9 novembre 2022 | tiré de Socialist Action | Traduit par Marc Bonhomme
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Cinquante-cinq mille travailleurs de soutien à l’éducation, membres du Conseil des syndicats des conseils scolaires du SCFP-Ontario, ont déclenché une grève de masse, qualifiée d’illégale, le vendredi 4 novembre après que le gouvernement conservateur de l’Ontario du premier ministre Doug Ford eut adopté le projet de loi 28. La loi provinciale draconienne a interdit la grève avant qu’elle ne se produise, et elle invoquait la clause nonobstant de la Constitution canadienne pour outrepasser les droits garantis par la Charte de négocier librement et de faire la grève. La loi imposait également les salaires et les conditions de travail sans aucune autre négociation ni arbitrage. En réponse, une action de protestation syndicale massive a rassemblé plus de 10 000 membres et alliés du SCFP qui se sont rassemblés à Queen’s Park, et des milliers d’autres devant les bureaux de circonscription des députés provinciaux à travers la province. Cette riposte a été organisée en seulement quatre jours. Un rassemblement d’urgence devant les bureaux du ministère du Travail au 400, avenue University le 1er novembre, suivi d’une marche bruyante vers l’Assemblée législative à Queen’s Park, a mené à des actions inspirantes à Queen’s Park les 4 et 7 novembre, ainsi qu’à un blocage par des centaines de personnes à l’intersection des rues Yonge et Dundas le 5 novembre.
Cela a incité de nombreux militants à exiger une grève générale, même pendant les discours des dirigeants syndicaux. Le secteur 3 du SEFPO a quitté le travail et s’est engagé dans une grève de solidarité illégale pour soutenir les travailleurs du SCFP Ontario. Les syndicats de partout au Canada ont promis des millions de dollars pour soutenir les travailleurs de soutien scolaire à bas salaire.
De toute évidence, le SCFP-Ontario et ses alliés syndicaux ont forcé Doug Ford à reculer. La promesse inattendue de dernière minute du premier ministre d’annuler le projet de loi 28 a été une victoire majeure pour la classe ouvrière et le mouvement ouvrier. Cela s’est produit quelques heures seulement avant l’annonce prévue d’une énorme action de protestation qui aurait eu lieu à Queen’s Park le samedi 12 novembre et d’une grève générale provinciale qui aurait commencé le lundi 14 novembre. Le retrait de Ford a entraîné la mise en veille de ce plan d’action.
Les membres et alliés du SCFP qui se sont mobilisés ont été transformés par les événements — pour le mieux. Les travailleuses et travailleurs de toute la province, dont beaucoup n’avaient jamais assisté à une réunion syndicale, et encore moins à une manifestation de masse contre le mépris d’une loi injuste, ont soutenu les travailleuses et travailleurs contre le gouvernement. Iels ont exigé plus d’action de la part de leurs directions syndicales, en particulier au sein de la Fédération des enseignantes et des enseignants des écoles secondaires de l’Ontario et de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario. Les travailleurs ont exigé une action de masse et une grève générale pour défier Ford et son ministre de l’Éducation Stephen Leche. Il y a une soif palpable d’actions de masse et de manifestations de solidarité. Il est devenu clair que le gouvernement de Doug Ford avait mordu dans un morceau qu’il était incapable d’avaler.
Au même moment, les conseillers de Ford l’ont sauvé d’un revers encore plus grand, qui aurait entraîné la première grève générale, impliquant à la fois les syndicats des secteurs privé et public, depuis les Journées d’action de l’Ontario (Days of Action) de 1995-96, et la Journée nationale de protestation contre le contrôle fédéral des salaires du 14 octobre 1976. À l’ordre du jour figurait une grève qui aurait lieu pendant une période de forte inflation et de bas salaires, à une époque de méfiance à l’égard de l’autorité et de mépris du gouvernement, une grève qui aurait pu entraîner l’arrêt complet de l’économie, à l’échelle de la province, avec son potentiel d’aller au-delà. Dans son arrogance, Doug Ford s’était peinturé dans un coin. Il a dû avaler de travers devant des millions d’Ontariens à la télévision en direct, forcé de promettre d’annuler son projet favori — de saper les droits de négociation collective. Il ne fait aucun doute que tous les gouvernements provinciaux et tous les partis politiques ont regardé cet épisode de la démesure de Ford et de son incompétence maladroite, et s’en souviendront.
Une fois l’engagement d’abroger le projet de loi 28 dans son intégralité reçu par écrit du premier ministre, Laura Walton, chef des négociations du SCFP-CSCSO, a annoncé que le mouvement syndical avait gagné la bataille contre le projet de loi 28 et que, en signe de bonne foi, la grève prendrait fin et l’équipe syndicale retournerait à la table de négociation. Lorsqu’un journaliste lui a demandé si des plans étaient en cours pour une grève générale, le président national du SCFP, Mark Hancock, s’est montré timide. Il a plaisanté, exhortant les scribes à acheter son livre après sa retraite. Hancock n’a pas mentionné que la direction du mouvement syndical a tenu une réunion d’urgence, avec 50 participants des syndicats des secteurs public et privé, où ils avaient décidé à l’unanimité de planifier une manifestation gigantesque pour le 12 novembre, qui aurait été suivie d’une grève générale à l’échelle de la province le 14 novembre. Les travailleuses et travailleurs ne méritaient-iels pas de connaître la vérité ?
