Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

La nouvelle loi israélienne sur « l’État-nation » a-t-elle légalisé l’apartheid ?

« Une loi mauvaise pour Israël et mauvaise pour le peuple juif. » Qui juge aussi sévèrement le nouveau texte constitutionnel adopté cet été par la Knesset, le Parlement israélien ? Un intellectuel critique, comme l’écrivain David Grossmann, l’historien Zeev Sternhell ou le cinéaste Amos Gitai ? Tous, et bien d’autres, ont effectivement condamné le texte. Mais ce jugement émane… du président de l’État d’Israël, Reuven Rivlin ! Et pour cause : la loi officialise l’apartheid.

Tiré de Orient XXI.

Un État sans Constitution

Israël n’a pas de Constitution : son père fondateur, David Ben Gourion, ne voulait pas s’opposer aux partis religieux, pour qui seule la loi religieuse juive, la Halakha, pouvait en tenir lieu. À la place, il s’est doté, au fil des décennies, de lois fondamentales régissant ses différentes institutions. Celle de 1992 l’a défini ainsi comme un « État juif et démocratique ». Cette définition s’apparentait à un oxymore (ou une contradiction) : si la majorité des citoyens était un jour arabe, l’État, pour rester juif, devrait fouler aux pieds son caractère démocratique.

« État nation du peuple juif »

Ce flou artistique ne suffisait plus à la droite et l’extrême droite au pouvoir, qui ont donc imposé le vote d’une nouvelle loi fondamentale, intitulée « Israël en tant qu’État-nation du peuple juif ». Pour dissiper toute ambiguïté sur cette expression, l’article 1 précise notamment : « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est spécifique au peuple juif. » Donc refusé aux autres, Palestiniens en tête. Symboliquement, abolissant le statut officiel que l’arabe partageait avec l’hébreu depuis 1948, l’article 4 écrit que « le langage de l’État est l’hébreu », tout en prévoyant pour l’arabe un « statut spécial ». Enfin l’article 7 stipule que « l’État considère le développement de l’implantation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement ».

De vives réactions

Si les Arabes et les Druzes israéliens ont manifesté massivement contre cette loi, nombre de juifs l’ont également contestée. Car elle foule aux pieds les principes que, malgré tout, la Déclaration d’indépendance proclamait : le texte lu par David Ben Gourion le 14 mai 1948 promet que le nouvel État « développera le pays au bénéfice de tous ses habitants ; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël ; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture ; il assurera la sauvegarde et l’inviolabilité des Lieux saints et des sanctuaires de toutes les religions et respectera les principes de la Charte des Nations unies. »

Un état de fait transformé en loi

Pour Shlomo Sand, « cette nouvelle loi a été adoptée pour institutionnaliser la différence de fait qui existe entre Palestiniens et Israéliens ». L’historien a raison : ce texte ne fait apparemment qu’officialiser l’apartheid découlant de l’attribution de droits différents aux Juifs et aux Arabes, dans les territoires occupés mais aussi, du fait d’une multitude de lois et de règlements, en Israël même dont les Palestiniens sont pourtant des citoyens.

Alors, rien de nouveau ? Pas du tout : quand un état de fait se transforme en loi, il acquiert une légitimité qui le renforce considérablement.

Un prélude à l’annexion de toute la Palestine ?

L’adoption de cette loi ne doit évidemment rien au hasard. Elle est votée au moment même où la coalition de droite et d’extrême droite fait prendre au conflit israélo-palestinien un tournant historique : le passage de la colonisation à l’annexion, comme Naftali Bennett l’a affirmé en toutes lettres dans un discours aux responsables de colonies. Adieu, les deux États : le cap est mis sur un État unique, à majorité arabe mais à direction juive. C’est exactement cette perspective que prépare la loi sur « l’État-nation du peuple juif ». Si la communauté internationale l’accepte…

Dominique Vidal
Journaliste et historien, auteur de Antisionisme = antisémitisme ? (Libertalia, février 2018).

Dominique Vidal

Né en 1950, Dominique Vidal a étudié la philosophie et l’histoire. Journaliste depuis 1968, professionnel depuis 1973, il a notamment travaillé dans les rédactions des hebdomadaires "France Nouvelle" et "Révolution", puis du quotidien "La Croix". Après avoir coordonné les activités internationales du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), il a fait partie, de 1995 à 2010, de l’équipe permanente du "Monde diplomatique", dont il a en particulier créé le réseau d’éditions internationales et coordonné les Atlas. Spécialisé dans les questions internationales et notamment le Proche-Orient, il vient de publier "Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron" (Libertalia, 2018). Auparavant, il avait sorti "Comment Israël expulsa les Palestiniens 1947-1949" (Éditions de l’Atelier, 2007, avec une postface de Sébastien Boussois) ; "Israël, une société bousculée. Vingt-cinq années de reportage" (Editions du Cygne, 2007) ; et "Le Mal-être juif" (Agone, 2003). Dominique Vidal a écrit en collaboration avec Alain Gresh : "Les 100 Clés du Proche-Orient" (dernière édition avec Emmanuelle Pauly chez Fayard, 2011) ; ; "Palestine 47 : un partage avorté" (dernière édition chez André Versaille, 2007) ; "Golfe : clefs pour une guerre annoncée" (Le Monde Éditions, 1991) ; et "Proche-Orient : une guerre de cent ans" (Messidor, 1984). Depuis 2010, il dirige avec Bertrand Badie l’annuel collectif "L’état du monde", chez La Découverte. Le dernier en date, paru en 2018, s’intitule "Le Retour des populisme". Autres ouvrages : "L’Opinion, ça se travaille… Les médias, l’OTAN et la guerre du Kosovo" (Agone, Marseille, dernière édition 2015 avec Serge Halimi, Henri Maler et Mathias Reymond) ; "Le Proche-Orient, les banlieues et nous" ( Éditions de l’Atelier, 2006 avec Leila Shahid, Michel Warschawski et Isabelle Avran) ; "Le Mal-être arabe. Enfants de la colonisation" (Agone, 2005 avec Karim Bourtel) ; "Les historiens allemands relisent la Shoah" (Complexe, 2002) ; " Promenades historiques dans Paris" (Liana Levi, 1991 et 1994, avec Christine Queralt) ; "Portraits de China Town, le ghetto imaginaire" (Autrement, 1987, avec Éric Venturini). Chez Sindbad/Actes Sud, Dominique Vidal a coordonné "Palestine-Israël : un Etat, deux Etats ?" (2011) et "Palestine : le jeu des puissants" (2014). Chez Demopolis, il vient de diriger "Les Nationalistes à l’assaut de l’Europe".

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