Dans sa présentation à la Commission parlementaire cette semaine, J. Létourneau, président de la CSN déclare d’entrée de jeu que les objectifs invoqués dans l’intitulé du projet de loi ne sont pas ceux que poursuit véritablement le gouvernement. Pour lui et la CSN, le premier de ces objectifs sous-jacents est de réduire la qualité des conditions de travail dans les municipalités. C’est en effet un résultat qui va s’imposer, qu’il ait été intentionnellement poursuivi ou non. Mais nous ne sommes pas assez naïfs-ves pour penser que cela n’est pas apparu au moins comme une retombée bénéfique sinon comme partie au plan. Il était assez intéressant d’entendre le ministre Moreau, en réponse au maire Coderre, à propos des marges de manœuvres laissées aux parties locales en négociation, souligner qu’elles se trouvent dans l’examen des réductions possibles des autres bénéfices marginaux contenus dans les actuelles conventions collectives. Des concessions sur ces aspects pourraient, selon lui, compenser les coûts inhérents à la modification des contributions aux régimes de retraite.
La position de la FTQ va dans le même sens. Son secrétaire général, Serge Cadieux souligne les ambitions gouvernementales d’amoindrir les coûts pour les employeurs que sont les municipalités. Cet objectif saute aux yeux quand on entend l’argument de ceux et celles qui appuient ce projet de loi : les contribuables, qui dans leurs majorité ne bénéficient pas de régimes de pensions comparables, n’auraient plus la capacité de payer leur contribution à celui de leur main-d’œuvre, surtout d’assumer le coût des déficits accumulés là où ils existent.
La notion d’employeur
Il peut paraitre saugrenu de souligner cet aspect mais il est assez central dans le débat actuel. Il faut répéter, que si les fonds de pension sont généralement une conquête syndicale tout au long du 20ième siècle, les employeurs publics ou privés les ont acceptés et introduits parce qu’ils en tiraient avantage. Dès leur naissance en Europe, ils visaient à fidéliser la main d’œuvre pour que l’expertise et l’expérience acquise chez un employeur n’aille pas bénéficier à un concurrent. Pour les associations mutuelles des travailleurs, bien plus rarement pour les travailleuses, il s’agissait d’un mode d’entraide, un placement pour l’avenir. La société salariale condamne sa main d’œuvre à vivre de son salaire. Il a vite été clair qu’il fallait que cet arrangement se poursuive au-delà de sa période active. Les sommes ainsi accumulées et reversées ont toujours été historiquement considérées comme du salaire différé, même par les patrons. Chez-nous, la Cour suprême du Canada a confirmé cette interprétation.
En plus, dans notre structure de régimes de retraite, techniquement et juridiquement, ce sont les employeurs qui en sont les propriétaires dans le secteur privé comme dans le secteur public. Cela leur donne un pouvoir incomparable sur cet aspect des conditions de travail de leurs employéEs. ( Cet aspect du débat a déjà été abordé dans nos colonnes). Mais le rapport de force dans les entreprises syndiquées est fondamental pour que la partie patronale ne fasse pas n’importe quoi en regard de ce bénéfice fondamental puisqu’il n’y a pas d’autre régime dont on puisse attendre un revenu de retraite décent. Comme le dit Serge Cadieux : « Malgré leur appellation, les régimes complémentaires (…) constituent une partie essentielle du revenu de retraite des travailleurs et travailleuses ».
