2015 s’approche et un constat s’impose. Les objectifs de réduction de la pauvreté fixés en 2000 à l’ONU ne seront pas atteints. Derrière de généreuses promesses, on ne peut que faire état d’un manque certain de volonté politique et d’une approche biaisée.
A l’approche de l’ année fatidique de 2015, nous voilà confrontés à une presqu’évidence : les Objectifs du millénaire (OMD) ne seront pas atteints. Si rien ne change, près d’un milliard et demi d’individus continueront à vivre dans la misère. Constat amer ou constat d’un échec annoncé ? Dès leur adoption en 2000, plusieurs experts – y compris de la Banque mondiale – déclaraient déjà qu’ils ne seraient pas réalisés. On les disait « trop ambitieux ». Comme si le monde, qui a connu depuis 1990 – année de référence pour les OMD - une hausse des richesses produites de 250 % n’était pas en mesure d’améliorer le sort de ses défavorisés. Peut-être le temps est-il venu de faire une analyse sérieuse des raisons de l’échec de cette lutte contre la pauvreté annoncée en grande pompe dès 1990 ?
Un programme ambitieux ?
Constatons tout d’abord que réduire la pauvreté extrême – celle qui tue – en l’espace de 25 ans, ne peut guère être qualifié de programme ambitieux, surtout quand on ne prétend en sortir qu’une moitié de ceux qui en souffrent. Si un quart de siècle, pendant lequel les richesses se sont accumulées à une vitesse inouïe, ne suffit pas à sortir de la misère 20 % de la population mondiale, des questions peuvent être posées sur l’efficacité de notre système économique et politique.
De plus, des doutes sur leur faisabilité étaient permis au vu de la double stratégie mise en place : d’une part, une stratégie contraignante des organisations de Bretton Woods (Fonds monétaire international et Banque mondiale) avec les « Documents stratégiques de réduction de la pauvreté » (DRSP) |1| et, d’autre part, une stratégie volontariste mais non contraignante avec les OMD. Jusqu’à ce jour, rares sont les DSRP qui ont véritablement intégré les OMD et qui vont au-delà d’un programme de réformes politiques et macro-économiques.
Mentionnons encore la faiblesse de l’aide au développement et sans aucun doute aussi le manque de volonté politique, au Nord comme au Sud, pour véritablement éradiquer la pauvreté.
Depuis 1990, les analyses académiques sur la pauvreté se sont multipliées. Une véritable industrie s’est développée, glosant sur les définitions, les mesures et les ciblages, confirmant ainsi les constats historiques et philosophiques sur le caractère politique de toute lutte contre la pauvreté. Comme le soutient le père de la sociologie de la pauvreté, Georg Simmel, les pauvres ne sont jamais la finalité de la lutte contre la pauvreté. C’est toujours la recherche d’une légitimité politique, l’imposition de réformes économiques ou l’affaiblissement de certaines forces sociales qui prennent le pas sur l’objectif légitime d’éradiquer la pauvreté.
Tout ceci n’invalide en rien les efforts louables des milliers de personnes, au Nord comme au Sud, qui ont travaillé à réaliser ce rêve lointain et à aider les communautés et les individus à s’émanciper et à développer leurs moyens de subsistance. Toutefois, si ces efforts doivent être couronnés de succès, une analyse plus approfondie s’impose pour éviter les échecs à l’avenir.
Pourquoi les OMD ne peuvent-ils être atteints ?
D’abord, il convient de souligner une fois de plus que la lutte contre la pauvreté n’est pas synonyme de développement. Aussi critique que l’on puisse être, aujourd’hui, à l’égard des rêves de développement industriel et d’un passé de coopération en faveur des intérêts des donateurs, le « développement » tel que défini par l’ONU à partir des années 60 sous l’influence de la majorité des nouveaux pays indépendants et de l’Amérique latine, visait à une diversification et une modernisation économique, à l’auto-détermination et à l’émancipation collective. En matière sociale, l’objectif était le développement d’un Etat social inspiré par le modèle occidental, avec un respect de tous les droits humains et des systèmes de redistribution des revenus et de solidarité. Ces principes restent aujourd’hui tout à fait valables, même si la crise écologique actuelle nous oblige à redéfinir certains concepts.
