Tous les régimes du continent africain n’ont pas autant de la chance, ou plutôt des amis aussi puissants, que la dictature togolaise. Si cette dernière a pu faire « valider » les élections du 4 mars dernier – quoique entachées de fraudes massives – par la France notamment, le pouvoir soudanais n’a pas réussi à trouver des juges pareillement cléments.
Le Soudan, pays d’Afrique de l’est d’environ 40 millions d’habitant-e-s, a tenu des élections présidentielles et législatives, ses premières élections prétendument pluralistes depuis 1986, les 11 et 15 avril 2010. Les résultats définitifs n’ont été rendus publics que deux semaines plus tard. Selon les chiffres officiels, ils acteraient la réélection du président Omar el-Béchir (au pouvoir depuis 1989) avec 68 % des voix exprimées. Ces chiffres apparaissent peu crédibles, et les forces d’opposition soudanaises avaient en partie boycotté le scrutin – en évoquant son caractère manipulé – ou s’étaient retirées au cours du déroulement des opérations électorales.
A la fin avril, l’Union européenne déclara que les élections soudanaises n’étaient pas conformes « aux exigences internationales ». Plus tard, le 11mai, la « Fondation Carter » états-unienne, qui s’occupe de la diffusion du modèle démocratique-parlementaire dans le monde, lui a emboîté le pas. Dans sa déclaration du 11 mai, la fondation états-unienne parle d’un scrutin « hautement désorganisé », « pas transparent » et soulevant « des sérieux doutes ». Ces critiques sont a priori corroborées par des faits. Une vidéo, publiée sur Youtube, montrerait des hommes en train de procéder à un bourrage des urnes en « live » à l’Ouest du Soudan.
Cependant, la prompte réaction des grandes puissances occidentales soulève néanmoins quelques questions, vue l’absence de réaction - au moins au niveau européen, puisque les Etats-Unis ont ici montré davantage de distances – vis-à-vis des élections truquées au Togo. Le Soudan est un pays riche en pétrole et qui occupe une position stratégique entre le monde arabe et l’Afrique centrale ainsi que l’Afrique de l’Est. Il est devenu depuis plusieurs années un champ de bataille entre les grandes puissances. Le jeu de ces dernières s’appuie, cependant, sur des violences extrêmes qui se sont déroulées à l’intérieur, sur fond d’opposition entre groupes de populations nomades-pasteurs d’un côté et sédentaires- Politique, économie et société agriculteurs de l’autre côté, dans un contexte de crise écologique, (raréfaction de l’eau et d’avancée du désert), mais aussi sur fond de conflits ethnicisés entre un Nord à dominante arabemusulmane et un Sud peuplé par des Noir-e-s chrétien-ne-s ou animistes.
Pour schématiser, c’est la Chine qui livre l’appui le plus inconditionnel au régime en place à Khartoum, depuis plusieurs années. Face à elle, ce sont les Etats-Unis qui – jusqu’à récemment en tous cas – ont fait preuve (au moins verbalement) de la position la plus dure, accusant le régime soudanais sans détour de commettre un « génocide » au Darfour. Or, s’il y a eu réellement d’effroyables massacres (300.000 mort-e-s et 2,7 millions de réfugié-e-s intérieur-e-s), au cours desquels le régime appuya certains groupes de population – plutôt nomades – contre d’autres groupes plutôt agriculteurs, il n’y a pas eu à proprement parler un génocide comme celui du Rwanda en 1994. L’accusation très lourde de « génocide » devait, cependant, permettre aux USA sous l’administration Bush de regagner l’offensive morale contre les critiques de sa politique en Irak ou vis-à-vis d’Israël, en faisant de la surenchère au niveau du discours. Aussi l’accusation extrême de « génocide » vis-à-vis du régime militaro-islamisant au Soudan devait-elle permettre à l’administration Bush de s’adresser aux Noir-e-s des Etats-Unis, de mobiliser les lobbys chrétiens et pro-israéliens.
Au fond du conflit entre la Chine et les USA se trouve, bien entendu, la course pour le contrôle des richesses de la région. Le radicalisme verbal des Etats-Unis de Bush à l’encontre du régime soudanais, en politique intérieure et dans les instances internationales, n’était cependant pas accompagné d’une offensive réelle contre lui. Cependant, il appuyait l’implantation des Etats-Unis dans d’autres pays de la région, pour « encercler » le Soudan (Ouganda/Rwanda, Ethiopie et autres). La France, elle, tente depuis plusieurs années de se maintenir au milieu entre les deux positions extrêmes de Pékin et de Washington.
Paris a longtemps eu de bons contacts avec le régime militaire, ce qui aura permis au ministre de l’Intérieur de l’époque – Charles Pasqua – de « récupérer », en 1994, le terroriste international Carlos qui s’était réfugié au Soudan. Total et des entreprises de bâtiment françaises étaient alors bien placées au Soudan. Aujourd’hui, la France, dont les positions stratégiques sont surtout situées au Tchad voisin, tente de ramener le régime soudanais sur une ligne qui contribue à la « stabilité » du Tchad – au lieu d’armer des groupes rebelles contre la dictature d’Idriss Déby – et qui le ramène à une « coopération » avec la Cour pénale internationale (CPI).
Cette dernière a émis, en 2009, un mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir, notamment pour des crimes commis au Darfour, déclenchant des protestations dans des pays africains et arabes. Ces derniers invoquaient – a priori à juste titre – l’unilatéralisme de la Cour qui n’a jusqu’à ce jour inculpé que des criminels africains, mais encore aucun chef d’Etat occidental, pour (parfois) aller imprudemment jusqu’à une quasi-défense du chef de l’Etat soudanais. Néanmoins, au jour d’aujourd’hui, la décision spectaculaire de la CPI contre le président soudanais a été suivi de peu d’effets, et ce dernier se déplace librement dans la région.
C’est en 2011 qu’est censé avoir lieu le référendum sur la question de l’indépendance au Sud-Soudan, promesse contenue dans l’accord d’armistice conclu en 2003 entre le régime et les rebelles de l’Armée de libération du Sud-Soudan (SPLA). Si jamais la revendication de l’indépendance aboutissait, cela priverait le régime soudanais de plus de 90 % de ses ressources pétrolières. Autrement dit, il faut s’attendre qu’il n’acceptera jamais un tel résultat. Il faudra donc s’attendra à des nouveaux affrontements guerriers dans la région, à partir de l’année prochaine.