Malgré l’image de “pays pacifié et normalisé” que l’actuel gouvernement de Porfirio Lobo tente de projeter internationalement, les organisations qui intègrent la Plateforme des droits humains du Honduras continuent de dénoncer les constantes violations des droits de l’homme et ont installé une "commission de la vérité" pour éclairer les abus commis depuis du coup d’État.
François Houtart, prêtre, sociologue, membre du Conseil international du Forum social mondial est également membre de la Commission de la vérité. Dans cet entretien donné à Opera Mundi, il analyse la délicate situation que vit le Honduras. Le sociologue belge est convaincu qu’une consolidation du projet de refondation du FNRP (Front national de résistance populaire) pourrait impliquer une augmentation de la répression et que le gouvernement des États-Unis n’est pas étranger à cette situation. Selon lui, ce dernier souhaite se repositionner dans la région latinoaméricaine, le coup d’État au Honduras étant une pièce importante de cette stratégie.
GT : Dix-sept mois après le coup d’Etat au Honduras, comment voyez-vous la situation des droits de l’homme dans ce pays ?
F.H : Elle ne s’améliore pas. Elle empire même avec la difficile situation sociale et économique. Nous savons que le coup d’Etat a été mené par une oligarchie traditionnelle opposée aux processus de changements. Elle refuse de perdre ses privilèges. A présent qu’elle détient de nouveau le pouvoir et qu’elle contrôle la politique et l’économie, elle refuse toute autre avancée sociale. Tous ceux qui tentent de lutter sont vus comme des ennemis à abattre. Il ne se passe pas de nouvelle semaine sans victimes. Nous vivons encore une situation très tendue.
GT : Quel est le rôle de la Commission de la vérité dans un contexte aussi compliqué ?
FH : Les objectifs de la commission sont d’enquêter sur les violations des droits humains à partir du coup d’État, sur l’histoire de ce dernier, ses conséquences, sur qui furent les acteurs à l’origine de cet événement. Et finalement, d’enquêter sur le contexte général du pays car on ne peut comprendre ces faits sans connaître la structure sociale, économique et politique du Honduras. Tout ceci permettra d’éclairer ce qui s’est réellement passé et de montrer qui sont les véritables responsables.
GT : Récemment, le représentant du Département d’Etat nord-américain Philip J. Crowley a déclaré que “le thème des droits de l’homme n’est pas une condition préalable au retour du Honduras au sein de l’Organisation des Etats américains (OEA)”. Quelle lecture faites-vous de cette déclaration ?
FH : Cela fait partie de la logique politique des Etats-Unis. Ils ont condamné le coup d’État comme méthode mais pas comme objectif : stopper les processus de changement en cours. A présent, ils veulent légitimer l’actuel gouvernement pour poursuivre ses politiques et donner l’apparence d’une normalisation dans la région.
GT : Quel rôle a joué le coup d’Etat au Honduras dans la région ?
FH : Le Honduras était l’élément le plus fragile de l’ensemble des pays qui mènent des processus de transformation. C’est donc un avertissement à tout le continent et nous avons observé des suites dans plusieurs pays. Lorsqu’un pays refuse de s’aligner sur les politiques nord-américaines et les oligarchies locales, on observe des interventions non plus militaires comme par le passé, mais des déstabilisations qui s’appuient sur de nouvelles méthodes et instruments.
GT : La question du rôle du président Obama dans le coup d’État au Honduras est posée par certains. Qu’en pensez-vous ?
FH : Quand on observe sa politique extérieure, il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’une continuité avec la période antérieure. Le style peut différer, pas la substance. Le cas du Honduras en fournit une claire illustration.
GT : On dit aussi que les Etats-Unis ont beaucoup de problèmes au Moyen-Orient et qu’en ce moment l’Amérique latine ne constitue pas une priorité.
FH : Le continent latino-américain conservera toujours une grande importance pour les États-Unis, le contrôler est nécessaire. Il est évident que les processus d’unité latinoaméricaine les préoccupent beaucoup. Comme les préoccupent également l’orientation de ces processus qui cherchent à envisager l’économie et la politique au delà de l’économie capitaliste et de l’économie de marché. Il s’agit, pour les Etats-Unis, d’une menace à long terme pour la continuité du système et leurs intérêts.
GT : Dans le cas du Honduras, est-ce un tel changement de système qui préoccupe le plus les États-Unis ?
FH : Pour une part, en effet. Mais le plus important est l’adhésion du Honduras à l’Alliance bolivarienne des peuples d’Amérique ( Alba). Du point de vue des Etats-Unis, il s’agissait d’un mauvais signal pour d’autres pays de la región centraméricaine et c’est pourquoi ils ont décidé d’intervenir.
GT : Le processus de formation du FNRP au Honduras est inédit dans la région. Croyez-vous que le Front pourra atteindre l’objectif de refonder le pays ?
FH : Il s’agit d’une résistance organisée par des mouvements de base et c’est quelque chose de très innovateur. Je crois qu’il pourra atteindre ses objectifs tant qu’il maintiendra l’unité de tous les secteurs et que tôt ou tard, il puisse trouver une traduction dans le champ politique pour promouvoir des réformes structurelles de l’Etat.
GT : Une montée en puissance du FNRP peut-elle impliquer davantage de répression ?
FH : Cela ne fait pas de doute. Le gouvernement actuel croit que les gens vont se lasser et que la résistance va disparaître peu à peu. Si cela ne se produit pas, comme je le crois, il va s’écrire un scénario de violence très préoccupant.
GT : Dans ce contexte, la présence d’une Commission de la vérité revêt une importance accrue ?
FH : Les travaux ont déjà commencé. Tous les membres ont parcouru le pays pour recueillir des témoignages et analyser les avancées du processus.
Source : http://operamundi.uol.com.br (original portugais) http://nicaraguaymasespanol.blogspot.com (version espagnole)