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Asie/Proche-Orient

Fukushima : Tepco submergé par les fuites

Les responsables de la centrale ont admis en début de semaine des fuites massives d’eau contaminée dans l’océan Pacifique, après des semaines de dénégation. Les fuites duraient depuis des mois. Le gouvernement japonais tape du poing sur la table mais va surtout devoir mettre la main au portefeuille.

07 août 2013 | tiré de mediapart.fr

Comme un mauvais épisode des Shadoks. Depuis des mois, Tepco, l’entreprise en charge de la centrale de Fukushima balayée par un tsunami en mars 2011, pompe et pompe encore, de l’eau non contaminée pour refroidir les réacteurs endommagés d’une part, et de l’eau contaminée par ce refroidissement pour la stocker dans des containers d’autre part. Tepco pompe mais l’eau déborde.

Le 26 juillet, Tepco (Tokyo Electric Power Company) a été forcé d’admettre que de l’eau contaminée se déversait en grande quantité dans l’océan Pacifique, après des semaines de dénégation durant lesquelles Tepco répétait que l’eau ne pouvait pas aller jusqu’à l’océan. Il a fallu attendre ce dimanche 4 août pour avoir des détails. Selon la firme, entre 20 000 milliards et 40 000 milliards de becquerels ont été déversés dans l’océan depuis mars 2011. Tepco a beau jeu d’affirmer qu’elle se trouve encore en dessous de la limite légale fixée à 22 000 milliards de becquerels par an.

Lundi 6 août, Naomi Hirose, président de Tepco, a qualifié de « honte extrême » le fait pour la firme d’avoir tellement tardé à admettre la fuite. « Je suis rempli de profond regret, a-t-il ajouté, nous avions les données mais étions incapables d’en faire quelque chose. » La communication de Tepco depuis l’accident s’avère cependant tellement calamiteuse que plus grand-monde n’est prêt à accepter ce qu’elle déclare. Fin juillet, au sortir d’une réunion avec les responsables de Tepco, Dale Klein, expert en nucléaire embauché par Tepco pour les aider à gérer la crise, avait déclaré : « De ce que j’ai vu, nous faisons plus face à de l’incompétence qu’à une tentative de se couvrir »...

Toujours selon les chiffres de Tepco, 400 tonnes d’eau sont pompées chaque jour pour refroidir les réacteurs. Mais cette eau, qui devient contaminée, doit ensuite être stockée dans des containers géants. Mille containers sont en passe d’être remplis, et Tepco va devoir trouver une autre solution. Solution sur laquelle, une fois encore, la firme ne dit mot. Quelque 3 000 personnes travaillent chaque jour à tenter de sécuriser l’usine, mais, par exemple, il est totalement impossible de remettre un toit à l’édifice tant que tous les débris radioactifs n’auront pas été retirés.

En outre, Tepco a été incapable de prévoir, ou n’a pas voulu savoir, que de l’eau contaminée réussirait à s’infiltrer dans le sol et gagner ainsi l’océan. C’est ce qui se passe actuellement. De l’eau souterraine contaminée s’échappe du site et gagne l’océan Pacifique. Tepco a tenté de bâtir un « mur » souterrain en injectant une forme liquide de silicium dans le sol, mais l’eau est passée par dessus. On estime la fuite à 400 tonnes d’eau contaminée par jour, de quoi remplir en une semaine une piscine olympique. Une autre estimation, de Tepco, parle de 50 milliards de becquerels de tritium rejetés dans l’océan chaque jour, soit exactement la quantité normalement autorisée... Les observateurs indépendants s’accordent pour dire que les niveaux de radioactivité dans l’océan sont encore en dessous des seuils recommandés. Mais le problème est qu’on ne sait même pas d’où vient la fuite. La piste la plus probable demeure celle d’une fuite à partir des réacteurs en cours de refroidissement.

