Évidemment, la boucle ne se ferme pas là puisque les travailleurs du secteur forestier paient des impôts qui reviennent dans les coffres de l’État. Or il est ahurissant de constater qu’une industrie ayant une si grande empreinte sur notre territoire public – 300 000 hectares de forêts sont rasés chaque année en moyenne au Québec, soit plus de 1500 terrains de football par jour – représente une dépense pour le peuple québécois plutôt qu’une source de revenus. Lorsque l’on compare ces chiffres à ce que rapporte au peuple québécois Hydro-Québec ou même l’archaïque système de redevances minières, il y a de quoi tomber en bas de sa chaise.
La course effrénée pour défricher le Nord
Ce qui coûte très cher aux Québécoises et Québécois actuellement, ce sont les investissements de fonds publics pour ouvrir les derniers secteurs vierges à la coupe. Effectivement, vous payez 90% des frais pour la construction des chemins forestiers et des chemins dits de « pénétration », ceux qui défoncent les limites du Nord à coup de centaines de milliers de dollars du kilomètre. Les chiffres du Vérificateur général montraient l’an dernier que les Québécois auront payé 450 millions de dollars en dépenses fiscales d’ici 2013 pour subventionner les chemins forestiers pour les compagnies forestières. Cette subvention massive à l’industrie forestière provoque sur le terrain une course effrénée dans les portions de forêts les plus fragiles et les plus menacées, aux abords de la zone subarctique et de la limite nordique des allocations commerciales.
Pressée d’extraire le plus de matière première possible, l’industrie se doit de couvrir d’immenses distances et de défricher de vastes territoires pour obtenir une infime fraction de ce qu’elle récolte au Sud, ces zones forestières nordiques étant beaucoup moins denses. Ces opérations ne seraient aucunement rentables si ce n’était des subventions généreuses qui maintiennent le secteur forestier sur le respirateur artificiel.
Repenser le financement du secteur forestier
À moins d’une semaine du dépôt du premier budget Marceau, il est grand temps que Québec questionne en profondeur les balises de financement du secteur forestier mises en place par le gouvernement Charest. Subventionner la destruction des dernières forêts vierges du Québec n’est pas la voie du 21ème siècle, ni celle du développement durable. Là où le secteur forestier devrait bénéficier d’appuis considérables, c’est dans la création du réseau de forêts de proximité, c’est dans le développement de la deuxième et troisième transformation des produits issus de la forêt, c’est dans la mise en marché des produits forestiers non-ligneux. Le secteur doit faire plus de produits, et surtout plus de produits transformés, avec moins de forêts impactées. Les subventions actuelles font l’inverse.
De plus, Québec doit mettre en place et financer un vaste réseau d’aires protégées en forêt, tant pour le maintien de la biodiversité que pour la reconnaissance de la durabilité des produits issus de la forêt québécoise. De plus en plus de grands acheteurs au niveau mondial ne veulent plus s’approvisionner en bois ou en papier provenant de forêts insuffisamment protégées (Québec ne protège que 5% de nos forêts) ou provenant d’habitats d’espèces menacées comme le caribou forestier. Il faudra que les têtes grises au ministère des Ressources naturelles comprennent tôt ou tard que ce n’est pas n’importe quel bois, de n’importe quelle provenance, extrait de n’importe quelle façon, qui se trace le meilleur chemin sur les marchés internationaux. L’épinette de 250 ans aux abords des zones subarctiques, qui prendra plus d’un siècle à se régénérer, n’a pas sa place sur les marchés du 21ème siècle.
Nouveau chemin forestier, financé par les fonds publics pour les compagnies privées, qui défriche de nouvelles frontières au-delà du 51ème parallèle, en plein coeur d’une des dernières grandes forêts vierges de la province. Les coupes forestières sont rendues juste au sud de cette image Google Earth.