Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Un second printemps arabe ?

Il existe des différences majeures entre la vague actuelle de manifestations et les soulèvements de 2011.

Les manifestations populaires observées dans le monde arabe ces derniers mois – en Algérie, au Soudan, en Jordanie et dans la bande de Gaza – ont été décrites comme une « deuxième vague » de ce qu’on a appelé le printemps arabe, ou une version corrigée de celui-ci.

Tiré de Tlaxcala.org

Cette première vague avait débuté en Tunisie en 2011, puis s’est étendue en Égypte, en Libye, au Yémen, en Syrie et ailleurs. Elle avait entraîné la chute de certains régimes (en Tunisie et en Libye [dans ce dernier cas par une massive campagne de bombardements de l’OTAN – NdT]) et d’autres partiellement (Égypte et Yémen), tout en échouant en Syrie. Dans d’autres pays tels que le Maroc, Oman et la Jordanie, l’impact a été amorti à un stade précoce par l’adoption rapide de mesures de réforme et par une gestion prudente de la crise.

Les manifestations en Algérie, au Soudan, en Jordanie et à Gaza ne sont pas identiques et ne peuvent être considérées comme un seul phénomène. Chacune a ses propres circonstances, qui ne se ressemblent que partiellement et diffèrent nettement de la première vague d’il y a huit ans. Plusieurs observations peuvent être faites sur ces différences :

 Les manifestations de 2011 ont été accompagnées d’une couverture télévisée permanente de la chaîne Al-Jazeera, principal outil de mobilisation qui a offert une plate-forme sans égale aux militants, analystes et experts. Mais la même chaîne n’a guère couvert les quatre mouvements de protestation actuels. Cela s’explique par de nombreuses raisons, notamment par le discrédit de la tentative de « révolution » en Syrie – devenue violente et sectaire, avec une implication des services de renseignement occidentaux largement reconnue et l’infiltration de salafistes intransigeants – et son incapacité à renverser le régime.

 Les mouvements islamistes ont joué un rôle de premier plan dans la plupart des soulèvements de 2011, avec un financement saoudien ou qatari et un soutien occidental. Mais cela n’a pas été le cas dans les manifestations actuelles (voir plus loin).

 La première vague de manifestations avait engendré des « stars », principalement des islamistes, qui sont devenus les porte-parole et représentants de facto : le religieux égyptien Yousef al-Qardawi, Salman al-Odeh en Arabie Saoudite, Adnan al-Arour en Syrie, Ali Sallabi en Libye, le Tunisien Rachid Ghannouchi, etc… Ceux-ci et d’autres sont devenus les idéologues des soulèvements et ont mobilisé les masses sur les médias sociaux où ils ont acquis une audience faite de millions de suiveurs. Mais ces chiffres ont été complètement absents de la vague de manifestations actuelle, soit parce que les masses en mouvement ont tiré les leçons de leurs expériences précédentes, soit parce que la plupart des participants sont des jeunes mobilisés sur une base non idéologique. Ils ont clairement montré leur détermination à empêcher les islamistes de prendre part à leurs mouvements, ou du moins de les diriger.

 Dans les quatre cas, les manifestations ont été résolument pacifiques, évitant les affrontements avec les forces de sécurité, les pillages et le vandalisme – afin de ne pas répéter l’expérience de la vague précédente qui avait abouti à la création d’États en faillite tels que la Libye et le Yémen.

 L’absence de soutien étranger, qu’il soit occidental ou arabe. Les nouveaux manifestants, notamment en Algérie et au Soudan, rejettent catégoriquement tout soutien de ce type. De plus, le Qatar et la Turquie, principaux soutiens des groupes islamistes lors de la première vague, sont actuellement préoccupés par leurs propres problèmes : le Qatar par son conflit avec ses voisins du Golfe et l’Égypte, et la Turquie avec les conséquences de la tentative de coup d’État militaire, ses difficultés économiques et l’afflux massif de réfugiés en provenance de Syrie.

