Tiré d’Europe solidaire sans frontière. Source - Istituto per gli studi di politica internazionale, 18 avril 2025.
La chute du régime d’Assad en décembre 2024 avait rallumé l’espoir d’un avenir meilleur pour la Syrie. Cependant, après seulement quelques mois, de nombreuses difficultés sont apparues ou se sont aggravées : fragmentation territoriale et politique, ingérence et occupation par des forces étrangères, tensions sectaires, en particulier après le massacre des Alaouites dans la région côtière, et absence d’une transition politique inclusive et démocratique. Ces dynamiques constituent autant d’obstacles à une reprise économique et à un processus de reconstruction, tous deux urgents et nécessaires.
Les difficultés actuelles
Plus de la moitié des Syriens sont toujours des personnes déplacées, à l’intérieur du pays ou à l’étranger. 90 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, selon les Nations unies, 16,7 millions de personnes – soit trois sur quatre – se sont trouvées dans le besoin d’une aide humanitaire.
L’amélioration des conditions socio-économiques est donc déterminante tant pour l’avenir de la Syrie que pour que la population syrienne s’implique davantage dans la transition politique actuelle. De plus, la reprise et la reconstruction nécessiteront l’aide financière internationale.
On estime que le coût de la reconstruction de la Syrie se situera entre 250 et 400 milliards de dollars. L’aide financière internationale, associée à l’implication de l’État, devrait être utilisée pour reconstruire les logements des populations déplacées et relancer les secteurs productifs de l’économie, en évitant d’alimenter les dynamiques spéculatives et commerciales.
Les investissements étrangers restent toutefois entravés par les sanctions imposées à la Syrie et à Hayat Tahrir Cham (HTC). Fin février 2025, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont suspendu les sanctions visant certains secteurs et certaines institutions syriennes. Les sanctions américaines de grande ampleur restent le principal obstacle. En janvier, l’administration Biden a assoupli celles qui frappaient le secteur énergétique et les transferts de fonds personnels. La nouvelle administration Trump, en revanche, n’a pas encore défini de politique claire à l’égard de la Syrie ni de position sur les sanctions.
Cela dit, même abstraction faite de ces mesures restrictives, la Syrie est confrontée à de profonds problèmes économiques structurels qui ralentissent la reprise économique et compromettent les perspectives d’avenir du processus de reconstruction.
L’instabilité de la livre syrienne (SYP) pose un autre problème important. Au lendemain de la chute du régime d’Assad, sa valeur sur le marché noir a grimpé en flèche en raison de l’afflux de devises étrangères, des anticipations d’un soutien de la part d’acteurs régionaux et occidentaux, des politiques monétaires visant à réduire l’offre de SYP sur le marché et de la dollarisation informelle. Mais le chemin vers la stabilisation de la SYP est encore long, ce qui décourage les investisseurs à la recherche de rendements rapides ou à moyen terme.
En outre, certaines régions du nord-ouest utilisent depuis plusieurs années la livre turque pour stabiliser les marchés affectés par la forte dépréciation de la SYP. Le dollar américain est également largement utilisé dans le pays. La réintroduction de la SYP comme monnaie principale pourrait donc s’avérer problématique dans un contexte d’instabilité.
Les infrastructures et les réseaux de transport syriens sont encore sévèrement endommagés. Les coûts de production sont élevés et de graves pénuries de biens essentiels et de ressources énergétiques persistent. La Syrie souffre également d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée et la question de savoir si et quand ces travailleurs spécialisés reviendront reste ouverte.
Le secteur privé, composé principalement de petites et moyennes entreprises aux capacités limitées, doit encore faire l’objet d’une modernisation et d’une restructuration importantes après plus de treize ans de guerre et de destruction. Les ressources publiques sont également très réduites, ce qui limite encore davantage les possibilités d’investissement dans l’économie.
Les principales ressources pétrolières syriennes sont concentrées dans le nord-est du pays, actuellement sous le contrôle de l’Administration autonome du nord-est de la Syrie (AANES) à direction kurde. Un accord récent entre la présidence syrienne et l’AANES devrait faciliter l’accès de Damas à ces ressources. Cependant, la production syrienne de pétrole et de gaz naturel a continué de baisser considérablement depuis 2011. La production de pétrole est passée de 385 000 barils par jour en 2010 à 110 000 au début de 2025, une quantité largement insuffisante pour répondre aux besoins locaux. Avant la chute d’Assad, la Syrie était en grande partie approvisionnée en pétrole par l’Iran, mais ce soutien a depuis cessé.
Avec l’augmentation continue du coût de la vie et la dévaluation de la SYP, les Syriens sont devenus de plus en plus dépendants des envois de fonds. Le volume de ces derniers est supérieur à la fois aux investissements directs étrangers en Syrie, qui ont été minimes depuis 2011, et à l’aide humanitaire, qui a dépassé en moyenne 2 milliards de dollars par an ces dernières années.