Faire baisser les charges des municipalités
Dans cette attaque, le gouvernement se comporte comme n’importe lequel employeur et use de son pouvoir pour atteindre des objectifs de baisse de coût de la main d’œuvre. Il est assez odieux, que pour y arriver, il utilise la division entre les contribuables et les salariéEs syndiquéEs. C’est l’argument de la trop grande force des syndicats dans la vie économique alors qu’il est clair que sans eux, malgré toutes les critiques légitimes qu’on peut leur adresser, les conditions de travail de toute la main d’œuvre, même celle qui n’est pas syndiquée, seraient encore pires qu’elles ne le sont actuellement. M. le maire Labaume, son allié M. Coderre et la direction actuelle de l’Union des municipalités du Québec disent clairement que pour que les municipalités puissent gérer leurs affaires de la manière qui leur convient, il leur faudrait un droit de lock-out comme tous les autres employeurs. Le message est clair : c’est un rejet des résultats des négociations qui n’aboutissent pas dans leur sens, sinon un rejet du régime de négociation qui prévaut dans les rapports patrons-employéEs dans notre société. Soit disant que les syndiquéEs des municipalités auraient trop de pouvoir aux tables de négociation. Ce qui est demandé, c’est un renversement du rapport de force. Et la situation précaire de certains fonds de pension sert de prétexte, d’occasion pour introduire cette demande. Si le projet de loi 3 ne donne pas ce droit, il introduit des équivalents en regard des fonds de pension et cela aura des retombées sur les autres aspects de la rémunération globale des employéEs. Sur un élément important de cette rémunération, le renversement du rapport de force sera acquis. Les membres de ces syndicats devront redoubler de combattivité pour ne pas se faire passer d’autres sapins bien québécois.
Un coup de main, pas un coup de balais
Selon Mme. D. Pilette, professeur en gestion à l’UQAM et spécialiste des questions municipales, la situation financière de la plupart des municipalités du Québec n’est pas en péril mais plutôt correcte.
Que la gestion des fonds de pension appelle des ajustements actuellement on peut en convenir assez facilement. La crise financière est passée par là et ils en ont subit les contre coups. La démographie se modifie considérablement et les nouvelles technologies font constamment diminuer le nombre d’employéEs dans les entreprises du secteur public comme privé. Il n’y aura bientôt plus que deux travailleurs-euses pour chaque retraitéEs. Et l’espérance de vie est de plus en plus longuet. Les fonds doivent pouvoir soutenir cette nouvelle demande tant qu’elle durera. D’où la nécessité de faire maintenant les corrections qui s’imposent et beaucoup de règlements survenus dans plusieurs municipalités vont dans ce sens. Heureusement, les deux parties dans ces cas là, comme celui de Rimouski, ont agit avec sérieux et de façon responsable.
C’est dans cette direction qu’il faut poursuivre le travail. Le gouvernement aurait avantage à déposer toutes les considérations dont il faut tenir compte dans l’étude de ces fonds de pension pour que les parties arrivent à des solutions adaptées et acceptables pour elles. Diviser les populations en dressant les contribuables contre les syndiquéEs ne peut donner aucun résultat positif. Il est particulièrement odieux d’agir de la sorte quand tous les gouvernements jusqu’à maintenant ont refusé d’améliorer notre seul régime quasi universel, le Régime des rentes du Québec. M. Cadieux rappelle que la FTQ demande depuis 2010 des bonifications à ce régime, sans résultats.
Un pas de plus vers l’individualisation
Une des retombées de l’éventuelle application du projet de loi sera l’individualisation plus poussée de l’épargne pour la retraite. Qui pourra faire confiance aux fonds collectifs si les ententes intervenues sont profondément modifiées unilatéralement et au désavantage des épargnantEs. C’est une forte tendance qui est déjà en cours : on renvoie chacunE à sa richesse ou à sa pauvreté et on l’empêche de bénéficier des avantages indéniables de la collectivisation des épargnes. Le gouvernement fédéral est le maitre d’œuvre de cette approche au Canada. Il préfère créer des véhicules financiers quasi strictement individuels, sans aucune obligation de participation pour les employeurs et tout au bénéfice des institutions financières. Car cette épargne aboutit obligatoirement dans leurs coffres et est toujours tributaire des fluctuations de la bourse. Rien dans la proposition actuelle ne traite de ce risque ni ne fait quoique ce soit pour nous en protéger.