Il en va de même pour l’ajout, à la liste des activités à déclarer au Registre du lobbyisme, des appels à l’action dirigés vers le grand public (voir la lettre et la liste des signataires).
Les signataires de cette lettre proviennent de tous les secteurs et de toutes les régions du Québec : groupes d’entraide, maisons de jeunes, groupes de bénévoles, ressources pour les familles, centres communautaires, associations du domaine des sports, des arts, de la science et des loisirs, groupes et coalitions de défense des droits collectifs, de sensibilisation à divers enjeux sociaux, de protection de l’environnement, de défense des services publics, etc.
Malgré la demande des signataires, le ministre ne s’est pas engagé à tenir une consultation générale lors du dépôt du projet de loi, alors qu’il vient d’annoncer qu’il en tiendra une concernant les orientations gouvernementales en matière de transparence. Quant au contenu du projet de loi, tout au plus a-t-il indiqué qu’il pourrait réduire les démarches d’inscription au Registre. Loin de remettre en question le fait d’assujettir tous les OSBL, il a plutôt réitéré son appui aux propositions du Commissaire et de l’Association des lobbyistes du Québec sur le sujet. Rappelons que ces propositions ont été rejetées deux fois, par de larges consensus lors des consultations, en 2008 et 2013.
« Le futur projet de loi risque de compromettre la survie des organismes en défense collective des droits humains en termes de santé, de sécurité, d’environnement et de lutte à la pauvreté, entre autres. La mobilisation sociale et la représentation politique étant au cœur de leur mission, ils interpellent couramment les élus pour défendre les droits de populations vulnérables, et ce, au bénéfice de l’ensemble de la société » rappelle Marie-Hélène Arruda, coordonnatrice du Regroupement des organismes en défense collective des droits.
La différence entre la défense des intérêts privés et celle des intérêts collectifs ainsi que leurs pratiques d’intervention, était au cœur de l’objectif du gouvernement lors de la création de la Loi en 2002. Selon l’ancien ministre de la Justice, Jacques P. Dupuis : « Le législateur ne voulait pas viser les associations ou groupements qui s’occupent de promouvoir les causes d’intérêt commun susceptibles de profiter à la collectivité (en matière environnementale, par exemple) par opposition à ceux qui défendent l’intérêt économique de quelques personnes ou groupes de personnes (...) les représentations faites en public sont en soi dévoilées. Au contraire, celles qui ont lieu en dehors de ce cadre demeurent occultes. Le souci de transparence vise ce qui est caché, il n’est donc pas utile de divulguer ce qui se passe en public ou ce qui est notoire » 1.
« Rien ne démontre que l’inclusion de tous les OSBL serait devenue nécessaire. Il n’y a aucun conflit d’intérêts à déclarer lorsque l’on défend les intérêts de toute la population. En fait, si les propositions formulées par le Commissaire au lobbyisme étaient appliquées, le droit d’association et la liberté d’expression seraient sérieusement compromis. Par exemple, les droits d’être informés, de participer et d’avoir accès à la justice environnementale ne seraient plus défendus si les bénévoles cessaient d’intervenir, pour éviter d’avoir à s’inscrire au registre » de préciser Karine Péloffy, avocate et directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement.
La délégation a présenté au ministre plusieurs scénarios où le fait d’assujettir tous les OSBL et leurs actions nuirait à l’exercice de la citoyenneté et aurait plutôt l’effet d’un bâillon. « Pour les groupes environnementaux, une partie de la mission est d’encourager la population à jouer un rôle actif dans les débats publics. Protéger l’environnement nécessite que rien ne freine le dialogue entre la population et les personnes chargées de prendre les décisions pour la collectivité » se désole Floris Ensink, président du Sierra Club Québec.
« Nous avons invité le ministre à reconnaître que le lobby exercé par une compagnie pharmaceutique n’est pas comparable aux interventions effectuées par un mouvement de lutte contre la pauvreté, pour ne prendre que cet exemple. La Loi doit tenir compte de ces différences dans la définition même du lobbying. Les OSBL n’ont rien en commun avec des lobbyistes visant à favoriser des intérêts particuliers ou privés. Dans le cas d’une coalition comme la nôtre, c’est toute la population qui bénéficie de notre défense du rôle de l’État en matière de santé et de services sociaux » de souligner Jacques Benoît, coordonnateur de la Coalition solidarité santé.
Malgré le caractère notoire des « appels au public », le ministre ne s’est pas engagé à les exclure de l’application de la Loi. « Il est inconcevable qu’un groupe qui invite publiquement la population à transmettre une lettre à des titulaires de charges publiques doive s’inscrire comme lobbyiste. Chaque année, des milliers d’OSBL lancent et participent à de telles campagnes. Dans le réseau des groupes communautaires du domaine de la santé et des services, ces appels mettent à contribution des dizaines de milliers de personnes qui y œuvrent. Pourquoi devraient-elles inscrire au registre des informations déjà visibles ? » de questionner Mercédez Roberge, coordonnatrice de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles.
L’ampleur et la diversité des signatures recueillies ne sont qu’un prélude à l’opposition que rencontrera le ministre s’il tente d’assujettir les OSBL et les coalitions d’OSBL qui en sont formés, et de considérer les appels au public comme du lobbyisme. Un projet de loi allant dans ce sens aurait des conséquences néfastes sur l’exercice de citoyenneté, sur le droit d’association et sur la liberté d’expression.