Pour ce qui est de la première question, nous pourrions nous contenter de résumer le traitement médiatique français réservé à ce conflit en quelques mots très simples : hystérique, belliqueux, bipolaire. Mais ce serait se contenter de peu, car ce qui est intéressant, c’est de se demander pourquoi tel ou tel pays choisit d’adopter tel ou tel point de vue.
Terrorisme et droit international
Et ici je pense que, face à la complexité du sujet, il serait bon de commencer par un petit point sémantique. Comme tout conflit, celui-ci s’accompagne de termes clés, d’éléments de langage, que l’on nous répète si souvent qu’on finit par les intégrer, parfois sans avoir pris la peine d’en comprendre le sens global.
Le principal, et sans doute le plus intéressant, de ces mots clés est celui de terrorisme.
Je ne vous referai pas une énième analyse des événements survenus dans le Levant ces dernières semaines, je suppose que si vous êtes arrivés jusque là, c’est que vous connaissez la situation. Ce qui nous intéresse ici ça n’est pas tant de savoir si terrorisme il y a, mais plutôt d’observer l’utilisation que les médias français font de ce terme.
Voyons déjà la définition de mon dictionnaire : « Gouvernement par la terreur. Emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique. »
Et la définition du code pénal français : « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :
1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ;
2° Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique définis par le livre III du présent code ;
3° Les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous définies par les articles 431-13 à 431-17 et les infractions définies par les articles 434-6 et 441-2 à 441-5 ;
4° Les infractions en matière d’armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires définies par les articles 222-52 à 222-54,322-6-1 et 322-11-1 du présent code, le I de l’article L. 1333-9, les articles L. 1333-11 et L. 1333-13-2, le II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4, les articles L. 1333-13-6, L. 2339-2, L. 2339-14, L. 2339-16, L. 2341-1, L. 2341-4, L. 2341-5, L. 2342-57 à L. 2342-62, L. 2353-4, le 1° de l’article L. 2353-5 et l’article L. 2353-13 du code de la défense, ainsi que les articles L. 317-7 et L. 317-8 à l’exception des armes de la catégorie D définies par décret en Conseil d’Etat, du code de la sécurité intérieure ;
5° Le recel du produit de l’une des infractions prévues aux 1° à 4° ci-dessus ;
6° Les infractions de blanchiment prévues au chapitre IV du titre II du livre III du présent code ;
7° Les délits d’initié prévus aux articles L. 465-1 à L. 465-3 du code monétaire et financier »
Cette dernière étant particulièrement intéressante et méritant sans aucun doute une analyse plus approfondie.
Mais pourquoi ce terme est il si important ici ? Parce qu’il fait débat en France, et plus généralement dans le monde, quand il est question de qualifier les crimes commis par le Hamas le 7 octobre dernier. Pour simplifier je dirais que la gauche (celle de gauche et non celle de centre un peu à gauche, enfin ça dépend du sens du vent …) préfère employer le terme de « crimes de guerre » pour qualifier les atrocités du 7 octobre. Concrètement cela sous entend une violation du droit international et donc une responsabilité pénale internationale. Alors pourquoi la droite et la sphère médiatique en général s’offusquent de l’emploi de ce terme ? Et bien parce qu’il inscrit les actes du Hamas dans un contexte de guerre entre deux états, venant ainsi bouleverser le récit national qui voudrait circoncire ces événements à une simple « attaque terroriste ».
C’est là que nous en arrivons au point névralgique du débat français :
L’injonction à l’émotion
Quand les premières images atroces de l’attaque du Hamas sur le territoire israélien nous sont parvenues, elles nous ont été présentées ainsi : « Terrible attaque terroriste », « le retour sanglant des islamistes », « un nouveau Bataclan en Israël » …
Très vite, certaines voix se sont élevées pour nuancer cette vision. Il fallait tout d’abord définir le contexte de ces crimes, un contexte de guerre. Car en effet, dans les premiers moments qui ont suivi l’attaque, aucun journaliste ne semblait au courant du fait que israéliens et palestiniens étaient en guerre depuis près de 75 ans. Ceux qui ont osé rappeler ce petit détail ont été conspués sévèrement : « Comment ? Vous osez relativiser ces horreurs ?! Mais vous êtes monstrueux ! »
Les tentatives de nuances, de modération ou tout simplement de réflexion ont été balayées sur tous les plateaux télé. C’est très simple, il faut CONDAMNER !
« Évidemment que je condamne, ont balbutié les récalcitrants, mais je veux juste rappeler le contexte …
– Donc vous ne condamnez pas vraiment !
