La victoire d’Ollanta Humala comme président du Pérou ferme un long cycle de gouvernements néolibéraux et ouvre de nouvelles perspectives pour le pays, tout en renforçant le camp de l’intégration régionale et en affaiblissant l’opération précipitée de construction d’un axe néolibéral, Mexique, Colombie et Chili, par opposition aux gouvernements post-néolibéraux.
Le gouvernement nationaliste de Velasco Alvarado (1968-1975) a été suivi par une série de gouvernements qui ont cherché à déconstruire les progrès du gouvernement Velasco, tant en termes de réforme agraire, comme dans la construction d’un projet national au Pérou. Il a été renversé par un putsch militaire dirigé par son ministre Morales Bermudez, qui a régné jusqu’en 1980.
Puis vint Alan Garcia (1985-1990), appartenant à un parti le plus structuré du Pérou, l’APRA, qui a tenté d’imposer un moratoire sur la dette extérieure du Pérou, qui n’a pas obtenu le soutien des gouvernements de la région, qui a échoué à contrôler l’inflation et qui est tombé sans soutien interne. Pour lui succéder, se sont affrontés Vargas Llosa défendant un programme clairement néo-libéral et un l’inconnu, Alberto Fujimori, qui a utilisé pour l’emporter le rejet du style aristocratique de l’écrivain.
Au gouvernement, Alberto Fujimori (1990-2000) défendit un projet contre-insurrectionnel, en luttant contre la guérilla du Sentier lumineux et il a détruit l’épine dorsale du fort mouvement populaire péruvien tant à la campagne que dans les zones urbaines. Entre les actions du Sentier, qui a également attaqué les forces populaires qui ne se sont pas soumises à son action, et les actions de l’armée, le mouvement populaire au Pérou a souffert d’un feu croisé qui l’a dévasté et réduit à peu de choses. Fujimori mena un coup d’État, il dissout l’assemblée nationale et a utilisé la justice cour (et a reçu, ce qui est embarrassant pour nous, le soutien de Fernando Henrique Cardoso, FHC), pour étendre son mandat, mais il est tombé victime de la corruption et de la violence de son régime, de sorte qu’après avoir fui au Japon, il a été condamné à 23 ans de prison, qu’il purge encore aujourd’hui.
C’est à partir de la destruction de la capacité de défense et de résistance du mouvement populaire qu’a été construit le projet néolibéral au Pérou par les gouvernements de Fujimori, Toledo (2001-2006) et d’Alan Garcia (2006-2011) sur une période de plus de 20 ans durant laquelle l’économie péruvienne a recommencé à croître, en s’appuyant sur une exploitation extensive des exportations extractives des richesses du pays et en comptant sur l’arrivée massive d’entreprises étrangères. Les conditions ne pouvaient être meilleures pour ces entreprises étant donné que les recettes fiscales ne touchaient que 15% du PIB, laissant les gouvernements sans ressources pour développer des politiques sociales.
Avec les gouvernements de Fujimori, de Toledo et d’Alan Garcia s’est concrétisé le même modèle de gouvernement : poursuite de la croissance élevée du PIB, en se concentrant sur l’exportation de minéraux, or, zinc, cuivre, gaz, et fondamentalement, sans aucune politique sociale. Ces gouvernements ont perdu leur popularité soit à cause de la corruption qui était omniprésente, soit à cause du manque de politiques sociales redistributives.
Lors de l’élection précédente se sont affrontés le projet nationaliste d’Ollanta Humala face et celui d’Alan Garcia. En utilisant une forte campagne de peur, alors qu’Ollanta avait triomphé au premier tour, avec le soutien ouvert d’Hugo Chavez, Garcia a gagné par une faible marge et est retourné au gouvernement, pour donner suite aux programmes néolibéraux de ses prédécesseurs et a subi le même type d’usure. A la fin de son gouvernement, avec le soutien de moins de 10%, Toledo a signé un accord de libre-échange avec les États-Unis. Bien que ne s’étant pas explicitement engagé à le maintenir pendant la campagne, Garcia a défendu le traité de libre-échange et a consolidé l’ouverture néolibérale de l’économie péruvienne. Avec la récession américaine, cependant, le Pérou a continué à avoir la Chine comme son principal partenaire et le Brésil comme partenaire important, avec l’augmentation des investissements de ces derniers dans le pays.
L’invasion des terres indigènes dans la région amazonienne par les entreprises transnationales exploitant ses richesses minérales a conduit à l’éveil d’importants mouvements indigènes, qui a causé, entre autres conflits, un massacre (appelé el Baguazo) en Juin 2009 où il y eut 34 morts de la résistance indigène qui visait à s’opposer à l’occupation des terres à des fins d’exploitation minière. Le Congrès péruvien a adopté une loi à cette époque qui incluait des consultations avec les mouvements indigènes sur les investissements.
