Sur le terrain, les candidats de gauche voient des électeurs peu passionnés par la bataille législative, parfois lassés d’une campagne qui dure depuis des mois. « Les gens savent qu’il y a des législatives, c’est déjà ça. Mais ça ne les intéresse pas », abonde le député socialiste du Finistère, Jean-Jacques Urvoas. « On n’est pas dans une période de forte envie de politique, confirme Pascal Durand, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts. C’est un fait que l’arrivée de la gauche et des écologistes ne déclenche pas la même espérance qu’en 1981. Les gens sont vannés, un peu cassés, un peu dépités. »
À Paris, dans la Sarthe, à Lyon ou en Haute-Garonne, les candidats socialistes interrogés craignent la démobilisation de leur électorat. « Il y a un immense soupir de soulagement depuis le 6 mai. Les gens sont très satisfaits depuis mais c’est comme s’ils ne faisaient pas le lien avec les législatives », explique la députée PS de Paris, Sandrine Mazetier. « Il faut qu’on fasse un effort d’explication dans les derniers jours. Beaucoup pensent que c’est déjà joué », dit aussi Marietta Karamanli, sa camarade de la Sarthe. À Lyon, le sortant Pierre-Alain Muet résume : « Pour nous, l’enjeu c’est de mobiliser. »
La gauche, pourtant, ne doute guère de sa victoire. En témoignent les sondages, qui lui sont plutôt favorables, et les cotes de popularité élevées du premier ministre et du président de la République. Mais la victoire pourrait être étriquée. D’autant, rappelle Jean Mallot, au ministère des relations avec le parlement, que le redécoupage des circonscriptions, dit « redécoupage Marleix », favorise plutôt l’UMP. « On sait depuis 2009 qu’il nous faut bien plus que 50 % des voix pour avoir 50 % des députés », dit l’élu de l’Allier.
Au total, Christophe Borgel, un des spécialistes socialistes de la carte électorale, lui-même candidat en Haute-Garonne, vise la majorité absolue le 17 juin, fixée à 289 sièges sur un total de 577. Mais une majorité absolue de la gauche, et pas nécessairement du seul PS. À Solférino, on jure que les sièges obtenus par les socialistes et les partis alliés – Europe Ecologie-Les Verts, les Radicaux de gauche et le MRC de Jean-Pierre Chevènement – devraient suffire. « Je crois à une majorité avec, au minimum, les partis engagés par des accords électoraux », dit pudiquement Christophe Borgel. En clair : sans le Front de gauche. « Si c’est une majorité relative, on sait faire. On l’a prouvé entre 1988 et 1993. Mais ce n’est pas l’hypothèse qu’on privilégie », dit Jean Mallot.
« Copé ? Mais il faut le conserver ! »
Les remontées du terrain à gauche semblent écarter l’hypothèse d’une cohabitation. « Les Français veulent donner à François Hollande les moyens de gouverner et une majorité cohérente », explique le député sortant de l’Allier. « Dans le porte-à-porte, les retours sont très favorables. Les législatives vont confirmer le résultat de la présidentielle », assure son camarade Pierre-Alain Muet, candidat à sa réélection à Lyon. Il sent sur le terrain « une adhésion incontestable à François Hollande ». « Je reste confiante. Il y a vraiment une attente de confirmation du choix fait à la présidentielle », dit aussi la députée sortante de la Sarthe, Marietta Karamanli.
À Paris, la socialiste Sandrine Mazetier est tout aussi enthousiaste sur les premiers pas de la gauche au pouvoir. « Les grands enjeux de la présidentielle sont déjà incarnés par le gouvernement, dans sa composition, le début des négociations avec les partenaires sociaux, l’encadrement des rémunérations des grands patrons… Chaque jour, une promesse est tenue et la séquence internationale de François Hollande est bluffante », explique la députée sortante. « Le gouvernement Ayrault passe bien, il rassure, il produit, il tient ses promesses. C’est solide. Les gens voient déjà le changement. Tout cela est crédible pour les gens », savoure Jean Mallot.
Le PS se délecte aussi des divisions de la droite et du match ouvert pour le leadership UMP entre Jean-François Copé, François Fillon et Alain Juppé. « Les électeurs de droite n’aiment pas plus les divisions que les nôtres. Pour eux, le sujet c’est déjà 2017. On sent une droite atteinte par sa défaite », explique Christophe Borgel, le M. élections du PS, candidat en Haute-Garonne. À Lyon, dit Pierre-Alain Muet, « la droite est extrêmement divisée, on la sent en recomposition. Et puis elle n’a pas de leadership national. Ça se sent sur le terrain ».
« Ce qui a beaucoup poussé les électeurs à la présidentielle, c’est la détestation quasi-physique de Nicolas Sarkozy. Or on a trouvé un succédané avec Jean-François Copé, sourit le député socialiste du Finistère, Jean-Jacques Urvoas. Plus on le voit à la télé, plus ça fait des voix pour la gauche ! » En porte-à-porte, il n’hésite pas à menacer d’un Copé premier ministre et de « Morano ministre de l’Education nationale » en cas de cohabitation. Borgel fait de même en Haute-Garonne. « Et ça marche à fond dans les quartiers populaires », dit-il. Le député Jean Mallot confirme en riant : « Copé ? Mais il faut le conserver ! Mettez-le devant, faites-le parler et on récupère des électeurs ! »
Quant au risque Front national, le PS reste prudent sur le nombre prévisible de triangulaires. « C’est très difficile à évaluer en raison de la baisse de la participation par rapport à la présidentielle », explique le secrétaire national du PS, Christophe Borgel. En 2002, sur les 148 circonscriptions où le FN avait atteint le seuil nécessaire – 12,5 % des inscrits – à la présidentielle, seules 37 avaient finalement vu les frontistes se qualifier au second tour des législatives. « Il y a quelques circonscriptions où le FN pourrait se maintenir au second tour, mais c’est assez localisé. On n’est pas dans une difficulté où le FN tient tout le monde à la gorge »,veut croire le socialiste Jean Mallot.