– Si. Je dis juste que …
– C’est de l’antisémitisme ! Honte à vous ! »
Voilà à peu près le dialogue auquel nous avons eu droit en boucle pendant les trois premiers jours.
Cela fait partie du traitement médiatique général en France (et ailleurs), il faut rester dans l’émotionnel et surtout ne pas en sortir. Après les attentats contre Charlie Hebdo, notre premier ministre d’alors Manuel Valls nous disait sans rougir : « Expliquer c’est déjà vouloir excuser ».
Et oui, si on réfléchit, on s’éloigne, ne serait-ce qu’à minima, de l’opinion prémâchée que l’on nous donne. Et c’est dangereux … en tout cas pour les médias et les dirigeants, qui ces derniers temps commencent à être de plus en plus difficiles à différencier. Réfléchir c’est prendre le risque de se faire sa propre opinion.
Quand à savoir pourquoi la France adopte ce point de vue particulier … je pense personnellement qu ’il y a plusieurs raisons ; la première est une question d’alliances stratégiques et nous l’aborderons plus en détail tout à l’heure. La seconde est une question d’habitude et de confort, il faut toujours rester dans l’émotion, c’est plus facile. La troisième est une question d’opportunisme politique.
En effet, en France depuis les dernières élections(et bien avant), l’ennemi à abattre c’est la gauche dite « extrême » personnifiée par Jean Luc Mélenchon. À l’heure où l’alliance des gauches, la NUPES, semble à l’agonie, les libéraux ont vu une occasion de lui porter le coup de grâce. Ça a été le sujet principal de tous les plateaux, tandis que le gouvernement israélien promettait de raser Gaza de la carte, ce qui tenait les médias français en haleine c’était : « Jean Luc Mélenchon ne condamne qu’à moitié les terroristes ». Lui même et les membres de son parti ont eu beau répéter dans chaque interview « Bien sûr que nous condamnons ces atrocités ! Nous condamnons TOUS les crimes perpétrés sur des civils ... », le mal était fait. Il avait suffit que, lors de sa première prise de parole, le chef de la France Insoumise ose dire qu’on ne pouvait pas parler de terrorisme au cœur d’un conflit colonial, pour qu’il soit immédiatement étiqueté soutien du Hamas. Ce fut le grand retour du terme valise « islamo-gauchisme » et notre première ministre ira jusqu’à le taxer d’antisémitisme pour avoir rappelé les crimes coloniaux d’Israël.
« L’antisionisme » serait une façon de « masquer l’antisémitisme », selon Elizabeth Borne qui a pris l’habitude de s’affranchir de toute forme de réalité ou de décence.
Et là je voudrais faire un nouveau point sémantique à propos de ce terme que l’on entend partout : antisémitisme. Persuadée, comme nous tous, de connaître parfaitement le sens de ce mot, je me fais tout de même une remarque : « Anti-sémites … qui sont exactement les sémites ? » C’est là que je découvre que ce terme ne qualifie la haine des juifs que depuis le XIXème siècle. Avant cela, il faisait allusion à tous les peuples sémites, c’est à dire mésopotamiens, la zone englobant majoritairement la Syrie, l’Irak, l’Arabie Saoudite et la Palestine ...
Et là, la citoyenne naïve qui sommeille en moi est un peu perdue. On m’avait toujours dit que les arabes étaient par nature antisémites … et je découvre que les sémites sont des arabes !
Mettons nous un instant à la place de ceux que l’on a carrément exclus de leur civilisation, à qui on a refusé le droit d’être associés à leur peuple antique. À qui l’on a dit grosso modo « Désormais, selon la décision unanime de la bien-pensance occidentale, le terme sémite ne désignera plus que les juifs. »
Et je vais pousser un peu plus loin ce point sémantique, certains diront que je chipote, mais je crois au contraire que les mots que l’on met sur les notions sont d’une importance primordiale et que, quand on les observe bien, ils révèlent de nombreuses intentions. Pour qualifier la haine du peuple juif, nous disons donc Antisémitisme , ce qui signifie être contre, s’opposer. Pour parler de la haine des peuples musulmans, nous disons Islamophobie, ce qui signifie avoir peur. Et de quoi a-t-on peur ? Et bien naturellement de ce qui est menaçant … Vous la voyez la nuance ?
