Suite à une plainte de Boeing au Département du commerce américain sur des subventions qu’aurait accordé le gouvernement québécois à la société Bombardier pour la production d’avions de la C-Series, l’organisme étatsunien a imposé des droits compensatoires de 219,63% à Bombardier. Cette décision, avant de s’appliquer, doit être revue par un tribunal du commerce. L’objectif de Boeing est littéralement de couper les ailes de Bombardier sur le marché américain. Le géant américain ne veut pas que la multinationale canadienne grignote ses parts du marché.
On se soutiendra que fin octobre 2015, le gouvernement Couillard avait offert un soutien de plus d’un milliard de dollars à l’entreprise en difficulté créant une société en commandite pour permettre à Bombardier de continuer la production des avions de la C series. La décision d’utiliser l’argent public était présentée par le premier ministre comme une mesure nécessaire pour sauver des emplois qui auraient été perdus, n’eût été cette initiative gouvernementale. Mais, le gouvernement se contentait de contrôler 49,5% des actions laissant à l’entreprise Bombardier le contrôle de la nouvelle entité. Profitant de cette manne, le conseil d’administration de l’entreprise devait s’accorder de généreuses augmentations de revenus provoquant l’indignation de plusieurs. [1]
Face aux journalistes, qui interrogeaient le premier ministre sur cette remise en question du libre-échange par les autorités américaines, celui-ci a insisté sur son soutien inconditionnel au libre-échange et sur les opportunités que l’ALENA offre à la classe d’affaires du Québec. Pourtant, il faut être clair, ce que veut sauver Philippe Couillard, c’est sa crédibilité politique. Si le projet de la C series pique du nez, c’est peut-être quelques centaines d’emplois qui seront perdus, mais il saisit pertinemment qu’il se fera reprocher par l’opposition d’avoir dilapidé l’argent public. Il sait qu’il joue gros. Il sait que la meilleure façon de se protéger et de protéger la réputation de son gouvernement, c’est d’en appeler à la solidarité de tous derrière ses politiques. C’est pourtant là un pari bien risqué. Depuis la signature de l’ALENA, les États-Unis ont toujours été davantage protectionnistes que libre-échangistes. La saga sur le bois d’oeuvre est tout à fait pertinente à cet égard. En fait, ce ne sont pas moins de 50 batailles commerciales que les États-Unis ont engagées contre le Canada depuis les années 80, et dans la plupart des cas, la seule menace a suffi aux États-Unis pour faire reculer la partie canadienne. [2]
Pour se dégager de la nécessité d’un soutien public ininterrompu à une entreprise multinationale que promeut le premier ministre, il faut prendre cette situation à la racine, contester la politique industrielle de ce gouvernement et esquisser une alternative à cette dernière. Une esquisse même grossière vaut mieux que de se laisser piéger dans les filets de la basse démagogie du gouvernement libéral.
La politique industrielle néolibérale au service du grand capital québécois et étranger
Depuis la fin des années 80, la classe d’affaires au Québec, dont une bonne partie avec été mise au monde dans les décennies précédentes (construction du Québec inc.) par les interventions publiques grâce à différentes sociétés d’État, qui l’ont supporté dans ses démarches d’accumulation ne cherche qu’à faire sa place dans le cadre de la mondialisation tout en instrumentant les gouvernements fédéral et québécois pour cet objectif… [3]Nombre de cadres de ces sociétés d’État qui devaient se retrouver à la tête d’entreprises privées dans différents secteurs [4] se sont tournés vers la conquête du marché international.
Même Hydro-Québec a redéfini ses orientations stratégiques. Cette entreprise publique a cessé d’être fiduciaire de l’indépendance énergétique du Québec et vise maintenant l’exportation de l’électricité vers les États-Unis. Le plan Nord de Jean Charest, à peine redéfini par le gouvernement Marois, donnait à Hydro-Québec la mission de fournir les besoins énergétiques des industries extractives. La politique industrielle des néolibéraux dans ce cadre vise essentiellement à développer l’attractivité des capitaux étrangers par une fiscalité compétitive et un ralliement à une politique économique marquée par l’extractivisme.