 Le discrédit du « modèle » islamiste turc installé par le président Recep Tayyip Erdogan, qui a supervisé le renforcement considérable de l’économie de son pays. Fondé sur l’affichage de trois piliers : la démocratie, la croissance économique et l’islam modéré, ce modèle a inspiré de nombreux Arabes en 2011. Mais les événements survenus depuis lors, y compris l’intervention de la Turquie en Syrie et sa répression interne sévère provoquée par le coup d’État manqué, ont terni ce modèle, en faveur d’une alternative civico-démocratique.

 La rupture administrative et le chaos politique et économique qui ont suivi la première vague du Printemps arabe dans de nombreux pays ont rendu les masses arabes plus prudentes et moins pressées. Certains accordent la priorité à la sécurité et à la stabilité avant la poursuite de réformes radicales, après avoir constaté comment le changement était exploité dans d’autres pays pour organiser des contre-révolutions et imposer une dictature à la poigne de fer.

 Bien que les mouvements de protestation populaires actuels ne mettent pas en avant de personnalités, ils sont bien organisés, disciplinés et politisés. Les manifestants algériens ont insisté à plusieurs reprises sur deux points : premièrement, ils ne permettront jamais que se reproduisent les expériences syrienne ou libyenne, ni ne toléreront aucun appel aux armes ou toute tentative d’infiltration par des idéologues radicaux. Deuxièmement, leur rejet de toute division sur des bases ethniques ou sectaires et leur engagement, du moins jusqu’à présent, en faveur de l’unité nationale. Leur totale indépendance dans la pratique et leur résistance aux ingérences occidentales ou arabes réfutent les affirmations des théoriciens du complot.

 Les gouvernements semblent avoir tiré des leçons de la première vague et ont généralement réagi de façon pacifique aux dernières manifestations. Leurs forces de sécurité ont pour la plupart – à l’exception de Gaza – fait un usage de la force relativement limité, et elles ont fait des concessions. Au Soudan, le président Bashir a promis de ne pas modifier la Constitution comme il l’avait souhaité, et a procédé à des changements de personnel au sommet. En Algérie, le président Bouteflika, ou la clique dirigeante qui l’utilise comme façade, a abandonné son projet de cinquième mandat, annulé les élections, promis un dialogue national et une commission électorale indépendante et limogé le gouvernement. Les manifestations se poursuivant, on peut s’attendre à plus de concessions [dont la récente démission de Bouteflika – NdT].

Il convient également de noter que, dans la vague de manifestations actuelle, les préoccupations nationales concernant les conditions de vie et les réformes ont été associées à des préoccupations nationales et arabes plus générales. Divers facteurs ont contribué à cette situation, allant de l’agression US et israélienne contre les Arabes et les musulmans, en passant par les tentatives visant à multiplier les conflits sectaires dans la région dans un contexte de rétablissement progressif de la Syrie et de l’Irak, avec en plus le « Deal du siècle » de Trump qui ouvre la voie à l’annexion par Israël de la Cisjordanie et du Golan. Il est révélateur qu’en Algérie, les manifestants brandissent régulièrement des drapeaux algériens et palestiniens côte à côte.

Un mot devrait être dit à propos du mouvement de protestation jordanien à cet égard. De moindre envergure qu’en Algérie ou au Soudan, il a néanmoins fait chuter un gouvernement et provoqué un changement tangible dans l’attitude des autorités face aux revendications des manifestants en matière de lutte contre la corruption et de réformes politiques. Plus important encore, les manifestations ont empêché les autorités de s’engager dans le « Deal du siècle » et ont sensibilisé le public à la menace que cela représente pour la Jordanie en transformant ce pays en une patrie alternative pour les Palestiniens et en abolissant la tutelle hachémite sur les lieux saints dans Jérusalem occupée.

Nous assistons à la montée de mouvements de protestation pacifiques, disciplinés et politiquement conscients qui pourraient devenir des précurseurs et des exemples de changement global dans toute la région. L’Algérie se démarque à cet égard. Si le mouvement populaire continue sur sa trajectoire actuelle, il sera capable d’éviter les pièges de tous les soulèvements et « révolutions » arabes antérieurs et d’imposer le changement tout en renforçant la coexistence et l’unité nationale dans un pays au potentiel immense et disposant d’un fier héritage révolutionnaire.

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