Édition du 17 décembre 2024

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Monde du travail et syndicalisme

Gaza : Au Royaume-Uni, les blocages d’usines d’armement se multiplient

En France, la parole et l’action en soutien aux victimes du nettoyage ethnique actuellement en cours à Gaza sont invisibilisées ou criminalisées. Au Royaume-Uni, le mouvement anti-colonial est puissant et s’en prend depuis plusieurs mois aux usines qui produisent des pièces d’avion, des missiles et des armes à destination de l’armée israélienne. Olly Haynes s’est rendu dans plusieurs villes d’Angleterre où des manifestations ont eu lieu. Une source d’inspiration pour la France ?

7 février 2024 | tiré du site Frustrations
https://www.frustrationmagazine.fr/gaza-armement/

Le 8 décembre dernier, dès 7h du matin, la petite ville de Wimborne, dans le sud de l’Angleterre, est réveillée par des slogans entonnés tels que « arrêtez d’armer Israël » ou « pas de travailleur à l’intérieur, pas d’arme à l’extérieur ». Ce jour-là, 600 syndicalistes et militants ont rejoint Wimborne pour bloquer les entrées de l’usine d’Eaton Mission Systems, une entreprise possédant un « permis d’exportation ouvert » pour ses pièces d’avion de combat F-35 actuellement utilisées par Israël pour bombarder Gaza.

« Je suis médecin et je suis ici pour faire fermer une usine d’armes qui fournit des pièces essentielles [sonde de ravitaillement] pour des avions de guerre israéliens, les mêmes qui sont utilisés pour tuer en Palestine. Nous ne pouvons pas accepter ça, ça se passe sur notre propre sol, nous sommes ici pour la faire fermer et nous reviendrons encore jusqu’à ce que l’usine soit fermée pour de bon » explique Harriet, une manifestante.

Ce blocus marque la troisième action d’une série menée par le groupe Workers for Palestine (WFP), une coalition de syndicalistes et de militants. Lors de la première action, environ 150 personnes s’étaient réunies lors du blocus de Instro Precision, une filiale de Elbit Systems, entreprise d’armes Israéliennes implantée dans le Kent, une département britannique. La deuxième action avait réuni cette fois 400 activistes pour bloquer les portes de BAE Systems, entreprise d’armes britannique également fabricante de pièces pour les F-35. Cette troisième action à Wimborne est menée en coordination avec d’autres blocus d’usines à Glasgow, Lancashire et Brighton, réunissant quant à eux un millier de personnes.

“Les travailleurs et travailleuses ont un pouvoir très spécifique et différent du pouvoir qu’on obtient quand on rassemble tout le monde dans la rue.”
AMELIA HORGAN, MANIFESTANTE À WIMBORNE

Pourquoi ce mode d’action ? Amelia Horgan, une manifestante, m’informe qu’une partie du raisonnement derrière cette tactique de réunir des syndicalistes devant les portails de l’usine repose sur l’idée que « la législation autour des syndicats au Royaume-Uni est parmi les plus régressives d’Europe. Elle limite les raisons pour lesquelles un syndicat peut faire grève et empêche ainsi une action secondaire ». Cela signifie donc que faire grève pour montrer sa solidarité avec la Palestine est illégal. Cette situation est donc similaire à celle que l’on observe en France. En effet, il est difficile pour les ouvrier.es de déclencher une grève si celle-ci n’a pas de lien direct avec leur situation. Cela n’est pas le cas dans d’autres pays d’Europe comme la Suède, le Danemark, la Grèce ou encore la Belgique où les grèves de solidarité et les grèves politiques sont légales.

En revanche, selon Horgan, une partie de la stratégie de Workers for Palestine consiste à parler avec les ouvriers en conflit de travail avec leurs dirigeants dans ces usines afin de leur apporter du soutien et essayer de les convaincre de la nécessité de cette solidarité matérielle avec la Palestine.

Blocage des portes d’une Usine BAE System dans le Kent

Elle ajoute que bien qu’elle pense que les grandes manifestations à Londres soient importantes, « la pensée de notre organisation repose sur le fait que les travailleurs et travailleuses ont un pouvoir très spécifique et différent du pouvoir qu’on obtient quand on rassemble tout le monde dans la rue. Nous essayons ainsi de bâtir un pouvoir de manière plus durable et à long terme en menant ces actions ciblées ».

Les manifestants à Wimborne ont en effet essayé de se montrer convaincants : j’ai suivi un groupe dont le but était de sonder l’opinion des riverains à propos de leur manifestation. Quelques habitant.e.s étaient hostiles, d’autres se sont montrés plus réceptifs, et beaucoup n’avaient aucune idée de ce qu’il se passait dans l’usine à côté de chez eux.