Cette nuance que l’on met entre peuples juifs et peuples musulmans est présente dans tout le discours officiel français concernant le conflit israélo-palestinien. Qu’on ne se fasse pas d’illusion, les juifs ne jouissent pas en France d’un statut privilégié … notre président rendait en 2018 un hommage au Maréchal Pétain, qui a vendu la France au régime nazi et orchestré la fameuse rafle du Vel d’hiv, ayant donné lieu à la déportation de 13000 juifs. Sans compté que le Rassemblement National, parti fondé par un ancien Waffen SS, a pignon sur rue et joui de la sympathique indulgence des médias et du parti présidentiel. Par contre, je crois que le racisme institutionnel français fonctionne de manière hiérarchique et que, à ce jour, les musulmans sont simplement encore plus haïs que les juifs.
Ainsi, cette hiérarchie dans l’abject s’infuse partout dans le traitement des événements. Quand les arabes font des bombardements, les juifs font des raids aériens (c’est joli n’est-ce pas ? Ça nous évoque un balai d’oiseaux migrateurs dans le soleil couchant …), les colonies (illégales) d’Israël deviennent des implantations (en territoire hostile), le régime d’extrême droite religieux du Hamas est qualifié de terroriste, quand celui d’extrême droite religieux d’Israël est appelé nationaliste. On nous rappelle d’ailleurs quotidiennement qu’Israël est une démocratie … comme ci cela donnait droit à toutes les dérives imaginables.
Il est assez amusant (en toute ironie évidemment), de prêter attention aux gros titres des journaux : quand il est question des victimes du Hamas, on leur donne un nom, un visage, on raconte leur histoire, leur vie d’avant … on nous parle de « massacres insoutenables », « des actes de barbaries », « d’innocentes victimes » dont on nous rappelle que la majorité sont des femmes et des enfants, des bébés, des femmes enceintes … Et bien sûr, à chaque phrase, on nous martèle (à juste titre) le nom de leur bourreau. Et oui, je crois qu’il faut, sans tomber dans un drama stérile, rappeler que les victimes de guerres lointaines sont des êtres humains semblables à nous, qu’ils avaient une vie et que la guerre la leur a prise.
Mais quand il s’agit des victimes de l’autre camp … le traitement médiatique est bien différent. Déjà, ce sont juste « des victimes » (de qui ?), des gens qui « ont été tués » … par qui ? Les articles ne le disent pas. Peut-être une intervention divine ? Les victimes palestiniennes n’ont pas de nom, aucune réalité, ce ne sont que des corps floutés, une masse à laquelle on ne donne jamais la moindre individualité, ils se résument à des chiffres égrenés chaque jour avec indifférence. On nous parle de « frappes sur des postes stratégiques des terroristes du Hamas » qui ont fait 10, 20, 30 morts. Quels morts ? Des terroristes supposons nous ? Et bien non, c’était des enfants d’un camp de l’Unwra, des aides humanitaires, des familles … Mais puisqu’on nous dit que la frappe était ciblée sur un poste terroriste, c’est que ces enfants ne devaient pas être bien innocents ! Et là on rejoint la propagande israélienne qui veut que TOUS les habitants de Gaza soient d’actuels ou de futurs terroristes.
D’ailleurs les médias français ne titrent jamais que « Guerre Israël-Hamas », il n’est pas question de Palestine, comme si ce pays et ce peuple n’existaient pas. Cela nous rappelle que, quelques semaines avant l’attaque du Hamas, le premier ministre israélien avait présenté à l’ONU une carte du Moyen Orient où la Palestine avait disparu au profit d’Israël.
Cette déshumanisation du peuple palestinien me semble indigne, et je n’ose pas me mettre à la place de ceux qui la subissent … j’aurai trop peur de comprendre quels choix terribles on peut faire quand on est à ce point nié par le reste du monde, vers quelles alternatives cette indifférence peut nous jeter.
Il y a un autre facteur qui explique le peu de lumière mis sur les victimes palestiniennes : le blocus opéré par Israël sur Gaza, qui interdit aux journalistes internationaux d’entrer dans l’enclave et les empêche donc de documenter l’histoire des gazaouis tel qu’ils peuvent le faire pour les israéliens. Mais si, en off, beaucoup se plaignent de ce procédé, ils sont très rares à le dénoncer publiquement.
Cela dit, je crois aussi que cette injonction à rester dans l’émotionnel dont je parlais plus haut résulte de la pauvreté des médias français. Rachetés les uns après les autres par des milliardaires toxiques , les uns voulant les utiliser comme véhicule de propagande, les autres voulant simplement les empêcher de sortir des affaires gênantes, les groupes de presse et de télé ne sont plus que l’ombre d’eux mêmes. Licenciements massifs, coupes budgétaires, fuites des journalistes les plus compétents … il ne reste plus dans nos médias que des chroniqueurs ne quittant jamais leur quartier bourgeois et des pigistes affamés qui cumulent quatre jobs pour survivre. Les chaînes de télé en continu qui donnent le la médiatique n’ont plus de reporters de terrain, ils doivent donc se contenter de relayer les informations données par les agences de presse nationales, ou les rumeurs. On sait tous qu’en temps de guerre, les agences nationales suivent la ligne tracée par le pouvoir … quand aux rumeurs, à la propagande de guerre, aux fake news sensationnelles, je ne m’étendrai pas la dessus car je risque de m’agacer !
