Édition du 19 novembre 2024

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Afrique

Mali : La nostalgie de la stabilité

Il est difficile de savoir qui peut sortir vainqueur à moyen terme au Mali, mais personne ne doute quant à savoir quelle est la force qui a déjà été vaincue par l’intervention française.

A la veille même des premiers bombardements, l’analyste touareg Akli Chaka l’expliquait sur la page web en arabe du Mouvement de Libération Nationale de l’Azawad (MNLA) dans un article au titre éloquent : « Le commencement de la fin ». Il y décrivait le peuple de l’Azawad et son projet d’indépendance comme fatalement écrasés entre « l’enclume du terrorisme et le marteau des accords et des interventions étrangères ». Après avoir accusé l’Algérie d’avoir manipulé les islamistes radicaux pour faciliter « l’intervention coloniale française », Akli Chaka avertissait que « l’unique, le véritable perdant » ne sera pas l’AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique) mais bien « le rêve d’indépendance de l’Azawad, qui sera enterré à jamais ».

A mesure que l’offensive française avance sur le terrain, on peut mesurer toute vérité tragique de ces paroles. Ce n’est pas seulement le projet d’un Etat indépendant, mais la population elle-même – touarègue et arabe – qui semble aujourd’hui menacée par le désir de vengeance d’une armée malienne humiliée, accusée de massacres et d’exécutions sommaires dans les territoires reconquis par la France, surtout à Tombouctou et Gao. Les Touaregs du MNLA, qui refusent d’être écartés et qui craignent un « génocide » de la part des soldats maliens, se sont retranchés à Kidal après le retrait des islamistes, tentant de forcer des négociations. Leur proposition d’un Etat fédéral a déjà été rejetée par les autorités maliennes, dont la supériorité militaire française leur garantit une victoire totale. L’accord tacite algéro-français préserve l’unité du Mali comme garantie des intérêts énergétiques communs et exclu, par conséquent, toute solution durable à l’un des conflits historiques qui a précipité la situation actuelle.

Avec une douleur rageuse, Aghilas Sagrou, un autre jeune collaborateur touareg du MNLA, dénonçait dans ce sens « la vision erronée que les Arabes, les musulmans et les occidentaux ont de l’Azawad et de son peuple ». Déterminés à interpréter la crise actuelle comme un conflit entre deux parties – l’Etat du Mali et les « terroristes » - ils oublient, dit-il, le peuple touareg et, par conséquent, le caractère colonial et violemment artificiel de l’Etat malien lui-même. L’intervention militaire française, en effet, n’est rien d’autre que le « réajustement » conjoncturel d’une intervention ininterrompue qui a non seulement marqué l’histoire du Mali depuis l’indépendance mais qui a contaminé sa naissance elle-même. Les armes libyennes et le coup d’Etat de Bamako, facteurs circonstanciels qui ont permis au mouvement touareg de radicaliser ses revendications historiques, ne doivent pas nous empêcher de rappeler les nombreuses révoltes qui, depuis 1963, viennent révéler et aggraver la fracture géographique, ethnique et sociale d’un pays né de l’atelier de bricolage colonial.

Mais il ne s’agit pas que des Touaregs. Il y a quelque chose de forcé – quand ce n’est pas profondément « idéologique » - à attribuer toute l’instabilité de la zone, et surtout celle liée à l’AQMI, à la disparition de Kadhafi. La droite a toujours soutenue, ou du moins toléré, les dictatures comme source de « stabilité », mais il est encore plus choquant que ce critère soit utilisé à gauche pour alimenter la nostalgie du kadhafisme et, en général, pour condamner les « révolutions arabes ». De fait, l’impérialisme a également une forte vocation « stabilisatrice » et il ne faut pas oublier que si Kadhafi a combattu de manière sélective l’islamisme, il l’a fait en collaboration avec l’Europe et les Etats-Unis et avec les mêmes méthodes que nous n’avons cessé, à juste titre, de dénoncer à Guantanamo et dans la CIA.

Pour le reste, il n’est pas nécessaire d’avoir de grandes connaissances spécialisées ; il suffit de lire régulièrement les journaux et d’avoir une mémoire normale pour savoir que l’industrie du kidnapping et des trafics d’armes, des êtres humains, du tabac et des drogues, ainsi que le recrutement concomitant d’adolescents par l’AQMI est endémique dans le nord du Mali et cela depuis bien avant la révolte libyenne et l’intervention criminelle de l’OTAN.

Cette « stabilité » faite de pauvreté, de marginalisation, de radicalisme islamiste et de crime organisé est la conséquence directe d’une intervention négative dans laquelle le FMI et la France ont joué un rôle prépondérant. Mais les grands investissements de Kadhafi dans la dernière décennie, qui permettaient d’arrondir les fins de mois des élites corrompues au Mali, faisaient partie du même lot. L’achat de 100.000 hectares des meilleures terres de culture du riz près du Niger, la construction de la pharaonique « cité administrative » de Bamako ou d’hôtels de luxe et de grandes mosquées sont loin d’avoir bénéficié aux différents peuples disséminés dans la géographie inégale du pays. Ni les programmes d’ajustement du FMI, ni la balance commerciale défavorable avec la France, ni la munificence intéressée de Kadhafi n’ont permit au Mali de quitter le peloton de queue des indices de développement humain des Nations Unies : ce sont plutôt la cause d’une situation d’abandon et de pauvreté qui, dans le nord, prend des dimensions dantesques.

La révolte touarègue et l’offensive islamiste, frères siamois ennemis, sont en tous les cas la conséquence de ces conditions d’instabilité chronique induite. Comme le démontre dans son dernier livre le journaliste Serge Daniel, spécialiste du Sahel, l’une et l’autre ont à voir « avec l’absence d’Etat » et « d’un véritable programme de développement pour la région ». La cause touarègue, plus fragile et plus juste, pourrait être vaincue. Les islamistes labellisés « Al Qaeda », pour leur part, ont compté et comptent avec l’aide inappréciable de dictatures locales et d’interventions militaires étrangères qui, tout en invoquant la guerre contre le « terrorisme islamique », ont non seulement alimenté et alimentent son ferment social mais auréolent aussi son fanatisme d’un prestige héroïque et émancipateur.

L’unique issue réaliste à ce cercle vicieux destructeur est une combinaison d’anticolonialisme et de démocratie sociale : anticolonialisme qui garantit la souveraineté des peuples sur les ressources et sur leur distribution ; démocratie qui garantit la reconnaissance des sujets individuels et collectifs comme source de définition des cadres politiques et territoriaux.

Source : http://www.cuartopoder.es/tribuna/mali-la-nostalgia-de-la-estabilidad/3880

Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

Santiago Alba Rico

rebellion.org

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