douzaine d’États ont adopté des résolutions presque identiques demandant au Congrès d’obliger l’Agence américaine sur l’environnement de cesser de réguler les émissions de gaz à effet de serre.

(…) Amy Goodman : … Avant que les projets de loi soient présentés dans les législatures étatiques, ils sont nettoyés pour effacer toute référence possible à ceux qui les ont élaborés.
Selon le Center for Media and Democracy, les principaux bénéficiaires des récents projets de lois comptent l’entreprise de tabac Altria/Phillip Morris, la compagnie d’assurance maladie Humana, la pharmaceutique Bayer et la compagnie de prisons privées Corrections Corporation of America (CCA).

Nous parlerons maintenant à Mme L.Graves du Center for Media…Nous avons invité des représentants d’ALEC à participer à l’émission mais ils ne nous ont pas rappelé ni répondu à nos courriels.
Mme Graves, parlez-nous de ce que vous avez analysé.

L.Graves : Alors, cette semaine le Center for Media…a publié une grande quantité de projets de lois élaborés dans le secret par ALEC. Ce que ces modèles de lois, cette liste de désirs d’entreprises montrent c’est que des entreprises et des législateurs, au niveau des États, votent derrière des portes closes, via les groupes de travail d’ALEC, toute une série de propositions radicales qui révisent nos droits dans presque tous les champs légaux. Face à ce lot de documents qui nous a été transmis par un lanceur d’alerte (whistleblower), nous avons jugé qu’il était important que les AméricainEs y aient accès directement et aient l’occasion de les analyser. Il est important de se rendre compte de ce qui arrive dans chacune de nos législations et d’être capables de reconnaître les lois qui ont été élaborées par ALEC et que cette organisation soutient bien sûr. Nous avons été étonnéEs de voir qu’ALEC plaide devant ses membres corporatifs qu’elle leur fournit « une voix et un vote ». Cette voix et ce vote passent par les groupes de travail de l’organisation et s’appliquent ensuite dans nos vies un peu partout à travers le pays.

Ces résolutions touchent à toutes sortes d’aspects dont les contenus des budgets qui doivent ne contenir aucune augmentation de revenus. Elles se répètent résolution après résolution pour implanter le programme radical qui a débuté dans les années soixante-dix et qui est financé par certains des plus riches, individus et entreprises, dans le monde. Des entreprises comme Koch Industries, les milliardaires Charles et David Koch qui sont à la tête de cette compagnie, Exxon la plus riche de toutes les riches de la planète sont tous et toutes membres d’ALEC et contribuent à l’élaboration de son programme et ses actions.

Donc nous avons divulgué ces documents pour que les AméricainEs se rendent compte d’où venaient les projets de lois qui ont été introduits dans leurs législatures d’État ce printemps. Ces projets réinterprétaient radicalement les droits des travailleurs-euses, des consommateurs-trices, des personnes tuées ou blessées par le fait d’entreprises, les lois sur les taxes, les droits sur la démocratie locale, et manœuvraient pour empêcher l’application de la réforme de l’assurance maladie. Ils venaient préparés et pré rédigés par ALEC et distribués aux législateurs du pays.

J.Gonzalez : (…) vous avez particulièrement écrit au sujet d’une rencontre qui s’est passée en avril dernier à Cincinnati ; si j’ai bien compris ce serait une réunion plénière des membres d’ALEC. Vous avez aussi beaucoup écrit et façon spécifique à propos du rôle des frères Koch dans cette organisation…

L.G. Ce printemps ALEC a tenu la réunion annuelle de ses groupes de travail. Ce sont des groupes de travail qui se penchent sur les lois sur la délinquance, sur l’environnement, sur la taxation, sur la santé et les assurances maladie et qui sont soumises au vote des représentants de compagnies et de législateurs-trices. ALEC dit que les votes sont pris séparément par ces deux groupes, je ne crois pas que ça fasse une grande différence. L’important c’est que ces projets de loi ont été pré approuvés par certaines des plus grandes corporations dans le monde et ils sont ratifiés par les politiciens qui dirigent ALEC et introduit partout dans le pays.