Tepco avait déjà dû admettre en avril que près de 120 tonnes d’eau contaminée avaient fui des containers. En mai, des mesures réalisées sur la côte près de l’usine avaient montré des taux de strontium, hautement soluble, alarmants. En mai, la firme avait découvert de l’eau qui contenait 10 fois le taux maximal de tritium. En juin, des mesures réalisées près du réacteur numéro 2 montraient des taux de strontium-90 plus de 30 fois supérieurs au taux normalement admis au Japon.

Et depuis quelques semaines, des émissions de vapeur sont régulièrement observées à différents endroits du bâtiment. Tepco minimise à nouveau en expliquant que, selon ses mesures, cela ne signifie pas un regain d’activité au niveau des cœurs des réacteurs.

Ce mercredi 7 août, la firme a publié un nouveau communiqué, que tous les spécialistes de la question s’accordent à trouver totalement abscons.

Extrait du communiqué de Tepco

Du coup, les autorités japonaises sont sorties de leurs gonds, pas plus tard que lundi. D’abord, le patron de l’autorité japonaise de régulation nucléaire (NRA), Shinji Kinjo, a déclaré à Reuters (http://www.ibtimes.com/contaminated-water-leak-fukushima-plant-emergency-which-tepco-alone-cannot-handle-japans-nuclear 3) que l’appréhension de la crise par Tepco était « faible ». « C’est pourquoi nous ne pouvons plus laisser Tepco agir seul », a-t-il ajouté. « Désormais, nous avons une urgence. » Mardi, le même Shinji Kinjo déclarait à nouveau : « Tepco manque d’un sens suffisant de l’urgence pour cette crise. »

Akio Yamamoto, professeur en ingénierie nucléaire à l’université de Nagoya, a pour sa part déclaré au New York Times (lire ici 3) : « Tepco apparaît dépassé dans sa gestion de ce qui est un problème très sérieux. » « Tepco ne peut rien faire seul », a ajouté cet expert régulièrement sollicité par la NRA.

Ce mercredi, c’est le premier ministre japonais lui-même qui a réagi. Shinzo Abe a annoncé que le gouvernement allait s’impliquer directement et pleinement dans la gestion de la crise. « Ce problème d’eau contaminée est suivi de très près par les Japonais et c’est une question urgente à laquelle nous devons nous atteler », a déclaré Abe en sortant d’un entretien avec l’équipe resserrée chargée de la catastrophe au gouvernement. « Plutôt que de s’en remettre à Tepco, le gouvernement va prendre des mesures », a-t-il ajouté. Dans sa déclaration à la presse, Shinzo Abe a par ailleurs demandé à l’ANR d’être force de proposition : « Pour assurer la sécurité, j’aimerais que la direction de la NRA fasse de son mieux pour trouver la cause (des fuites) et apporter des solutions immédiates. »

La première chose à régler sera d’ordre financier. Le ministre de l’économie devrait demander jeudi une enveloppe supplémentaire pour gérer les coûts du projet destiné à empêcher les fuites radioactives. Le principal projet est de « geler » le sol afin d’empêcher les infiltrations, il en coûterait 410 millions de dollars (308 millions d’euros). Et encore, cette estimation ne prend pas en compte le fait que le gel du sol pourrait se poursuivre des mois, si ce n’est des années. La remise en état de la centrale et la décontamination devraient être achevées d’ici 40 ans, et devraient coûter 11 milliards de dollars (plus de 8 milliards d’euros). L’État, aux côtés des compagnies d’électricité du pays, a déjà versé plus de 30 milliards d’euros à un fonds destiné à gérer la catastrophe. Mais ces sommes ont surtout servi à sécuriser le site (du moins essayer) et à indemniser plus d’un million de personnes affectées par la catastrophe.

100 000 personnes ont dû quitter leur maison depuis la catastrophe nucléaire de mars 2011, la pire depuis Tchernobyl. Les événements de ces derniers mois et la communication catastrophique qui les a accompagnés ne devraient pas les rassurer.

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