Seule la capture du dirigeant semblait toutefois manquer aux rebelles, qui affirment contrôler près de 85 % de la capitale, pour s’assurer une victoire totale. Personne ne sait avec certitude où se trouvait Mouammar Kadhafi, lundi. On le soupçonnait de se retrancher dans sa résidence, entouré de son dernier carré de fidèles, ou d’avoir quitté le pays. Aucune de ces informations n’a été confirmée. Le Pentagone assure que le leader libyen se trouve toujours dans le pays. Kadhafi a envoyé trois messages sonores en moins de vingt-quatre heures, le dernier datant de dimanche matin. Il martelait qu’il ne se rendrait pas et sortirait "victorieux" de la bataille de Tripoli.
Mais le clan Kadhafi, lui, a commencé à se désagréger. Trois des fils du dictateur ont été arrêtés par les rebelles, lundi. Saïf Al-Islam et Saadi Kadhafi sont toujours aux mains des rebelles, alors que Mohamed, autre fils arrêté lundi, a pu s’échapper avec l’aide de soldats loyalistes. Quant à Khamis Kadhafi, à la tête d’une redoutable brigade en route pour Tripoli, il aurait été tué, selon Al-Jazira.
Les combats étaient toujours très violents en fin de journée dans le centre-ville de Tripoli, autour de la résidence de Kadhafi, de la place Verte, un lieu symbolique du régime aux mains des rebelles, et de l’hôtel Rixos, où une quarantaine de journalistes occidentaux étaient coincés. Des témoins ont également fait état d’accrochages dans plusieurs quartiers du centre-ville, notamment du côté du port, et de la présence de tireurs embusqués pro-régime sur le toit d’immeubles.
Ailleurs dans le pays, des affrontements faisaient rage non loin de la frontière tunisienne, à Al-Aziziya, à 50 km au sud de Tripoli et à Al-Khoms, à mi-chemin entre la capitale et Misrata. Dans l’Est libyen, les forces encore fidèles au colonel Kadhafi ont quitté Brega, se repliant vers Syrte. Selon une source officielle française, citée anonymement par l’AFP, la chute de Tripoli et du régime du colonel Kadhafi est "une question d’heures ou de jours au grand maximum". "Le régime de Kadhafi a vécu, même s’il est difficile de dire quand la ville sera complètement sous contrôle (...) On est prudent", insiste la source, car "une poignée de désespérés avec des roquettes et des chars de combat peut faire des victimes".
"On a tourné la page sombre de cette dictature"
Prennant acte de cette victoire, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, a annoncé son intention de quitter Benghazi, son siège historique, pour se rendre le plus vite possible à Tripoli. Le chef du CNT a demandé l’aide internationale, tout en mettant en garde contre tout débordement. Il a même évoqué sa possible démission pour protester contre les actes de vengeance perpétrés selon lui par certains combattants rebelles sur le terrain. "Je salue l’action des chefs des révolutionnaires, j’ai confiance en leur parole, mais certains actes de quelques-uns de leurs hommes m’inquiètent", a déclaré Moustapha Abdeljalil, évoquant "des actes de vengeance".
"Depuis hier, on a tourné la page sombre de cette dictature, la plus meurtrière dans l’Histoire et nous ouvrons une page de liberté, de démocratie et de droits de l’homme dans notre pays", a ajouté l’émissaire du CNT à Paris, Mansour Saïf Al-Nasr. "Nous demandons à tous nos amis partout dans le monde qui ont une expérience démocratique plus avancée de nous aider à instaurer un régime démocratique. Nous demandons (...) à tous nos alliés de nous aider à former une armée qui travaillera pour le pays et non pas pour un homme, d’instaurer un régime de sécurité qui sera (là) pour défendre le pays, pour protéger le citoyen et non pas pour l’attaquer", a-t-il ajouté. L’Egypte et le Koweït ont reconnu, lundi, le CNT comme nouveau maître du pays. La Ligue arabe s’est pour sa part dite "totalement solidaire" des rebelles. Mahmoud Djibril, premier ministre du CNT, est attendu à Paris mercredi et en Italie en fin de semaine.
La communauté internationale, et particulièrement les pays engagés militairement en Libye depuis cinq mois, ont unanimement salué la fin du régime de Mouammar Kadhafi et promis d’œuvrer à une transition paisible. Pour le président américain, Barack Obama, l’ère du régime de Kadhafi "touche à sa fin". "L’avenir de la Libye est entre les mains de son peuple", a-t-il indiqué depuis l’île de Martha’s Vineyard, tout en prévenant que leur combat "n’est pas encore terminé", et ajouté que Mouammar Kadhafi "avait encore la possibilité d’empêcher un nouveau bain de sang en renonçant expressément au pouvoir et en appelant les forces qui continuent à se battre à baisser les armes".
Coordination internationale
Le président français Nicolas Sarkozy, un des grands artisans de la coalition internationale qui est intervenue en Libye, a appelé les pro-Kadhafi à cesser "immédiatement" le feu et a "condamné avec la plus grande fermeté les appels irresponsables et désespérés" du colonel libyen. L’UE et Londres ont également affirmé que la fin du régime était proche, le premier ministre britannique, David Cameron, estimant que le colonel Kadhafi "bat en retraite" et "doit arrêter le combat", tandis que Berlin appelait le dictateur à renoncer au pouvoir, estimant qu’il a "perdu toute légitimité". L’Italie, qui a mis du temps à prendre ses distances avec le régime libyen, a appelé Kadhafi à se rendre pour "épargner à son peuple de nouvelles souffrances".
Les prochains jours seront cruciaux pour coordonner l’action internationale pour la Libye. La France a proposé une réunion du Groupe de contact sur le Libye, qui comprend une trentaine de pays et plusieurs organisations internationales parmi lesquelles l’ONU, l’UE et la Ligue arabe. Washington a annoncé de son côté que des diplomates de haut rang des pays membres du Groupe de contact se réuniraient jeudi à Istanbul pour "coordonner les prochaines étapes" et qu’une décision serait prise à cette occasion sur l’offre française. L’ONU aura quant à elle "un rôle important à jouer pour accompagner la phase de transition qui va s’ouvrir", ont annoncé Nicolas Sarkozy et David Cameron. L’ensemble des pays occidentaux ont réaffirmé qu’en aucun cas ils n’enverraient des troupes au sol.
Prennant un peu plus de recul, le chef de la diplomatie française Alain Juppé a estimé que la chute du régime libyen allait "avoir des conséquences considérables sur la Syrie" où le président Bachar Al-Assad doit également faire face à la contestation de son peuple. "On voit bien qu’aujourd’hui, un régime dictatorial ne peut plus se maintenir au pouvoir contres vents et marées et contre l’aspiration des peuples", a-t-il déclaré sur TF1, tout en précisant qu’"il n’y aura pas d’intervention militaire en Syrie".