Cette loi devait devenir un obstacle aux investissements existants et à d’autres déjà prévus, mais le gouvernement n’a jamais passé les rèeglements, favorisant l’incertitude, tant pour l’investissement que pour les mouvements indigènes. Quelques jours avant le second tour des élections cette semaine, un mouvement de la région de Puno n’a été suspendu que par l’intervention d’Ollanta, mais à la condition de le reprendre bientôt, si aucune solution à leurs revendications n’était trouvée.
Ces mouvements ont permis au pays de reconnaître l’Amazonie comme une région importante du Pérou et a favorisé le développement de mouvements auparavant peu connus dans le pays, favorisant des conflits sociaux plus importants , qui devait prendre en compte le gouvernement.
Le discrédit de Garcia a mené son parti à une quasi disparition. Il n’a conservé seulement 4 députés, en laissant ouverte sa succession, pour laquelle se sont présentés plusieurs candidats néolibéraux, dont Toledo, un ancien ministre de l’Économie de Garcia, un ancien maire de Lima, la fille de M. Fujimori, et le seul candidat qui avait critiqué le modèle, Ollanta Humala. L’APRA n’a même pas réussi à présenter son propre candidat, Garcia soutenant le candidat néolibéral parvenu au deuxième tour.
Humala a recyclé ses positions vers un modèle de développement, avec la redistribution de la rente par l’augmentation des redevances sur les investissements miniers et en défendant des politiques sociales proches du modèle de Lula. Il a obtenu le soutien populaire, surtout dans les campagnes, pour arracher la première place au second tour, cette fois contre la fille Keiko Fujimori, qui a également bénéficié d’un soutien populaire, sur la base des politiques de bien-être de son père et sa lutte contre le Sentier lumineux. Dans un voyage officiel au Pérou, où il a rencontré Garcia, Lula a aussi soutenu publiquement Ollanta et ils ont échangé leurs vues sur les expériences brésiliennes dans la construction d’alternatives au néolibéralisme. Depuis lors, Ollanta a visité le Brésil, durant l’élection de Dilma, consolidant ses rapports avec Lula, Dilma et le PT, ce qui s’est traduit par un appui politique à la campagne d’Ollanta.
Le second tour a été très dur, aussi bien en termes de voix et que d’accusations. Le soutien de l’ancienne caste péruvienne, étroitement aligné avec Keiko et la campagne de calomnie contre Ollanta-au point de choquer Vargas Llosa, ont atteint un sommet avec la publication dans le quotidien El Comercio de fausses accusations et une écoute électronique d’Ollanta quelques heures avant l’ouverture du scrutin l’accusant d’une action suspecte, attribuée au Sentier lumineux.
Dans la phase finale de la campagne, les manifestations de rue et les messages sur Internet rejetaient Keiko et mettait en garde au sujet des risques encourus par un éventuel retour de la clique de son père au gouvernement ce qui a contribué à la victoire serrée d’Ollanta. La victoire a été obtenue, en dépit du soutien solide de la classe moyenne et de l’oligarchie de Lima et des régions du nord du Pérou pour Keiko, sans parler du soutien de Garcia et des deux candidats libéraux défaits.
Ollanta avait, au second tour, établi des alliances pour obtenir la victoire, abandonnant certaines de ses propositions initiales, telles la nationalisation des entreprises et l’appel à une Assemblée constituante.
Sa victoire marque la fin d’un cycle de 20 ans de gouvernements néolibéraux au Pérou, et elle se produit dans le cadre de compromis déjà réalisés comme le libre échange avec les États unis. Mais même dans ce cadre, il y a un rapprochement évident avec le Mercosur et le Brésil en particulier, que ce soit par affinité politique, ou par un intérêt économique mutuel entre les deux pays, et une distanciation avec le pôle néolibéral qui comprend le Mexique, la Colombie et le Chili qui a cherché à se construire comme une alternative au processus d’intégration régionale impliquant la plupart des pays de la région.
Au Pérou, la voie de la mise en œuvre de politiques redistributives est maintenant ouverte. Ce fut l’axe majeur de la campagne d’Humala, et en en un certain sens également de Keiko, ainsi que la nouvelle insertion internationale du pays qui cherche à rejoindre les gouvernements post-néolibéraux de la région.
2011 marque le moment où le pays sous la direction d’Ollanta et avec un fort soutien populaire, commence à s’orienter vers un projet d’une démocratisation économique, sociale, politique et culturelle.