C’est une organisation qui grenouille depuis que cette idéologie radicale a pris racine au début des années soixante-dix. (…) Ce mouvement, ce réseau, cette infrastructure de groupes de réflexion et de travail a été fondé par des individus comme Charles et David Koch. Je dirais que leurs racines viennent d’un certain extrémisme. Leur père faisait partie de conseil national de la John Birch Society. Il était un tribun et un pamphlétaire et le leader de ce qui devait devenir les Koch Industries. Dans ses écrits et ses discours il soutenait que la NEA (National Endowment for the Arts) était un repère de communistes, que les écoles publiques et les livres de classe étaient remplis de théories communistes, que le président Eisenhower était trop conciliant avec les communistes et que la Cour Suprême était pro communiste.
CertainEs peuvent se rebeller devant un tel programme. Mais d’autres peuvent passer leur vie à dépenser leur richesse et leur énergie à mettre à jour ces idées, à les maintenir en vie et à continuer de les diffuser en utilisant des instruments tels que les groupes de réflexion et de travail. C’est ce que fait ALEC en faisant tous les efforts possibles pour arriver à la privatisation du système d’éducation public comme de toutes les institutions publiques d’ailleurs, pour en finir avec les impôts progressifs et les taxes pour les riches entreprises et les individus les plus riches. Voilà ce que représente leur programme.

Pour leur unité de vision avec ALEC, l’organisation a décerné aux frères Koch, l’Adam Smith Award au début des années quatre-vingt-dix. Et depuis les Koch Industries ont un siège au bureau de direction d’ALEC, leurs lobbyistes sont impliquéEs dans ses activités donc dans la préparation de ces projets de lois qui couvrent tout un éventail de sujets. Ce n’est pas seulement pour servir les intérêts des Koch Industries, une des compagnies privées les plus riches de la planète. Non, c’est un travail idéologique radical qui veut changer le pays, se débarrasser de tous les gains syndicaux et sociaux du vingtième siècle. (…) et nous faire retourner en arrière.

J.G. …les frères Koch ont aussi été lourdement impliqués dans les projets de libre échange. Que pouvez-vous nous en dire ?

L.G. Un des groupes de travail d’ALEC a élaboré toute une série de résolutions qui touchent pratiquement tous les projets de libre échange qui ont été proposés. Nous avons enquêté pour retracer les origines de ces propositions dans le monde des groupes de réflexion. Nous avons découvert que David Koch a fondé une organisation appelée Citizens for a Sound Economy. Elle a été modifiée et est devenue FreedomWorks qui est une des assises du Tea Party et fonctionne de façon autonome maintenant. David Koch a aussi créé un nouveau groupe appelé Americans for Prosperity qui lui aussi arme le Tea Party en fausses informations et désinformation.
Le groupe Citizens for a Sound Economy dès son départ a travaillé avec acharnement en faveur des traités de libre échange au cours des années soixante-dix. À l’époque il y avait un fort appel pour ce qu’on appelait le protectionnisme pour les industries américaines, celles qui étaient l’armature de l’économie et de la classe moyenne américaines, celles qui nourrissaient le rêve américain, les industries de l’acier et de ses travailleurs-euses, du bois, etc. Donc, Citizens for a Sound Economy militait pour le libre échange. Il a rallié d’autres groupes et d’autres entreprises. ALEC s’est chargé de mettre ces idées en résolutions et les a diffusées dans les groupes de réflexion de droite où elles ont été utilisées.

Nous avons aussi découvert que Citizens for a Sound Economy a manœuvré en 1987 pour le retrait de la loi Glass-Steagall qui a été adoptée tout juste après la Grande Dépression et qui créait une barrière entre les banques d’affaires et celle de dépôts pour empêcher celles-ce de s’inscrire à la bourse. Donc cette tentative venait de l’organisation créée par D. Koch.