La Caisse de Dépôt et Placement du Québec (CDPQ) ont vu ses missions redéfinies à la faveur de la priorité donnée à la recherche de rendements financiers les plus juteux. Elle s’est laissé entraîner dans les pratiques spéculatives les plus hasardeuses qui ont conduit à des pertes à la hauteur de 40 milliards de dollars en 2008. Le dépassement de sa logique purement financière n’a pas conduit à une politique d’investissements permettant le renforcement de la base productive de l’économie québécoise, mais s’est concrétisé par des investissements importants dans l’exploitation du pétrole tiré des sables bitumineux de l’Alberta. Investissements spéculatifs, investissements dans les sables bitumineux de l’Alberta, investissements dans l’immobilier à Londres ou à New York, on est loin du mandat de développement d’une économie québécoise autocentrée.
Mais en l’absence de politique industrielle permettant de relier et de donner une cohésion à l’ensemble de ces secteurs industriels, l’économie du Québec est de plus en plus extravertie et dépendant de la stratégie de mondialisation canadienne qui vise à devenir un champion de l’exportation du pétrole, du gaz, de la potasse et d’autres matières premières. La politique économique canadienne sacrifie ainsi les atouts de sa base industrielle au profit des ressources énergétiques et naturelles. Elle ne craint pas de renforcer les émissions de gaz à effet de serre. Le lancement de la cimenterie à Port Daniel s’inscrit étroitement dans ce type de politique et elle risque de mener à de nouveaux déboires. [5]
Les principaux secteurs manufacturiers du Québec (informatique, pharmaceutique, matériel roulant, aéronautique, télécommunications) sont essentiellement tournés vers l’exportation et ont cru pouvoir disposer d’un important marché grâce aux accords de libre-échange. En se ralliant aux politiques de libre-échange, des nationalistes du PQ pensaient s’affranchir des barrières et des contraintes canadiennes et d’être moins dépendants de l’économie canadienne. Ils pensaient que la réorientation des échanges sur un axe nord-sud serait profitable à l’économie du Québec et élargiraient les marges de manœuvres politiques face à l’État canadien. En fait, il n’en fut rien, le capital québécois a de fait misé sur la mondialisation et il s’est tourné vers l’État canadien, véritable responsable des politiques de mondialisation. [6]. Le gouvernement canadien a axé sa politique industrielle sur une stratégie pétrolière et la transformation de l’État canadien en État pétrolier. Il a donc moins misé sur sa base industrielle. On va voir une partie du capital québécois adopter une telle orientation.
L’ouverture à l’exploitation des hydrocarbures, et particulièrement du gaz naturel s’inscrit dans ce cadre. L’adoption de la politique énergétique (loi106 et les règlements qui viennent d’être déposés) donne une large place à l’exploitation des hydrocarbures. Le gouvernement libéral de Philippe Couillard mène les politiques défendues par les organisations patronales qui se sont portées à la défense de la construction des pipelines de l’ouest sur le territoire québécois et de l’exploration pétrolière et gazière sur le territoire.
Ce ralliement des gouvernements et du capital québécois derrière la stratégie canadienne et l’absence d’une politique industrielle conséquente aura des effets dévastateurs sur les industries manufacturières.
« En effet, l’accent mis par le fédéral sur l’exploitation et l’exploitation des hydrocarbures dope artificiellement le dollar canadien, ce qui handicape le secteur manufacturier sur lequel repose depuis plus de 50 ans l’économie du Québec… Ainsi les emplois dans le secteur manufacturier ont connu une baisse au Québec de près de 40% dans les 25 dernières années… Devant ce constat, et désirant améliorer ses indicateurs économiques, le gouvernement québécois tend à reproduire l’approche fédérale en investissant dans l’exploitation pétrolière. Or, ce type de développement industriel, rappelons-le, est précisément ce qui a nui à la diversité et au tissu économique canadien et québécois ces dernières années. De plus cette orientation choisit de miser sur les industries non durables qui auront des impacts négatifs sur l’environnement et la qualité de vie à l’intérieur et à l’extérieur des frontières québécoises. [7]
Quelles politiques industrielles pour un développement centré sur le bien commun ?