« La gauche doit être diverse »
Officiellement, les autres forces de gauche n’inquiètent pas davantage le PS, euphorique depuis qu’il a placé un des siens à l’Élysée pour la première fois depuis 1988. Les députés en campagne interrogés jurent ne pas sentir du tout, ou à peine, une crainte d’un « État PS » qui contrôlerait tout, ou un besoin de rééquilibrer la gauche en favorisant sa diversité. « Il y a une grande attente pour que les choses s’améliorent vite mais en même temps un réalisme incroyable des électeurs, affirme Marietta Karamanli, candidate dans la Sarthe. Les gens veulent la paix et le pragmatisme. »
Le PS est convaincu que le Front de gauche, déçu de ses 11 % à la présidentielle, ne fera pas d’étincelles. Pour Borgel, les circonscriptions où les camarades de Mélenchon pourraient dépasser le PS au premier tour, sans y avoir un député sortant, « se comptent sur les doigts de la main ». En Bretagne, lâche même Jean-Jacques Urvoas, « c’est nous qui les maintenons sous tente à oxygène ». Avant d’ajouter : « Quant aux écologistes, ils ont comme horizon d’être des partenaires des socialistes, et non l’inverse. »
C’est en fait le score d’Europe Ecologie-Les Verts qui inquiète (un peu) le PS. Confrontés à des dissidences dans près d’une quinzaine de circonscriptions qui leur étaient réservées par l’accord signé avec le PS – notamment à Lyon, où le maire socialiste Gérard Collomb soutient un candidat PRG contre le dirigeant d’EELV Philippe Meirieu –, les écologistes pourraient souffrir du faible résultat d’Eva Joly à la présidentielle.
« Il y a une perte d’influence dans le débat public et dans la gauche qui commence à devenir un peu inquiétante », estime Sandrine Mazetier à Paris. « Si j’entends un peu le besoin de rééquilibrer aux législatives pour le Front de gauche, je ne l’entends pas du tout pour les écologistes », ajoute celle qui brigue un deuxième mandat face à l’UMP Charles Beigbeder. À Lyon, autre grande ville où EELV est bien implanté, Pierre-Alain Muet juge que si « les écologistes vont faire un meilleur score qu’à la présidentielle, la question, c’est le partage qu’il y aura entre eux et le Front de gauche ».
Le porte-parole, Pascal Durand, reste optimiste sur le score de son parti : « Autant à la présidentielle, les gens nous disaient qu’ils allaient voter utile, autant cette fois ils n’ont aucune raison de ne pas voter écolo au premier tour. » Quant aux dissidences, « on verra », dit Pascal Durand. Les écolos espèrent malgré tout obtenir 15 députés – le seuil indispensable à la constitution d’un groupe.
Au Front de gauche, en dépit de tensions internes, on veut aussi profiter de l’absence d’euphorie post-6 mai. « Il n’y a pas d’état de grâce »,selon le conseiller spécial de Jean-Luc Mélenchon, Éric Coquerel, candidat sur les terres corréziennes de François Hollande ; et la droite ne s’est pas effondrée. « Elle va baisser par rapport à 2007 mais ce ne sera pas un raz-de-marée pour la gauche. Elle sera majoritaire mais sans bouleversement électoral », explique la Madame Élections du PCF, Lydie Benoît.
Elle mise sur une progression et de son parti et du Front de gauche à l’Assemblée : avec 12 sortants communistes, Benoît mise « sur une bonne vingtaine » au soir du 17 juin pour un total d’une trentaine de députés Front de gauche (contre 20 sortants). Au Parti de gauche, Éric Coquerel vise 3 à 10 députés et parie sur des « surprises » dans des circonscriptions où une personnalité peut faire la différence face, par exemple, à une candidate d’union EELV peu soutenue par le PS. « Il y a un acquis de la campagne présidentielle sur le terrain, dit la co-présidente du Parti de gauche, candidate à Paris, Martine Billard. Beaucoup ont voté utile à la présidentielle, ils veulent cette fois un aiguillon à gauche. »
Le Front de gauche et les écologistes espèrent ainsi priver le PS d’une majorité absolue pour mieux influencer la ligne gouvernementale. « Si on a un groupe à l’Assemblée, après celui au Sénat et les ministres du gouvernement, c’est une nouvelle phase de l’écologie politique, estime Pascal Durand, pressenti pour succéder à la ministre Cécile Duflot à la tête d’EELV. Mais ce sera plus difficile si le PS a la majorité absolue. Cela ne marchera plus qu’à la conviction. »
« La gauche doit être diverse », dit aussi la communiste Lydie Benoît. Les militants du PCF se prononceront les 19 et 20 juin sur une participation au gouvernement, qui semble déjà exclue pour les autres forces du Front de gauche. Chez les communistes, on attend les « signes donnés au soir du second tour » par le PS. « Si le PS sort du strict cadre du programme de François Hollande, tout s’observe. Sinon, ce n’est pas la peine », dit la dirigeante du PCF.