Incapables de nous donner des faits, les médias en sont donc rendus à nous offrir des émotions. Et c’est dommage, le cinéma fait ça beaucoup mieux qu’eux et le vide laissé en matière d’information doit être comblé … avec tout et n’importe quoi.
Je voudrais citer un exemple édifiant de cette injonction à l’émotion, qui a eu lieu sur la chaîne (soit disant neutre et sérieuse) Public Sénat. L’historienne spécialiste du Moyen Orient, Stéphanie Latte Abdallah, fait face à plusieurs invités et chroniqueurs survoltés qui n’ont qu’un seul but ; lui faire dire que le Hamas c’est comme Daesh … et que donc l’état israélien est victime d’une attaque terroriste irrationnelle, comme celle qu’a opérée Daesh sur le sol français. Cette pauvre femme se cramponne à son intelligence et tente de rappeler d’une voix apaisante que ça n’est pas comparable. Elle se lance dans de simples explications « Le contexte colonial … l’apartheid … le statut officiel du Hamas ... » mais à chaque fois elle est coupée par des journalistes de plus en plus agressifs qui l’accusent frontalement : « Donc vous ne condamnez pas les attaques ?! Vous ne condamnez pas le terrorisme ?! » Elle tente une dernière fois de faire autorité en déclarant, agacée : « Moi, je me situe du coté de l’analyse, pas simplement de l’émotionnel. » Et c’est là que la journaliste lui répond du tac au tac : « C’est justement ça le problème ! »
Voilà qui a le mérite d’être clair.
La gouvernance des amalgames
Ce qui règne actuellement en France, ce sont les amalgames. Des amalgames obligatoires … il FAUT comparer le Hamas à Daesh, il NE FAUT PAS rappeler le contexte colonial … celui qui le fait est coupable de vouloir « relativiser ».
Parmi les amalgames délirants auxquels nous avons eu droit ces derniers jours, il y en a un qui illustre bien la dérive de notre gouvernement, c’est l’attaque du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin contre le footballeur Karim Benzema. Ce dernier avait osé tweeter : « Toutes nos prières pour les habitants de Gaza, victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants », ce qui n’a pas plu au ministre. Sur le plateau de Cnews, chaîne d’extrême droite où il se sent en terrain conquis, il déclare que Karim Benzema aurait « des liens notoires avec les frères musulmans ». Pour ceux qui ne suivent pas le foot, je vous conseille d’aller faire un petit tour sur l’Instagram de Karim Benzema, vous verrez vite que le footballeur est plus proche des mannequins d’Ibiza que des frères musulmans !
Alors que les journalistes lui demandent des preuves, le ministre répond : « Depuis plusieurs années, nous constatons une lente dérive des prises de position de Karim Benzema vers un islam dur, rigoriste, caractéristique de l’idéologie frériste consistant à diffuser les normes islamiques dans différents espaces de la société, notamment dans le sport. »
Il lui reproche en particulier son « prosélytisme sur les réseaux sociaux autour du culte musulman, comme le jeûne, la prière, le pèlerinage à la Mecque ». En gros il lui reproche d’être musulman, et d’oser l’assumer en public.
Tourné en ridicule, incapable de prouver des propos de toute évidence faux, Darmanin se justifie maladroitement en arguant que le footballer n’a pas fait de tweet pour pleurer la mort de Dominique Bernard, professeur assassiné quelques jours plus tôt par un jeune russe, fiché pour radicalisation islamiste. « Si Monsieur Benzema veut montrer sa bonne foi et qu’il est capable de tweeter pour la mort de ce professeur […] pour dire qu’il pleure également la mort d’un professeur français, alors je retirerai mes propos » déclare Darmanin au pied du mur. Évidemment, le footballeur a porté plainte et l’affaire à fait la joie de tous les chroniqueurs.
Ravi d’avoir un nouvel os à ronger, Eric Zemmour en a profité pour renchérir : « Ce que je sais, c’est que c’est un musulman qui veut appliquer la charia et que la charia prévoit le jihad. Et le jihad, ça veut dire tuer Dominique Bernard ». Une sénatrice de droite ira carrément jusqu’à réclamer la déchéance de nationalité de Benzema, pourtant français né à Lyon … pour avoir envoyé ses prières à des victimes de bombardement !