Ce que nous révèlent la masse de documents que vous pouvez consulter sur notre site (alecexposed.org), c’est une marche vers le type de crise budgétaire que nous vivons en ce moment. Dans les sections sur les budgets et les taxes, nous trouvons le plan précis pour que les entreprises américaines puissent délocaliser les emplois, les expédier hors du pays tout en limitant leur imposition. Nous sommes dans une crise parce que nous n’arrivons pas à faire payer les plus riches entreprises, à leur faire payer leur juste part, à ce qu’elles ne fassent pas qu’emmagasiner des profits. Pendant que les politiciens qui travaillent pour ces entreprises et les soutiennent insistent pour effectuer des coupes dans Social Security et Medicaid, propositions qui se retrouvent dans ces documents secrets, ils insistent tout autant contre les augmentations d’impôts de ces entreprises parmi les plus riches au monde. Ils veulent même qu’on les leur réduise, qu’on diminue l’impôt sur leurs gains en capital et que le gouvernement diminue ses dépenses. Lorsque les entreprises ont bénéficié de ce régime elles ont gardé en banque les montants ainsi épargnés. Elles ne les ont pas utilisées pour créer des emplois. Cette politique a été un échec pour la création d’emplois.

1. A.G. Lisa Graves, vous nous parlez depuis Madison, Wisconsin où s’est produite l’énorme mobilisation des travailleurs-euses du secteur public et de leurs supporters plus tôt cette année. (…) Pouvez-vous nous parler spécifiquement des frères Koch, d’ALEC et des effets qu’ils ont eu au Wisconsin, sur les soins de santé en général et sur les enjeux de la loi sur le retrait des dispositions en matière d’assurance maladie qui a été adoptée ?

2. L.G. Oui, bien sûr. Un de nos collaborateurs spécialisé dans les soins de santé, Wendell Potter a publié un long article à ce sujet dans le magazine The Nation (…) dans un effort pour alerter le public sur ce qui se passe ici. Il est très clair, à partir des documents que l’on trouve sur alecexposed.org, qu’ALEC a agit dans l’ombre pour arriver à la privatisation de la Social Security de Medicaid et Medicare au moyens du système des bons. Et nous savons bel et bien par leurs déclarations publiques qu’ils sont contre la réforme de l’assurance santé (telle qu’adoptée par le Congrès l’an passé). Ils se sont rabattus sur les États pour y fomenter la résistance à cette réforme. Quand vous examinez la masse de documents que nous publions, vous y trouvez ce qu’il y a derrière la rhétorique : les vrais détails concrets de ce plan.

3. Je dirais aussi que cette hostilité envers les institutions publiques, envers les stratégies publiques pour faire avancer le pays par l’éducation publique, est le moteur qui a dirigé les attaques contre ces institutions. Ces attaques ont été alimentées par les fondations des frères Koch via leur industrie, ALEC et d’autres organisations. Cette idéologie vise à augmenter les profits privés aux frais des fonds publics. Par exemple, le système de bons dans l’éducation ne fait que prendre l’argent des taxes et impôts pour les donner à des institutions privées. La plupart du temps ce sont des compagnies propriétaires d’écoles à but lucratif qui assurent ainsi leurs profits et payent leurs dirigeantEs à même les fonds publics. Impossible avec ce système de mettre les sommes nécessaires dans les écoles pour tous et toutes aux Etats-Unis.

Ces idées ont leur racine dans les idées du père Koch et d’autres comme lui. Ils les ont cultivées et disséminées à coût de millions et millions de dollars grâce à leur infrastructure de groupes de réflexion. ALEC permet aux frères Koch et à d’autres comme eux de nous enfermer dans leur projet en toute légalité puisque leurs résolutions, leurs soi-disant résolutions modèles, sont prises en mains par les législateurs-trices et finalement adoptées partout dans le pays. Elles deviennent des LOIS !

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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