La foule de milliers de personnes devant l’Assemblée législative le 7 novembre a applaudi le recul de Ford, mais en ce qui concerne l’annonce de la suppression des lignes de piquetage, pas tellement. La scène est rapidement passée de l’adulation au silence médusé. Un mélange de regards stupéfaits et d’acceptation grincheuse constatant que, pour le moment, les travailleuses et travailleurs avaient au moins gagné une bataille majeure dans une guerre en cours contre l’employeur. Bien sûr, il y a un risque que, dans les jours et les semaines à venir, l’élan se dissipe alors que les membres du SCFP retournent au travail, que le temps glacial arrive et que l’équipe de négociation poursuit les négociations avec un patron qui s’est révélé obstructionniste et intransigeant. Cette situation était-elle évitable ? Si le SCFP-Ontario avait poursuivi sa grève, exigeant de voir une offre nouvelle et améliorée avant un retour au travail, que se serait-il passé ?
La plupart des syndicats, du moins au sommet, se sont concentrés sur la nature antidémocratique du projet de loi 28 et de la clause nonobstant. Cette dernière aurait un impact sur tous les syndicats à travers le pays, sans parler de tous les groupes en quête de justice qui seraient menacés d’une forte augmentation des violations des droits fondamentaux de la personne, par des gouvernements et des patrons non gênés par la Charte des droits. Alors que tous les syndicats affiliés étaient en faveur de salaires décents et de conditions de travail équitables pour les travailleurs du SCFP-CSCSO, auraient-ils accepté de s’engager dans une grève générale à l’échelle de la province sur cette seule question ? L’auteur de cette article, qui a assisté à la conférence de presse des chefs syndicaux, a appris que le SCFP-CSCSO, UNIFOR, le Syndicat des Métallos et le SEFPO ont indiqué leur volonté de déclencher une grève générale à l’échelle de la province, ou une forme de journées d’action, si Le SCFP avait décidé de poursuivre sa grève. Mais en fin de compte, c’est l’appel du SCFP-CSCSO qui comptait. (Les membres de la base ont-ils été consultés ?)
Si Ford n’avait pas annulé le projet de loi, l’expérience d’une grève générale aurait renforcé la confiance et attisé une solidarité bien nécessaire dans la classe ouvrière de la province la plus peuplée du Canada. Il est possible que les revendications aient pu être élargies bien au-delà de l’opposition au projet de loi 28 et pour réclamer de meilleures conditions de travail, y compris l’annulation du projet de loi 124, l’obtention de salaires plus élevés pour toutes et tous, y compris un salaire minimum de 25 $/heure, des réformes électorales démocratiques – et la destitution de Doug Ford en tant que premier ministre. Un tel scénario galvaniserait la gauche en tant que mouvement de masse se dressant contre la droite montante, y compris contre les forces réactionnaires antisociales, antiscience et anti-immigration du dit convoi de la liberté. Potentiellement, tout ce qui est progressiste pouvait être mis sur la table.
Les travailleuses et travailleurs de l’éducation du SCFP se retrouvent maintenant dans une situation quelque peu semblable à celle qu’ils avaient avant de se mettre en grève. Cependant, iels sont dans une position de négociation plus forte avec des niveaux énormes de sensibilisation et de soutien du public. Il est beaucoup moins probable qu’une législation anti grève soit déployée contre eux. Si les travailleurs ne parviennent pas à un accord satisfaisant, ils peuvent reprendre la grève ou accepter un arbitrage exécutoire — ce dernier étant un processus bureaucratique qui donne beaucoup moins de pouvoir aux travailleuses et travailleurs que la libre négociation collective. Qu’en est-il de la décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario sur la légalité fondamentale de la grève/manifestation des membres du SCFP ? Avec l’abrogation de la loi 28, cela restera probablement un mystère.
Dans tous les cas, la solidarité reste vitale. La direction du SEFPO a informé les membres et alliés qu’elle reste « en attente », prêt à reprendre l’action de solidarité en cas de besoin. Une réunion de tous les dirigeants aura lieu, convoquant les représentations de ses 180 000 membres pour examiner ce qui s’est passé et planifier l’avenir. La militance ne doit pas se sentir démoralisée par l’absence d’une victoire totale. Au lieu de cela, il faut célébrer la défaite de la loi 28, apprendre des méthodes utilisées pour y arriver et continuer à nous préparer pour la grève générale. Comme l’a dit le président du SEFPO, JP Hornick, lors de la conférence de presse : « Nous sommes ravis de l’engagement de Ford, mais le SEFPO ne se retire pas ; nous restons là. […] Quand tu viens pour l’un de nous, tu viens pour nous tous. […] Les travailleurs unis peuvent fermer cette province ! »
Grâce à l’action des membres de la base et de la militance alliée, nous sommes maintenant plus près d’une grève générale que nous ne l’avons été depuis longtemps. Continuons à nous organiser et préparons-nous à débarquer Thug Ford avec une grève générale !
(Julius Arscott est membre du conseil exécutif de Syndicat des employées de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO), porte-parole du Workers’ Action Movement (WAM) et membre dirigeant de Socialist Action / Ligue pour l’Action socialiste.)
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