Déjà, les effets des attaques venant de l’extérieur se font sentir ; l’issue de la bataille va avoir d’immenses répercutions dans la région et au-delà. Comparativement, le renversement du colonel Khadafi a été un événement marginal. La situation est éminemment complexe mais, les médias en donnent une image trompeuse, simpliste et unidimensionnelle. Ils donnent l’impression que nous assistons à un soulèvement héroïque de la population contre le brutal État baatistei policier.
C’est certainement un des aspects de la crise. La répression brutale est toujours en cours. Les escadrons de la mort hantent les rues. Les journalistes étrangers, toujours interdits de séjours dans le pays, en font état en s’appuyant sur les informations livrées par les membres de l’opposition. Mais cette situation ne fait que permettre une certaine désinformation. L’opposition a déclaré, la semaine dernière, qu’un centre de renseignements de l’armée de l’air, près de Damas avait été démoli. Pourtant d’autres sources disaient que le bâtiment avait été touché par des grenades tirées avec un lance roquette et avait tout juste été égratigné. Les journaux ont seulement publié la première version à laquelle ils se sont fiés.
À voir le défilé des opposants au gouvernement syrien, on devrait comprendre qu’il y a plus en jeu ici que le souci des États arabes et du monde occidental pour les droits de la personne. C’est l’Arabie Saoudite qui a pris la tête du mouvement international, une des rares monarchies absolue du monde et qui règne par la répression. En mars dernier, elle a engagé 1,500 soldats au Bahrein où un soulèvement populaire avait lieu, assez semblable à ce qui se passe en Syrie maintenant. Elle a fourni un soutient sans faille aux autorités de ce pays alors qu’elles torturaient les dirigeants et les employéEs des services hospitaliers qui n’avaient que prodigué des soins aux protestataires blesséEs. Et il faudrait croire que l’Arabie Saoudite se préoccupe des droits de la personne ?
Il faut chercher des motifs plus convaincants pour son intervention en Syrie, dans la guerre larvée que mènent les États-Unis, Israël et les États sunnites de la région, contre l’Iran. Les limites des actions directes contre l’Iran se sont révélées au cours des années. Elle a réussi à se maintenir. La Syrie c’est autre chose.
Le politologue iraquien, Ghassan Attiyah explique ainsi les choses : « Si vous ne pouvez vraiment atteindre l’Iran, la meilleure alternative est de briser la Syrie ». Il souligne à quel point il est absurde que l’Arabie Saoudite se présente comme le défenseur des droits humains et démocratiques du Proche Orient.
Les États-Unis sont soucieux de ne pas se retrouver sur le devant de la scène. Un membre du gouvernement syrien déclare que Damas a dépêché des émissaires auprès du gouvernement américain pour voir s’il n’accepterait pas de diminuer un peu sa pression. L’administration a exigé, en retour, que la Syrie rompe ses liens avec l’Iran. Les Syriens n’étant pas convaincus qu’ils obtiendraient vraiment ce qu’ils demandaient dans ce contrat, l’ont refusé. Les émissaires ont présenté ainsi les choses : « On nous a demandé de sauter dans une piscine vide ! »
La bataille pour défaire la Syrie est l’ultime scène du conflit sectaire entre les Sunnites et les Chiites. On en trouve le début dans la révolution iranienne de 1979 ; il s’est creusé au cours de la guerre Iran-Irak de 1980-1988 et a atteint des paroxysmes de haine durant la guerre civile entre les deux obédiences en Iraq de 2005 à 2007.
En 2005, l’Irak est devenu le premier pays arabe, depuis les Fatimides au 12ième siècle, à se donner un gouvernement à prédominance chiite. L’organisation politico-militaire chiite Hezbollah du Liban joue un rôle de leader dans le pays après qu’elle eut renvoyé Israël dans ses terres en 2006. Dans l’Afghanistan post-Talibans, l’ethnie chiite Azara, longtemps opprimée et tenue dans un état de quasi servage, accroit son influence politique et économique.
Au point de départ, il semblait que le printemps arabe jouait en faveur des chiites et de l’Iran. Il renversait certains de ses opposants les plus notoires dont le Président Mubarak en Égypte. La majorité chiite, 70% de la population du Bahrain, se battaient en février et mars dernier pour la démocratie et la fin de la brutale répression. Ceux et celles qui ont été torturéEs ont déclaré que leurs tortionnaires ne cessaient de leur demander d’avouer leurs liens avec l’Iran. Pour se convaincre du caractère sectaire de la riposte du pouvoir aux manifestations, il faut savoir que le gouvernement a démoli les mosquées chiites et profané des lieux dédiés à ses saints.
L’alliance contre le gouvernement Assad est dirigée à la fois contre l’Iran et les Chiites. Elle s’appuie sur l’analyse correcte que le renversement de ce régime atteindrait les deux autres. L’élite au pouvoir en Syrie, appartient à une secte hétérodoxe chiite, les Alaouites. Ils forment environ 12% de la population. Selon un diplomate de haut niveau au Proche Orient : « Les Alaouites ont décidé que quoi qu’il arrive ils resteront fidèles à Assad, quitte à en mourir ». De leur côté, les Chrétiens et les Druzes n’attendent rien de bon d’un régime sunnite vainqueur. Le Hezbollah serait affaibli au Liban et les liens vieux de 30 ans entre la Syrie et l’Iran s’éteindraient. Pas surprenant que les Iraniens voient l’assaut contre la Syrie comme une attaque contre leur pays et contre le Chiisme sous le couvert d’une lutte pour les droits humains.
Comment réagiront l’Iran et l’Irak, les deux États chiites les plus importants de la région, à l’éventuelle chute du gouvernement de Damas ? Les Iraniens vont tout faire pour la dénoncer mais ils sont conscients que ça ne suffira pas. Donc, ils vont augmenter leur influence en Irak. Le Dr. Attiyah pense qu’ils vont tout faire pour maintenir des liens étroits avec l’Irak qui deviendra ainsi un véritable champ de bataille.
Bagdad a ses propres raisons de craindre l’issue de la crise syrienne. La communauté sunnite iraquienne, marginalisée par les Chiites et les Kurdes, se renforcera si un régime sunnite prend le pouvoir à Damas. Les Etats-Unis, après le retrait de leurs troupes l’an prochain, n’auront plus beaucoup de raisons de soutenir le Premier Ministre Nouri al-Maliki. Le leader iraquien ne peut pas douter de l’hostilité de ses voisins sunnites.
La chute du gouvernement syrien aura des répercutions partout au-delà de ses frontières contrairement à ce qui se passe pour la Lybie. Tout le Proche Orient va se retrouver dans la tempête. La Turquie déclare en privé qu’elle a reçu les coudées franches de la part des Etats-Unis et de la Grande Bretagne pour agir à sa guise. Et les Saoudiens n’ont aucune envie de voir la Turquie devenir le champion du monde musulman. Donc, l’actuelle bataille pour l’influence sur la Syrie ressuscite les rivalités et prépare le terrain pour des conflits à venir.