Une semaine plus tard, loin de réaliser l’absurdité de ses accusations, le ministre Darmanin insiste : « On peut se demander ce que fait un footballeur à tweeter une opinion politique et que, quand il le fait, il le fait de façon sélective. Je pense personnellement que ça cache quelque chose et ne pas le voir, c’est être naïf ».
Bienvenue en France, une fière démocratie où exprimer sa tristesse au sujet d’enfants mourant sous les bombes c’est « exprimer une opinion politique ».
C’est ainsi que, à l’heure où Gaza était étouffée sous les bombardements, les télés françaises faisaient leur prime time sur « Karim Benzema soutient il le terrorisme ? ». Je ne suis pas certaine que s’attaquer à un ballon d’or, légende nationale, avec des accusations aussi délirantes soit un bon calcul, mais cela illustre bien la dérive du gouvernement français et le naufrage de la sphère politco-médiatique. Et cela a le mérite d’illustrer de manière on ne peut plus clair le positionnement officiel de la France sur le conflit israélo-palestinien.
La position officielle française
Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, la position du gouvernement français est simple : nous soutenons coûte que coûte Israël.
Comme je le disais plus haut, notre première ministre a bien défini le cadre de réflexion en décrétant que l’antisionisme équivalait à l’antisémitisme. On peut comprendre que, après les terribles crimes commis par le Hamas sur le peuple israélien, le premier réflexe ait été de tendre les bras à l’état hébreu. Une démocratie, comme nous … nous rappelle-t-on systématiquement. Mais depuis la situation a bien changée … nous avons eu le temps de réfléchir un peu, les commentateurs les plus ignorants ont pu rattraper leur retard en découvrant les 75 ans de guerre coloniale qui ont précédé ces événements et surtout, Israël a déchaîné sur gaza et sa population un déluge de feu qui ne saurait nous laisser indifférents. Et pourtant … La présidente de l’Assemblée nationale, Yael Braun Pivet, proche du président Macron, insiste sur le fait que notre soutien à Israël doit être INCONDITIONNEL.
Globalement, les membres du gouvernement s’accrochent à l’idée que l’état israélien a « le droit de se défendre », certains ajoutant que la lutte contre le terrorisme doit se faire « quelques soient les moyens », d’autres plus mal à l’aise, évitant de faire référence aux victimes. Notre président, en visite à Tel-Aviv, marche sur des œufs et joue de son célèbre en même temps, renouvelant son soutien à Netanyahu tout en rappelant que tuer des civils ... c’est mal (voilà un beau concurrent au prix Nobel de la paix). Il déclare par exemple que le peuple de Gaza doit pouvoir recevoir de l’aide humanitaire (notamment du carburant) MAIS que cette aide ne doit pas pouvoir bénéficier aux terroristes. Débrouillez vous avec ça …
Si notre chef d’état tente de faire bonne figure face à la communauté internationale et à l’opinion publique, dans les faits et au niveau national, la position est claire ; soutien total à Israël. Les défenseurs du peuple palestinien sont inquiétés, telle que Myriam Abou Daqqa, militante de 72 ans assignée à résidence. Nous faisons également partie des très rares pays à avoir interdit les manifestations pro palestiniennes. Le conseil d’état a rappelé au gouvernement qu’il n’avait pas le droit de poser une interdiction systématique, et certaines manifs ont finalement pu se tenir (dans le calme). Mais un grand nombre sont toujours interdites sous des prétextes fallacieux tels que « l’épuisement des forces de l’ordre » ou le « contexte délicat ». Globalement la dénonciation des crimes perpétrés contre les palestiniens est mal perçue voire criminalisée, qu’il s’agisse des bombardements actuels ou de la colonisation.
La déshumanisation systématique du peuple palestinien, assimilé au terrorisme, participe à appuyer ce parti pris. La France suit la vieille ligne occidentale ouverte par Ariel Sharon qui déclarait en 2001 « Arafat est notre Ben Laden », accompagné par Bush qui renchérissait : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes ». Blanc ou noir …
Celui qui résume le mieux la position française est sans doute le maire de Bézier, Robert Ménard, affilié au parti de Marine Lepen : « On s’en fout de savoir quel est le gouvernement qui dirige Israël, on est derrière Israël. »
Maintenant, il serait intéressant de se demander pourquoi une démocratie comme la France, toujours soucieuse du droit international, affiche une position aussi radicale, quitte à fermer les yeux sur ce qui ressemble de plus en plus à une extermination de masse. Personnellement, je pense qu’il s’agit avant tout d’une question d’alliances géopolitiques.