Une habitante, Laura, me dit : “je soutiens totalement [la manifestation]. Je ne savais pas ce qu’il se passait ce matin quand j’ai entendu le vacarme, et je n’avais aucune idée de ce qu’il se passait dans cette usine. Maintenant que je sais, je soutiens complètement”. Une autre riveraine, Sophie, ajoute qu’elle non plus ne savait pas que l’usine fabriquait des composants d’armes et partait du principe que le complexe était une université ou une usine plus classique.

Le blocus de Wimborne s’est déroulé en même temps que trois autres actions au Royaume-Uni, mais également en parallèle d’un blocus contre le groupe Exxelia à Paris, ainsi que celui de TERMA Group au Pays Bas et au Danemark. Les groupes ont publié une déclaration commune, annonçant que « Les manifestant.e.s de tous groupes, syndicats et frontières nationales ont uni leurs forces en solidarité avec le peuple palestinien. Appelés à l’action par Workers for Palestine, des militant.e.s du monde entier ont imposé l’arrêt immédiat du commerce et de l’exportation d’armes vers les forces d’occupation. Cette situation d’urgence et l’éradication du peuple palestinien ne peuvent être évitées que par une augmentation massive de la solidarité mondiale avec le peuple palestinien, capable de freiner l’occupation israélienne. »

Ils déclarent également qu’« un composant militaire fabriqué par Exxalia [l’entreprise notamment implantée à Paris] a permis aux forces israéliennes de guider avec précision un missile qui a frappé le toit de la maison familiale Shuheibar le 17 juillet 2014”. Le missile a tué trois enfants et gravement blessé deux autres

“Appelés à l’action par Workers for Palestine, des militant.e.s du monde entier ont imposé l’arrêt immédiat du commerce et de l’exportation d’armes vers les forces d’occupation. Cette situation d’urgence et l’éradication du peuple palestinien ne peuvent être évitées que par une augmentation massive de la solidarité mondiale avec le peuple palestinien, capable de freiner l’occupation israélienne.“

DÉCLARATION COMMUNE DES BLOCUS D’USINES AU ROYAUME-UNI, DANEMARK, FRANCE ET PAYS-BAS, DÉCEMBRE 2023

Chaque week-end depuis le 7 octobre, les rues des grandes villes du Royaume-Uni s’emplissent davantage de manifestant.e.s exigeant un cessez-le-feu. Par la suite, une partie de cette foule a commencé à occuper les gares afin de causer plus de perturbations. En plus de ces manifestations et des différents blocus organisés par WFP, d’autres actions ont vu le jour ciblant directement les ventes d’armes en Israël.

Cela résulte d’un processus d’apprentissage de près de 20 ans au sein du mouvement anti-guerre britannique. En effet, bien que près d’1,5 million de personnes aient manifesté en 2003 contre la guerre en Irak, cela n’avait pas produit l’effet escompté, étant donné la poursuite de l’engagement du Royaume-Uni dans ce conflit. Mesh Pillay, un des manifestants qui bloquait Eaton Mission Systems à Wimborne, me raconte :

“Ce qui me paraît être plus puissant aujourd’hui qu’à l’époque de la guerre en Irak, c’est une meilleure connaissance du système international qui engendre des conflits, ainsi que la manière dont nous pouvons et devons matériellement empêcher que cela se produise. C’est particulièrement inspirant.”

Blocage de l’usine de Wimborne

Le processus d’apprentissage initié par l’opposition à la guerre en Irak est également perceptible au sein du groupe Palestine Action. Ce mouvement est né en 2020, mais a vu « accroître la fréquence de ses actions » selon le cofondateur Huda Ammori. Ammori écrit en effet dans The New Arab en 2022, que malgré le nombre important de manifestant.e.s. dans la rue pendant la guerre en Irak, « ceux à qui profitait la guerre, c’est à dire les entreprises d’armes à travers la GB, n’étaient pas touchés. »

“Palestine Action” est quant à elle la faction certes la plus controversée mais aussi peut-être la plus efficace du mouvement. Ses membres utilisent en effet diverses tactiques dont le sabotage, notamment pour perturber les usines de Elbit Systems qui arme Israël au Royaume-Uni.

Ammori m’explique que les actions incluent notamment la dégradation matérielle : jet de peinture, détérioration de la climatisation des bâtiments, destruction d’équipement ou encore, coups de bélier contre les portails. Malgré quelques défaites devant les tribunaux, Palestine Action a connu des victoires majeures comme la fermeture d’une usine de Elbit à Oldham ou encore l’abandon de l’entreprise sous-traitante qui organise le recrutement des ingénieurs, concepteurs de logiciels, et personnel financier d’Elbit.