Or, dans des pays où le taux de pauvreté est supérieur à 50 %, voire avoisine les 80 ou même 90 %, comme c’est le cas en Afrique, il est évident qu’un développement des activités économiques et de la capacité de production, ainsi que celui des infrastructures, devra précéder une réduction de la pauvreté. En d’autres mots, celle-ci ne peut être que le résultat d’un processus de développement économique et social réussi. Jamais elle ne peut le remplacer ! Pour que les politiques de réduction de la pauvreté puissent avoir du succès, il faudra donc renverser les priorités et commencer par le développement régional ou national. L’ONU l’a compris et demande aujourd’hui des plans de développement nationaux. C’est dans le cadre de tels plans que la pauvreté peut être durablement réduite.
Ensuite, les OMD ne sont qu’un reflet très faible des multiples plans d’action adoptés lors des différentes conférences mondiales de l’ONU dans les années 90 sur l’environnement, la population, les droits humains, les femmes, le développement social, l’habitat, l’alimentation … Le Secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan, l’avait bien compris en déplorant le caractère très partiel des OMD. C’est pourquoi, depuis quelques années, les Nations Unies parlent des « OMD » mais aussi des « Objectifs du développement internationalement acceptés » (IADGs , sigles en anglais).
L’abandon des plans d’action est particulièrement grave dans le cas de la Conférence sur le développement social de 1995. Celle-ci parlait notamment de la pauvreté, de l’emploi et de l’intégration sociale et, bien qu’imprégnée par le néolibéralisme de l’époque, permettait des politiques bien plus ambitieuses que celles des OMD. Les multiples conférences mondiales onusiennes ont été organisées après la fin de la Guerre froide et étaient censées revitaliser la coopération au développement, libérée des contraintes idéologiques. Mis en œuvres, ces plans d’action auraient permis un développement économique et social durable de l’ensemble de la planète, dont la réduction de la pauvreté aurait été la conséquence. Cela n’a pas été le cas.
Enfin, des questions peuvent être posées sur le choix de la priorité d’une réduction de la pauvreté. En effet, réduire la pauvreté tout en ignorant les inégalités est un choix typiquement néolibéral. La pauvreté extrême devient une violation du droit civil à la vie. La philosophie libérale oblige à respecter ce droit humain mais permet d’ignorer les droits économiques et sociaux. Il est tout à fait possible de réduire la pauvreté pendant que les inégalités augmentent, ce qui se passe en ce moment. Or, plusieurs arguments objectifs plaident pour une réduction des inégalités : le sentiment d’injustice sociale, la stabilité politique, le besoin de frontières pour limiter les migrations et l’asymétrie des relations de pouvoir. De plus, comme la Banque mondiale le constate elle-même, les inégalités importantes freinent la croissance et empêchent que celle-ci bénéficie aux pauvres. Cependant, ces constats n’ont toujours pas infléchi les politiques néolibérales.
Rêvons un instant. Imaginons que les OMD soient atteints en 2015. Vivrons-nous pour autant dans un monde plus juste ? Avec près d’un milliard de personnes extrêmement pauvres et souffrant de la faim ? Avec, en 2009, 10 millions de super-riches possédant 39.000 milliards de dollars en actifs financiers ?
D’autres politiques sont nécessaires
La crise économique et sociale d’aujourd’hui, les crises écologique et alimentaire montrent ce que le non-respect des OMD annoncent : les politiques actuelles prônées par les institutions de Bretton Woods, le G8 et le G20 ne correspondent pas aux besoins des peuples et certainement pas aux besoins des plus pauvres. Comme l’indique un des derniers rapports de l’ONU sur la pauvreté, d’autres priorités seront nécessaires si l’on veut réellement réduire, voire éradiquer la pauvreté. Celle-ci n’est pas un problème des pauvres mais de l’ensemble des sociétés qui ont besoin d’une redistribution des revenus et d’une réduction des inégalités. Les réponses devront être cherchées du côté d’un rétablissement de l’autonomie politique des pays pauvres , d’une fiscalité mondiale et d’un changement de cap des politiques économiques.
Source : CNCD
Notes
|1| Les Documents stratégiques de réduction de la pauvreté, ou DRSP, sont des documents que les pays pauvres sont obligés d’introduire auprès du FMI et de la Banque mondiale afin de recevoir une réduction de leur dette.