Les prises de positions mondiales
Et on en arrive à notre seconde question : pourquoi ce conflit s’exporte-t-il donc à ce point, partout dans le monde ? C’est vrai, quand on y réfléchit, le conflit israélo-palestinien, malgré sa durée, est très loin d’être le conflit le plus meurtrier. Alors pourquoi cristallise-t-il autant d’émotions et d’opinions ?
Je pense que c’est parce que ce conflit est à l’image des grandes fractures qui divisent notre monde et qu’il est devenu au fil du temps le symbole d’une lutte bipolaire mondiale. Pour mieux comprendre cela, il faut regarder la carte des pays reconnaissant l’existence de la Palestine.
Que constatons nous ? Et bien nous retrouvons tout simplement les fractures classiques :
– Est / ouest (les pays d’Amérique latine étant politiquement associés au bloc de l’est)
– Occident / tiers monde
– Civilisation judéo-chrétienne / civilisation arabo musulmane
– Démocraties dites « libérales » / régimes dits « autoritaires »
– Pays colonisateurs / pays colonisés
On comprend alors que ce conflit est en réalité bien plus qu’une guerre de territoire.
Il faudrait, pour bien saisir la problématique, revenir à l’origine de l’idée d’un état sioniste en Palestine mandataire, au début du vingtième siècle. Mais je n’ai malheureusement pas les compétences d’une historienne, je me contenterais simplement de dire que les migrations massives juives en Palestine débutent avec la montée de l’antisémitisme en Europe, à la fin du 19ème siècle. Et que l’idée d’un état israélien fut soutenue par une frange plutôt inattendue de la population … notamment des politiciens anglais d’extrême droite qui promirent la Palestine (sous mandat britannique) aux juifs en échange de services rendus durant la première guerre mondiale.
À cette époque, les soutiens du sionisme étaient avant tout des nationalistes européens, majoritairement catholiques, qui n’aimaient pas les juifs et les préféraient au Moyen Orient que dans leurs villes. Ceux là même qui adhérèrent plus tard aux projet nazi sans trop rechigner. Et il semble que cet étrange sponsoring ait perduré … en quelques sortes.
Quand on regarde en détail les plus fervents soutiens d’Israël on trouve la droite chrétienne évangélique, majoritairement présente aux USA. J’ai voulu savoir pourquoi les évangéliques finançaient l’état lointain d’Israël … et j’ai trouvé la réponse amusante. Dans le livre de l’Apocalypse, auquel les évangéliques sont très attachés, il y a une prophétie dont ils font une interprétation assez originale : l’arrivée des juifs en terre sainte déclencherait l’arrivée du messie qui opérerait une conversion massive de tous les juifs au christianisme. La fin des temps pourra alors commencer, les hérétiques seront brûlés vifs et les justes iront au paradis. N’est-il pas terriblement ironique que les plus fervents soutiens du sionisme soient, à toute époque, des antisémites fanatiques ?
Mais là où je voulais en venir, c’est que ces puissants lobbies évangéliques sont les mêmes qui ont mis Trump au pouvoir et qui ont soutenu Bolsonaro. Aujourd’hui ils financent, à l’autre bout du monde, un nouveau dirigeant d’extrême droite ultra nationaliste … alors l’avènement de l’Apocalypse n’est peut-être pas leur seul horizon.
Cela dit, j’en reviens aux différents schismes que l’opposition entre Israël et la Palestine met en avant. On pourrait dire que, très globalement, Israël représente, l’occident, l’argent, la puissance (à travers son armée)… c’est pourquoi cet état a toujours obtenu un soutien de principe de la droite. La Palestine représente les opprimés, le tiers monde, la pauvreté … c’est pourquoi elle a toujours eu un soutien de principe de la gauche. Je parle bien évidemment de symbolique, quand la réalité s’immisce dans ce conflit comme c’est le cas depuis le 7 octobre, ces adhésions « de principe » peuvent être ébranlées … en tout cas pour ce qui est des populations, mais les états doivent s’en tenir à leurs alliances, même si elles sont parfois dures à assumer.
