Dimanche 19 Septembre 2010, durant l’après-midi, des dizaines de milliers de chemises rouges sont retourné à l’intersection Rajprasong de Bangkok en mémoire du coup d’Etat qui s’est produit quatre ans auparavant ainsi que pour commémorer l’assassinat délibéré en avril et mai de cette année de près de 90 manifestants non armés, dont beaucoup ont été abattus par des tireurs d’élite de l’armée près de Rajprasong. Depuis ce massacre brutal commit par la junte d’Abhisit, un climat de peur a été mis en place avec des centaines de prisonniers politiques ainsi que des exécutions extra-judiciaires de militants chemise rouge.
La censure demeure stricte et les principales chaînes de télévision thaïlandaise ont omis de déclarer l’étendue de la manifestation, en trichant sur le nombre comme d’habitude. Bangkok est toujours sous état d’urgence et les Chemises Rouges ont reçu des avertissements de la part des hommes politiques de la junte et des généraux. Ces derniers leur ont « ordonné » de ne pas bloquer l’avenue. Pourtant, des dizaines de milliers de chemises rouges se sont réunis à Bangkok. Ils étaient si nombreux que la route était bloquée et la taille de la manifestation ressemblait à celle d’il y a 4 mois.
Des milliers de personnes se sont également réunis dans la ville septentrionale de Chiang Mai et des manifestations modestes ont eu lieu dans de nombreuses villes du pays. Dans le même temps des protestations coordonnées ont également eu lieu à travers le monde. En Thaïlande, deux jours avant le 19 septembre, des milliers de roses rouges ont été déposées devant 17 prisons abritant des détenus politiques.
Alors que certains écrivaillons et des journalistes conservateurs écrivaient sur la soi-disant faiblesse des chemises rouges, en affirmant que ce n’était que des pauvres « ruraux » et des gens simples « dépendants de Taksin », ce que la manifestation massive de Rajprasong prouve surtout, c’est que la base du mouvement chemise rouge est incroyablement résistante. Cela n’est pas surprenant parce que la Thaïlande a une longue tradition de lutte pour la démocratie. Ce qui est étonnant, c’est que seulement 4 mois après la répression sanglante, les Chemises Rouges ont osés retourner sur le site en très grand nombre.
La plupart des gens qui manifestaient à Rajprasong le 19 septembre étaient originaires de Bangkok, ce qui montre qu’il existe un soutien massif dans la capitale et pas seulement dans les provinces. Ce qui est encore plus encourageant, c’est que les gens sont sortis pour protester à Bangkok à la suite de l’appel de Sombat Boon-ngarmanong, l’organisateur des dimanches rouges. Sombat et ses collègues ont été submergés par l’émotion quand ils ont constatés la réponse inattendue à leur appel et la taille de la manifestation. Sombat n’est pas un politicien Peua Thai, mais un activiste pro-démocratie local.
Il a organisé la première protestation symbolique contre le coup d’État de 2006, à laquelle j’ai assisté. La raison de ceci est que la plupart des dirigeants chemises rouges sont soit en prison soit en fuite, et tandis que Taksin et des hauts responsables du parti Peua Thai appellent à la réconciliation et au compromis avec la junte, la base des Chemises rouges est capable de s’organiser de façon indépendante.
De nombreux témoins oculaires rapportent que les chemises rouges à Rajprasong scandaient « Hia Sung Ka », ce qui signifie « l’iguane a ordonné le massacre ». Iguane est une grosse insulte en thaï. Maintenant, cela peut être interprété de plusieurs façons. Cela pourrait se référer à Abhisit, au général Anupong ex-chef de l’armée, ou à Prem. Mais cela pourrait aussi bien se référer au roi. Il se peut que les gens se référaient à des personnes différentes quand ils ont scandé cette insulte. Mais mon sentiment est que la plupart de ceux qui scandaient pensaient au roi. Bien que l’auteur de ces lignes ne croit pas que le roi a des qualités suffisantes de leadership pour ordonner quoi que ce soit, ce phénomène indique qu’un mouvement républicain de plus en plus fort prend place parmi les millions de chemises rouges suite au bain de sang d’avril/mai dernier.
Le 6 octobre 1976 a été la dernière fois dans l’histoire thaïlandaise où les élites ont, avec succès, décimé le mouvement pour la démocratie, afin de rester au pouvoir. Il a fallu des années pour que le mouvement récupère, mais même alors, la croissance du Parti Communiste a finalement contraint la classe dirigeante à faire un compromis. Cette fois, les pousses de la reprise ont déjà commencé à germer seulement 4 mois après le bain de sang. Qui plus est, les élites sont confrontées à un mouvement ouvert, non souterrain, composé de millions de personnes venus de la masse sociale, et ce mouvement fait preuve d’auto-direction et de radicalisation.