Une politique industrielle devra chercher à introduire une dynamique de cohérence sur le territoire selon des logiques de proximité. Elle devra s’articuler autour de trois axes : [8] :
1. La recherche d’une indépendance énergétique et de la transition vers les énergies renouvelables peut et doit être un premier axe du renouvellement de la structure industrielle du Québec. Le Québec est déjà bien placé à ce niveau avec la maîtrise des ressources hydroélectriques par Hydro-Québec. Le refus de laisser Hydro-Québec être le maître d’oeuvre du développement de l’éolien et la place laissée au secteur privé a empêché le Québec de profiter de son avantage au niveau de la sortie des hydrocarbures. La nationalisation de l’industrie éolienne et de celle du développement de l’énergie solaire (avec l’ensemble des recherches qui restent à faire) peut créer les conditions de l’indépendance énergétique et d’une transition véritable. Ces nationalisations peuvent être combinées avec une socialisation démocratique de la gestion qui pourrait être décentralisée et basées sur des petites coopératives locales et régionales.
2. Le développement du transport public, de la construction de matériel roulant et des infrastructures adéquates à ces moyens de transport collectif constitue le deuxième axe d’une politique industrielle. Il s’agit, par exemple, de la construction d’une industrie de tramways et de flottes d’autobus électrifiés. La construction d’un monorail haute vitesse entre les principaux centres du Québec pourrait être un projet phare dans ce tournant majeur pour parvenir à mettre fin au tout à l’auto. Cet axe s’oppose à une électrification centrée sur l’automobile qui risque d’élargir encore le parc automobile et de nous enfoncer dans les problèmes de congestion. Pourtant, c’est bien dans cette voie que le Conseil du patronat invite le gouvernement à s’engager. Cela impliquerait une réorientation radicale au niveau de la nature des infrastructures qu’il nous faut. Le développement du transport par cabotage entre les différentes villes du St-Laurent serait une autre dimension pour sortir du transport routier coûteux et polluant…
3. La sortie d’une agriculture agro-exportatrice et le développement d’une agriculture visant une véritable souveraineté alimentaire sont un troisième axe de transformation de l’appareil de production. L’agriculture viserait à fournir tous les quartiers, villages et régions, d’aliments produits localement et qui pourrait être soutenus par le biais de tarifs d’électricité préférentiels et en facilitant le recours à toutes sortes d’énergies vertes. [9] Le développement d’une telle agriculture nécessite le refus d’accord de libre-échange brimant les capacités d’initiatives autonomes des agriculteur-e-s et qui ouvrent tous les marchés aux multinationales de l’alimentation.
Une telle politique industrielle nécessite de se donner les moyens financiers de la réaliser. Il faudra redéfinir la mission de la Caisse de dépôt et placement vers des investissements pouvant assurer la transition énergétique, la transformation radicale du système de transport et la souveraineté alimentaire. La Caisse devra retirer ces investissements des sables bitumineux. Elle devra devenir un instrument de la réorientation de l’appareil de production au Québec… La mobilisation des argents disponibles nécessitera d’aller plus loin et de socialiser le secteur bancaire afin d’en faire un véritable service public.
La prise de contrôle public du secteur matériel roulant Bombardier dans ce contexte devra répondre aux politiques véritables de la réorientation des politiques du Québec : non pas dans une économie extravertie soumise aux bons vouloirs de la politique du gouvernement américain, mais une économie cherchant à se donner une cohérence à la fois écologique et territoriale se tournant vers la satisfaction du bien commun et des entreprises d’économie sociale issues des initiatives qui pourront fleurir dans les différentes régions du Québec.
Un message, un commentaire ?