Ainsi il fut très difficile pour les soutiens de la Palestine de ne pas condamner les attaques du Hamas, la plupart se contentant d’appeler maladroitement à la désescalade. De même que les soutiens occidentaux d’Israël enchaînent les pirouettes pour soutenir sans en avoir l’air le massacre des millions de gazaouis. Mais ils n’ont pas vraiment le choix, Israël est un avant poste occidental en territoire « ennemi » … car oui, même si les états occidentaux commercent largement (notamment des armes) au Moyen Orient, n’oublions pas que les pays arabes sont avant tout considérés comme « ennemis » depuis que les USA, après le 11 septembre (ou peut-être avant …) aient décrété que c’était soit eux, soit nous.
Et on en vient à l’éléphant dans la pièce … l’omniprésent protecteur d’Israël : les USA. L’ingérence américaine est partout autour de ce conflit. Pour ne citer que quelques exemples :
– Trump obtient du Maroc la signature des accords d’Abraham, qui actent la normalisations des relations avec Israël et la reconnaissance de l’état sioniste, en échange du soutien de Washington sur la question du Sahara occidental.
– De même, on se souvient de la tête ahurie du président Serbe quand, en 2020, il découvre en signant les accords de normalisation économiques avec le Kosovo, que Trump lui impose une contrepartie plutôt éloignée du sujet : le déménagement de son ambassade israélienne à Jerusalem ! Stratagème peu élégant pour forcer les Serbes à désobéir à la décision de l’ONU qui veut qu’aucun pays n’installe de bureau dans la Ville Sainte tant que son statut n’aura pas été défini par des négociations bi-parties.
De son coté, le Kosovo, pays majoritairement musulman, accepte de reconnaître l’état hébreu et d’instaurer avec lui des relations diplomatiques.
– Plus généralement, il n’est pas rare que les USA s’opposent par veto à des résolutions de l’ONU concernant Israël. Je ne pourrai malheureusement pas toutes les citer ici, car en 2022 Israël a été condamné 15 fois par l’ONU (c’est plus que tous les autres pays du monde réunis !), 17 fois en 2020, 20 fois en 2018, etc …
Israël tient également le flambeau des résolutions du conseil de sécurité non respectées … 31 à ce jour ! Oui mais c’est une démocratie … nous dit-on.
– En contrepartie de ces services rendus, l’état hébreu reste le seul pays au monde à soutenir l’embargo américain sur Cuba.
Bien sûr, les USA ne sont pas le seul soutien inconditionnel d’Israël, beaucoup de pays occidentaux ferment les yeux sur la colonisation et ignorent les appels de phare de l’ONU.
Et si l’on en revient à notre carte, que constate-t-on finalement ? Que les pays soutiens à la Palestine ont avant tout une chose en commun : ce sont des pays qui ont été colonisés. Quand aux soutiens d’Israël ; ce sont des pays colonisateurs ou dirigés par leurs colons. Et je pense qu’il est là le véritable symbole. Voilà pourquoi tant de pays ont du mal à condamner sans ambiguïté les actes atroces du Hamas, ou à les qualifier de terroristes … car leur action, aussi brutale soit elle, s’inscrit dans le cadre d’une lutte émancipatrice d’un peuple que l’on spolie de ses terres, à qui l’on impose un état d’apartheid, que l’on humilie quotidiennement.
Je cite Ami Ayalon, directeur des services secrets israéliens du Shin Bet de 1996 à 2000 : « Le terroriste des uns est le résistant des autres. »
Ceux qui ont connu dans leur chair la colonisation savent qu’aucun peuple n’a jamais été libéré sans violences.
Je crois que ça explique aussi la proximité des USA (et du Canada) avec Israël ; ce sont des pays qui vivent littéralement avec ceux qu’ils colonisent. Les européens ont eu « la malice » d’organiser leurs colonies loin de leur sol, par la force militaire uniquement. Les périodes de rébellion ne touchaient donc que leurs armées et pas leurs peuples. Mais en Amérique du nord, ce sont les colons que les natifs prenaient pour cible dans leur combat émancipateur … et les massacres d’autochtones se faisaient sous leurs yeux. Ce type d’impérialisme implique nécessairement la complicité des populations civiles, et pour cela il faut user d’une propagande très efficace.
Les états d’Amérique du nord savent bien les difficultés auxquelles le gouvernement israélien fait face, d’où leur sympathie instinctive. En parallèle, la colonisation brutale a laissé des traumatismes profondément ancrés dans les mémoires des populations nord américaines, dont une grande partie sont aujourd’hui métissées, ce qui peut expliquer leur solidarité, tout aussi instinctive, envers le peuple palestinien.
Selon moi, le symbole colonial est la principale raison qui explique l’exportation mondiale de ce conflit. Quand, partout dans le monde, les populations se déchirent entre ceux qui soutiennent Israël et ceux qui défendent la Palestine, même si la plupart d’entre eux n’ont aucune attache dans ces pays, ce sont en réalité ceux qui défendent le modèle colonial et ceux qui le dénoncent qui s’affrontent.
