Comment s’est fait l’accord entre Podemos et Izquierda Unida (IU) ?
Manolo Gari – Suite à la présentation séparée de IU et de Podemos le 20 décembre dernier, un groupe de personnes – artistes, universitaires, etc. – a lancé un appel à l’unité des listes de ces deux formations, qui a été le détonateur d’un processus de rapprochement entre eux. En partie, par nécessité, mais aussi parce qu’une très large partie de leur électorat et de leurs militant·e·s l’exigeaient pour tenter de battre le PP. L’objectif, c’est d’arriver en tête le 26 juin !
Cela a conduit à un débat sur le programme commun et la représentation de chaque organisation sur les listes. Sur le dernier point, la formule adoptée assure à IU, force minoritaire, une présence significative au parlement et au sénat. Ainsi, Podemos reconnaît IU comme force nécessaire et fait, selon moi, une autocritique par rapport à son attitude antérieure.
Les deux organisations ont gagné du crédit dans l’opinion publique et vont progresser ; l’unité devrait aussi leur assurer un meilleur « rendement » des votes en termes de sièges. Le dernier sondage donne à Unidos Podemos ou Unidas Podemos (le nom est aussi décliné au féminin) une avance suffisante pour dépasser le PSOE et tutoyer le PP en nombre de sièges.
Quels sont les principaux points du programme électoral commun ?
Il a fallu déposer les listes très vite et il y avait 52 circonscriptions électorales à couvrir pour le parlement et le sénat. D’où un programme consensuel pour les deux, qui a ses qualités, notamment sa tonalité féministe et écologiste, même si elle pourrait être améliorée. Sur l’Europe, il exprime un rejet du modèle de construction de l’UE et de l’euro, mais il dit peu de choses sur les alternatives. Ses quelques propositions sont très générales, du type « conférences pour traiter de la dette, du déficit ou du plan de stabilité », mais ne disent rien sur ce qu’il faudra défendre, hormis la réduction de l’austérité.
Ce programme pose mal le problème de la dette : il n’évoque pas un modèle de restructuration concret, alors que ce sera la question clé pour le prochain gouvernement, qu’il soit de gauche ou « de grande coalition » (PSOE-PP). En cas de « grande coalition », il faudra mener une politique systématique d’opposition ; en cas de gouvernement de gauche, ce sera la première question à aborder.
Le programme de UP se centre sur la question du déficit, en partie avec l’espoir, déjà agité par Varoufakis et Tsipras, que de bons négociateurs pourraient obtenir certaines marges de manœuvre. Mais quelles mesures prendre en cas d’agression de la troïka, en particulier de la Banque Centrale et de la Commission européenne ? Aucun plan B n’est précisé. Enfin, le programme social – logement, nouvelles relations de travail, hausses de salaires, etc – est dans l’ensemble correct.
Les sondages prévoient que UP dépasse le PSOE, mais que le PP arrive en tête. Si c’était le cas, comment l’UP et le PSOE réagiraient ?
Dans les sondages, l’abstention reste élevée, et les experts disent qu’elle va pénaliser la gauche, tandis que la fidélité des électeurs·trices de droite est plus forte. Il faut donc mobiliser l’électorat populaire avec d’autres motivations et espérances que celles soulevées par les élections du 20 décembre dernier en mettant en avant des thèmes mobilisateurs.
Le mouvement social est dans l’expectative, marqué par l’attentisme électoral. Et cela ne favorise pas UP, parce que cette coalition résulte des mobilisations. Il est cependant possible qu’elle réalise le score qu’on lui prédit, et même qu’elle le dépasse, parce qu’elle suscite un espoir nouveau.
Si UP participe ou tente de participer à un gouvernement, le PSOE aura un sérieux problème : il est en crise depuis longtemps, avec beaucoup de dissensions internes. Une part croissante de sa base électorale, surtout dans la jeunesse, a rejoint Podemos. Son électorat est formé de nombreux retraité·e·s, parce que le pays a beaucoup vieilli. Il traverse donc l’un des pires moments de son histoire, mais il n’est pas mort.
Le PSOE est lié à la Constitution de 1978, qui a placé au centre le maintien du statu quo politique. Il ne conçoit pas l’UE très différemment que le PP, ce qui tranche avec la vision de Podemos, voire de UP, malgré ses ambiguïtés. Il est d’accord avec le PP sur le Pacte de stabilité, sur Maastricht, etc. Il a peut-être une vision plus sociale, mais cela ne l’a pas empêché d’appuyer une politique inhumaine sur l’immigration et les réfugié·e·s. Il a plus en commun, en termes de programme, avec la droite, même si sa base électorale est plus proche de celle de UP.
Le plus probable c’est que les multinationales, les grandes entreprises espagnoles et les grands moyens de communication, qui ont déjà commencé à faire campagne, dans ce sens, exercent de fortes pressions pour une « grande coalition ». C’est un risque sérieux et il faut le dire clairement. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas mener la bataille dans le but de gagner.
Je crois que UP doit se porter candidat à présider le gouvernement. Il doit avoir l’audace et le courage de dire « Oui, nous voulons et nous pouvons gouverner, et nous allons le faire à notre manière en affrontant tous les risques que cela suppose ! ».
* Cette interview paraîtra en Suisse dans le prochain numéro de solidaritéS, pour lequel elle a été traduite. La version originale, plus longue, a été faite par le Bloco de Esquerda au Portugal.