Ammori ajoute qu’« il faut observer la manière dont les usines d’armes sont dispersées en Europe. La grande partie des usines européennes sont implantées en Angleterre et je pense que c’est à cause des liens politiques et diplomatiques établis depuis 100 ans. Israël voit en effet la Grand Bretagne comme une de ses alliés les plus stratégiques, ce qui a pu donner l’idée aux entreprises Israéliennes qu’elles seront toujours bien accueillies pour fabriquer ces armes, et ce, quel que soit le parti au pouvoir. Mais ce qu’on fait chez Palestine Action c’est montrer que peu importe ce qu’en dit le gouvernement, nous, en tant que peuple, refusons l’implantation des usines dans notre pays, et nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les faire fermer ».

Ce type d’actions n’est pas le monopole d’un noyau dur syndicalistes et militants solidaires. D’autres actions se développent aussi dans la vie quotidienne. Leonardo, une entreprise italienne et l’un des principaux exportateurs d’armes vers Israël en est un parfait exemple : Cette entreprise entretenait en effet des liens avec le Luton Sixth Form College (équivalent britannique d’un lycée) que jusqu’à ce que les étudiant.e.s organisent des grèves pour protester contre ses liens avec l’entreprise ; obligeant ainsi le lycée à suspendre ses relations avec Leonardo. Les étudiant.e.s ont déclaré qu’ils continueraient à protester jusqu’à ce qu’ils aient la garantie que le collège romprait définitivement ses liens avec Leonardo.

En plus de ces mouvements étudiants, certains parents ont également commencé à se révolter. Le groupe Parents for Palestine a également occupé le hall de BAE Systems à Londres pour sensibiliser à la tragique situation des enfants de Gaza, victimes des armes produites par BAE Systems, en jouant avec leurs propres enfants.

Manifestants à Wimborne

Ces stratégies ne se limitent pas seulement à la perturbation directe des entreprises d’armement, elles visent également leurs financiers : En 2022, un rapport de plusieurs groupes de campagne affirmait que la banque Barclays avait investi plus d’un milliard dans des entreprises fabriquant et fournissant des armes à Israël et qu’elle aurait également fourni 3 milliards de prêts à ces entreprises (ce que Barclays nie). Depuis le 7 octobre, des manifestations ont donc eu lieu contre plusieurs agences bancaires, mais également contre le siège. Le 27 novembre, Extinction Rebellion a même été jusqu’à bloquer les serrures de 50 agences avec de la super glue, en signe de protestation contre leurs investissements dans l’industrie des armes et des combustibles fossiles.

“En tant que peuple, nous refusons l’implantation des usines dans notre pays, et nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les faire fermer”
HUDA AMMORI, COFONDATEUR DU GROUPE PALESTINE ACTION

Pendant ce temps, au sein de l’ONU, le Royaume-Uni s’est abstenu sur la résolution en faveur d’un cessez-le-feu. À Westminster, un député de gauche a présenté une motion visant à mettre fin aux ventes d’armes en Israël, mais la plupart des membres de la classe politique persistent à s’opposer à mettre fin aux violences à Gaza, et ce, malgré le soutien de 76 % de l’opinion publique en faveur d’un cessez-le-feu.

Pendant que les politiciens ne parviennent pas à représenter leur population, les militants quant à eux continueront à trouver des moyens concrets de perturber le fonctionnement de cette machine de guerre. La France, comme le Royaume-Uni , est impliquée dans cette machine de guerre. Selon le Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France 2023, la France aurait vendu pour 25,6 millions d’euros de matériel militaire à Israël en 2022. Ce chiffre comprend 69 licences pour l’exportation des armes envers Israël. En 2022 la France autorisait l’exportation des produits ML4 à Israël pour un montant 9 151 000 euros. Concrètement, il s’agit de l’exportation de « bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres engins et charges explosifs et équipements et accessoires ».

L’information sur quelles entreprises possèdent des licences n’est pas disponible librement, mais on sait que Thales et Dassault collaborent avec Elbit systems pour produire des drones et logiciels pour vendre en Europe. On sait aussi qu’il y a une usine de Nexter produisant des munitions chez La Chapelle-Saint-Ursin et que KNDS, la maison mère de Nexter collabore avec Elbit Systems sur la production des missiles systèmes pour les armées européennes.

Au Royaume-Uni les militant.e.s essaient de construire du pouvoir pour le long terme. “Nous reviendrons, nous n’arrêterons pas”, chantent les manifestants à Wimborne.

Olly Haynes

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