C’est aussi pour ça que le peuple palestinien a malheureusement tendance à être anonymisé, parfois déshumanisé, c’est qu’il est malgré lui devenu le symbole d’une lutte entre deux mondes … et un symbole doit être large, suffisamment vague pour que chacun s’y identifie, à l’image d’un drapeau.
Quand les victimes deviennent les bourreaux … etc …
Et en cela, cette opposition entre juifs et palestiniens me désole et me laisse perplexe. Car, après tout, qui de mieux placé que le peuple hébreu pour comprendre son voisin, son alter ego ? Les juifs aussi sont un symbole, celui des peuples nomades, oppressés également, martyrisés et ostracisés. Ils ont connus eux aussi les amalgames et les accusations indignes, ils portent eux aussi le lourd poids de la symbolique des martyrs.
Cela m’a sauté aux yeux récemment, quand j’ai vu sur une chaîne de télé un commentateur suggérer que les punaises de lit (fléau national qui embarrasse les autorités françaises) étaient sans doute liées aux migrants arabes. Je me suis souvenue de ces affiches des années 30 qui accusaient les juifs de répandre des maladies.
Finalement, nos arabes d’aujourd’hui n’auraient ils pas remplacés nos juifs d’hier ? Boucs émissaires de toutes les failles occidentales, que l’on imagine agissant dans l’ombre pour remplacer nos populations, que l’on calomnie à tout va …
Quand, en 2012, la cour suprême internationale révélait que l’état israélien avait engagé des nutritionnistes pour calculer le nombre de calories dont un être humain a besoin pour rester à peine au dessus du seuil de malnutrition, et sélectionner ainsi le nombre minimum de convois humanitaires à faire entrer dans Gaza … je me souviens avoir pensé que l’horreur avait une ironie glaçante. Cette technique avait en effet été utilisée par le régime nazi pour maintenir les juifs en état de travailler dans les camps, tout en les gardant incapables de se révolter.
Aujourd’hui, alors que le fanatisme et l’inhumanité du gouvernement de Netanyahu s’expose au grand jour, comment ne pas voir que les victimes sont devenues les bourreaux ? L’escalade dans la sauvagerie, la propagande, les divisions, nous a donc si facilement fait oublier un passé encore proche ? Qu’attend le peuple israélien pour renverser ce gouvernement sanguinaire, d’un nationalisme aveugle, et reconnaître les palestiniens comme leurs frères de souffrance et de résilience ?
Il existe un documentaire fascinant que je vous conseille très fortement, qui s’appelle « The gatekeepers » (de Dror Moreh), et qui répond partiellement à ces questions. Il est disponible en libre accès sur une célèbre plate forme de streaming … Le film réuni les témoignages de six anciens directeurs du Shin Bet (services secrets intérieurs israélien) qui ont décidé de révéler publiquement les choix politiques de leurs gouvernements successifs pour la gestion de Gaza. Ils y expliquent clairement l’intérêt qu’avait le pouvoir israélien à laisser le terrorisme proliférer.
« Grâce à dieu, déclare l’un d’eux, le terrorisme a augmenté et on a pu oublier le sort des palestiniens ».
C’est pourquoi Netanyahu a choisi de favoriser le Hamas, il le déclare lui même : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un Etat palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et lui transférer de l’argent. Cela fait partie de notre stratégie. »
Pour faire accepter à sa population une idée aussi mortifère que la colonisation et le génocide, il faut un ennemi encore plus monstrueux que nous. C’est ainsi que l’occident a créé et nourri soigneusement le « terrorisme », ce monstre qui aujourd’hui lui échappe et s’en vient, dans sa folie vengeresse, à se nourrir de ses propres enfants.
Il est de la responsabilité des peuples de cesser d’alimenter ce cercle infernal et de s’unir contre tous les fanatismes, les obscurantismes, qu’ils soient religieux, nationalistes ou coloniaux. Le grand affrontement ne sera pas apocalyptique comme l’espère les évangélistes, il ne sera pas celui des judéo-chrétiens contre les arabo-musulmans comme l’espère les fascistes, ni celui des riches contre les pauvres tel que le voudraient les libéraux … ce sera les victimes contre les bourreaux, les peuples contre les dirigeants corrompus.
Nous sommes nombreux à attendre ce jour avec impatience, mais peu à comprendre que pour qu’il arrive, il faudra le déclencher. Ça commencera, comme toutes les révoltes, par une main tendue.
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