Près de 32 millions d’Ethiopien-ne-s étaient appelé-e-s aux urnes, le 23 mai dernier, pour les élections générales, les quatrièmes du genre après la chute, en 1991, du régime « socialiste » autoritaire de Mengistu Hailemariam. Plus de 6 000 candidat-e-s ont candidaté pour la députation.
Le souvenir de la répression postélectorale de 2005 a plané sur les têtes pendant ce scrutin, d’autant que le pouvoir a, depuis, encore renforcé son emprise sur le pays. Souvenonsnous : des violences avaient ensanglanté la proclamation des résultats de ce scrutin quand l’opposition avait dénoncé des irrégularités dans le comptage des voix. La période qui a suivi ces élections avait été marquée par une répression sanglante dans la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD) qui a défié l’EPRDF. Plus de 200 personnes ont été tuées par les forces de sécurité, des milliers de citoyens, dont des leaders, des membres et des supporters de l’opposition ainsi que des journalistes, ont été emprisonnés lors des affrontements entre le EPRDF et la CUD qui ont duré plus de deux mois.
Les principaux dirigeants de l’opposition avaient été emprisonnés et plusieurs condamnés à la perpétuité pour « déstabilisation de l’ordre constitutionnel » ; ils ne furent libérés qu’après avoir exprimé leurs regrets et beaucoup furent contraints de quitter leur pays. De leur côté, des policiers anti-émeute ont été tués par des protestataires que le gouvernement a vite fait de qualifier de hooligans. Cette annéelà, l’EPRDF s’est au final attribué le score national de 59,8%, ce qui lui donnait 327 sièges au parlement fédéral tandis que la CUD aurait fait 19,9% donc 109 sièges.
C’est parce qu’elle anticipait les tricheries du pouvoir que l’opposition a formalisé dès février 2009 son unité à travers une nouvelle alliance, le Forum pour le dialogue démocratique en Ethiopie (FDDE). Le FDDE a immédiatement annoncé des plans pour élargir l’espace démocratique. La loi anti-terroriste votée par le parlement éthiopien le 7 juillet 2009 retire dans certains cas aux journalistes le droit de protéger leurs sources ; selon la nouvelle loi, « les journalistes doivent dévoiler leurs sources lorsqu’ils font des reportages sur le terrorisme ». Le nouvel arsenal juridique contre le terrorisme autorise des arrestations et des fouilles sans le mandat d’un juge.
Il a ainsi permis de détenir pendant un mois l’un des candidats d’opposition au Sud du pays. Meles Zenawi, en campagne, a mis en avant son « bilan économique » : une croissance autour de 10%, une inflation maîtrisée et des exportations en hausse. Très tôt le pouvoir a pris des mesures pour s’assurer une victoire électorale. L’enjeu pour lui c’était à la fois la victoire et le déroulement « paisible » du scrutin. Et rien n’a été laissé au hasard : 220 000 agents électoraux à la solde du pouvoir, selon l’opposition, ont été déployés dans le pays ; 160 observateurs internationaux « étaient acceptés s’ils se focalisaient sur le processus du déroulement des élections plutôt que sur les résultats, à l’issue de leurs observations ».
L’opposition réclame de nouvelles élections. Elle se retrouve ainsi dans un nouveau bras-de-fer avec l’EPRDF comme cinq ans plus tôt. Dès le soir du scrutin, elle dénonçait fraudes et irrégularités massives dans plusieurs régions : bourrages d’urnes, absences d’isoloir, pressions exercée sur les votants. Le 25 mai, Meles Zenawi s’est proclamé vainqueur. Les Etats-Unis critiquent pour la forme l’irrégularité du scrutin car que leur poulain Zenawi tienne d’une main de fer ce rempart contre l’intégrisme islamiste qu’est l’Ethiopie dans la Corne de l’Afrique ne peut pas les mécontenter. Les forces démocratiques unies d’Ethiopie auront à coeur de concevoir et mettre en oeuvre une alternative cohérente aux conflits ethniques postélectoraux potentiels que l’Etat-EPRDF clientéliste induit et attise pour diviser et perdurer (1).
Pierre Sidy
(1) Ethiopie : Le Fédéralisme ethnique et ses conséquences fâcheuses, Rapport du Groupe international de crise (GIC), 4 septembre 2009.