Une politique étrangère guerrière
Si l’attentat de Suruç a été organisé par l’organisation djihadiste Daesh, c’est bel et bien la politique extérieure guerrière du régime Erdogan qui a fourni les conditions dans lesquelles la barbarie djihadiste a pu se déployer sur le territoire turc.
La diplomatie turque dirigée par le ministre des Affaires étrangères (actuel Premier ministre) Ahmet Davutoglu depuis 2009 avait pour objectif une « normalisation » des rapports de la Turquie avec les pays voisins tout en étant paradoxalement accompagné de la motivation « néo-ottomane » d’établir une hégémonie politico-culturelle et économique sur les pays du Moyen-Orient.
Mais avec la révolte populaire en Syrie Ankara a misé sur un renversement rapide d’al-Assad. Cette illusion l’a entraîné à s’engager de tout son poids aux côtés des monarchies du Golfe et des États-Unis en soutenant l’opposition syrienne (ALS puis groupes djihadistes). Cependant il s’est avéré que Assad tenait bon et que le régime n’était pas près de tomber. Ce que l’impérialisme occidental a fini par comprendre. Mais non l’AKP. L’adoption d’une politique extérieure ne concordant plus avec aucune de celles de ses principaux alliés, a fini par isoler l’État turc au niveau international.
L’AKP et Daesh : « L’ennemi de mon ennemi… »
Une des principales raisons de l’engagement du régime d’Erdogan dans le combat pour le renversement d’al-Assad fut certainement la présence d’une forte population kurde à la frontière turco-syrienne. La formation d’une administration régionale kurde au nord de l’Irak suite à l’intervention impérialiste en 2003 avait sans doute constitué un des traumatismes politiques les plus marquants de l’État turc. C’est donc manifestement la crainte de revoir le même scénario se réaliser à la suite d’un changement de régime en Syrie qui a poussé le gouvernement turc à tenter d’intervenir dans la crise syrienne dès le début du soulèvement et d’établir un contrôle sur l’opposition (face aux autres « amis de la Syrie »), tout d’abord à travers les Frères musulmans, puis par le soutien à d’autres courants islamistes.
Alors qu’un processus de négociation (accompagné d’un cessez-le-feu) avec le leader du mouvement kurde, Öcalan était en œuvre, le gouvernement turc est allé jusqu’à soutenir implicitement ou du moins souhaiter de tout cœur la prise de Kobanê (où le PYD -organisation sœur du PKK- avait déclaré l’autonomie) par Daesh, permettant à ses militants de traverser librement la frontière dans les deux sens. Une région dominée par Daesh à sa frontière était ainsi préférable pour le régime d’Erdogan, au point où malgré la pression des Etats-Unis il ne participa que timidement et à contrecœur à la coalition anti-Daesh.
Erdogan joue sa dernière carte
Comme conséquence de cette politique (et aussi du fait que le processus de négociation ne donna aucun résultat concret) l’AKP perdit son soutien dans le Kurdistan de Turquie et le HDP (lié au mouvement kurde) obtint 13%, un résultat inattendu. Ainsi l’AKP n’était plus en mesure de former le gouvernement tout seul, comme il été le cas depuis 2002.
Profitant de l’attentat de Suruç, l’AKP tente aujourd’hui, avec son changement de position envers Daesh, de redevenir un acteur crédible dans le Moyen-Orient aux yeux de l’impérialisme occidental (surtout face à la montée de l’Iran avec les accords nucléaires). En retour il obtient l’approbation de l’administration Obama pour ses frappes contre les camps du PKK.
Au niveau national, Erdogan espère que ce climat de conflit et de mobilisation anti-terroriste lui permettra de ré-émerger comme leader national, de discréditer le HDP, de récupérer les voix passées à l’extrême-droite pour renforcer celles de l’AKP dans le cas d’élections anticipés (forts probables), permettant ainsi la formation d’un nouveau gouvernement AKP et la transition à un régime présidentiel-autocratique dont il serait le sultan.
La guerre est effectivement la continuation de la politique par d’autres moyens. Aux forces de gauche et au peuple kurde de se mobiliser pour défendre la paix !