Les premières décisions
Dans le même temps, l’orientation et les décisions économiques du gouvernement, qui outrepassent son mandat temporaire et imposent ou promeuvent sa vision économique comme modèle d’avenir pour la Syrie, consolident et accélèrent la mise en place d’un modèle néolibéral, accompagné de mesures d’austérité. Cette politique favorise principalement les intérêts des classes entrepreneuriales. Le chef du HTC, Ahmad al-Charaa, et ses ministres ont en effet organisé de nombreuses rencontres avec des hommes d’affaires syriens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, afin de leur exposer leurs visions économiques et d’écouter leurs demandes, dans le but de satisfaire leurs intérêts.
En outre, des signes concordants indiquent que le HTS accélère le processus de privatisation et met en œuvre des mesures d’austérité dans le pays. Avant sa participation au Forum économique mondial de Davos, le ministre syrien des Affaires étrangères, Asaad al-Chaibani, a déclaré au Financial Times que les nouveaux dirigeants avaient l’intention de privatiser les ports et les entreprises publiques, d’attirer les investissements étrangers et d’accroître le commerce international. Il a également ajouté que le gouvernement « étudiera les partenariats public-privé afin d’encourager les investissements dans les aéroports, les chemins de fer et les routes ».
En ce qui concerne les mesures d’austérité, de nombreuses décisions ont déjà été prises. Le prix du pain subventionné a été augmenté de 400 SYP (pour 1100 grammes) à 4 000 SYP (initialement pour 1500g, ensuite ramené à 1200g). Au cours des mois suivants, la fin des subventions pour le pain a été annoncée, dans le cadre de la libéralisation du marché. Quelques semaines plus tard, le ministre de l’Électricité, Omar Shaqrouq, a déclaré dans une interview accordée en janvier 2025 au site The Syria Report que le gouvernement prévoyait une réduction progressive, voire même la suppression, des subventions sur l’électricité, car « les prix actuels sont très bas, inférieurs à leur coût, mais seulement de manière progressive et à condition que les revenus moyens augmentent ». Actuellement, l’approvisionnement en électricité du réseau public dans les principales villes du pays ne dépasse pas deux heures par jour. Dans le même temps, le prix de la bouteille de gaz domestique subventionnée a été augmenté de 25 000 SYP (2,1 dollars) à 150 000 SYP (12,5 dollars), ce qui a de graves répercussions pour les familles.
En outre, le ministre de l’Économie et du Commerce extérieur a annoncé le licenciement d’un quart ou d’un tiers du personnel de l’État, ce qui correspond aux employé.e.s qui, selon les nouvelles autorités, percevaient un salaire sans travailler. À l’heure actuelle, il n’y a pas d’estimation du nombre total de travailleurs licenciés, alors que certain.e.s employé.e.s sont en congé payé pendant trois mois dans l’attente d’éclaircissements sur leur situation professionnelle réelle. À la suite de cette mesure, des protestations de travailleurs licenciés ou suspendus ont éclaté dans tout le pays.
Bien qu’une augmentation de 400 % des salaires des travailleurs ait été annoncée pour février 2025, portant le salaire minimum à 1 123 560 SYP (environ 93,6 dollars), cette mesure, qui n’a pas encore été mise en œuvre, reste insuffisante pour faire face à l’augmentation du coût de la vie. Selon les estimations du quotidien Kassioun à la fin du mois de mars 2025, le coût minimum de la vie pour une famille syrienne de cinq personnes résidant à Damas s’élève à 8 millions de livres syriennes par mois (soit l’équivalent de 666 dollars). [1]
Fin janvier 2025, Damas a réduit les droits de douane sur plus de 260 produits turcs. Les exportations turques vers la Syrie au premier trimestre de cette année se sont élevées à environ 508 millions de dollars, soit une augmentation de 31,2 % par rapport à la même période en 2024 (près de 387 millions), selon le ministère turc du commerce. Les responsables syriens et turcs ont également exprimé leur volonté de rouvrir les négociations sur l’accord de libre-échange entre la Syrie et la Turquie de 2005, suspendu depuis 2011, dans le but d’élargir la coopération économique. Toutefois, cela pourrait avoir un impact négatif sur la production nationale syrienne, en particulier dans les secteurs manufacturier et agricole, qui pourrait avoir du mal à soutenir la concurrence des importations turques. L’accord précédent, conclu en 2005, avait eu des effets dévastateurs sur l’industrie locale, entraînant la fermeture de nombreuses usines, notamment dans les banlieues des grandes villes.
En conclusion, la Syrie est confrontée à des défis socio-économiques pressants. Dans un tel contexte, les problèmes sociaux et économiques doivent être traités rapidement afin d’améliorer les conditions de vie et la faculté de la population à participer à la vie politique pendant la période de transition. Cependant, l’orientation économique et politique du nouveau gouvernement, caractérisée par une volonté de libéralisation accrue, de privatisation, d’austérité et de réduction des subventions, ne fera qu’accroître les inégalités sociales, l’appauvrissement, la concentration des richesses entre les mains d’une minorité et l’absence de développement productif, autant d’éléments qui ont été à l’origine du soulèvement populaire de 2011.
Joseph Daher
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde.
Notes
[1] À la veille du ramadan, le Conseil norvégien pour les réfugiés a interrogé diverses personnes avec des revenus différents, qui ont estimé que le coût mensuel de la nourriture, du loyer et des services publics s’élevait à 3 millions de livres syriennes, soit 300 dollars américains, par famille, principalement en raison de la fluctuation constante du taux de change et de la volatilité du marché.
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