Tiré de Entre les lignes et les mots
Publié le 13 avril 2022
Ces « nouvelles femmes de droite » : groupuscules de militantes comme les Caryatides, les Antigones le Collectif Némésis, intellectuelles comme Eugénie Bastié, Marianne Durano, Charlotte d’Ornélas, Gabrielle Cluzel, ont gagné en visibilité politique et médiatique, délaissant les structures classiques existantes, ont brouillé les clivages politiques traditionnels et développé un militantisme de plume et de clavier de presse relayé par des organes de presse : l’Incorrect, Valeurs actuelles, la revue Limite, Boulevard Voltaire, Paris Vox, TVLibertés. Opposées à l’islam et à l’immigration extra-européenne, elles analysent les violences sexuelles au prisme de la race plutôt que du genre et présentent de façon générale le féminisme, en particulier celui dit de la deuxième vague comme un mouvement d’aliénation. En mars 2021, L’Incorrect, mensuel proche de Marion Maréchal, trace le portait de « l’ennemi des femmes » […]. Pour ces féministes 2.0, l’objectif ne serait plus l’égalité des droits, déjà atteinte dans la plupart des pays occidentaux, mais l’égalité biologique. Et cette égalité factice passe par l’éradication du mâle, de la virilité soi disant « toxique » bref par « l’anéantissement du masculin »…
Magali Della Suda ouvre son propos par quelques définitions qui vont s’avérer très utiles pour la lecture de son livre (fémonationalisme, nationalisme féminin, féminisme blanc, féminisme occidentaliste, alterféminisme, féminisme intégral, néoféminisme, nationalisme, identitaire, restitutionnisme, conservatisme, libertarianisme /libertarisme, militantisme pro-femmes,). Certaines définitions sont issues de courants venant des Etats-Unis, d’autres se réfèrent à « l’écologie intégrale » (s’appuyant sur l’Encyclique Laudato si rédigée par le Pape François en 2015 et qui reprend les positions de l’Eglise sur la contraception, l’avortement, l’euthanasie et qui élargit le cadrage de « l’écologie humaine » proposée par Jean-Paul II. Ce n’est plus la vie humaine qu’il faut protéger, mais l’ensemble du vivant : conception environnementale du bien commun).
La Manif pour tous a entraîné un décloisonnement des droites par rapport à la question du genre et l’émergence de ces « Nouvelles femmes de droite ». Dans le sillage des premières mobilisations de 2012, de nouvelles figures de contestation, des modes d’actions spécifiques se sont développés : Veilleurs, Sentinelles, Salopards, Gavroches issus de la jeunesse populaire et urbaine, et des groupes publics et non mixtes plus ciblés sur différents segments de la société : Mères-Veilleuses, Antigones, Caryatides, les Hommen (sur le créneau du masculinisme en opposition aux Femen. L’identité collective « femmes » est alors investie par différents groupes pour dénoncer la politique du gouvernement et s’opposer aux féministes qui l’ont initiée ou qui la soutiennent.
Schématiquement, on peut segmenter la mouvance :
D’un côté un pôle conservateur loin d’être un ensemble homogène figé, avec d’un côté les Caryatides et la réactivation d’un militantisme nationaliste féminin. Liées au Parti nationaliste français qui a accueilli les restes de l’Œuvre française dissoute par le gouvernement suite à la mort de Clément Méric en juin 2013, héritières des ligues féminines du début du vingtième (Jeunes Filles royalistes d’Action française, Union des Femmes de France, Comité des Dames royalistes), les Caryatides se placent sous la protection de Jeanne d’Arc. Adeptes de la Révolution nationale de Vichy et de Pétain, elles représentent une espèce de « néo pétainisme enjuponné », un féminisme maréchaliste. Elles reprennent à leur compte le discours de Pétain, prononcé le 25 mai 1941 à l’occasion de la fête des mères : « Vous êtes les inspiratrices de notre civilisation chrétienne ». « Entendant contribuer à la renaissance de la France », La Charte des Caryatides précise le rôle de la femme qui doit défendre « l’ordre moral, l’ordre naturel, la vie, la famille […] ». De par sa spécificité féminine, la Caryatide remplit une mission privilégiée de formation et d’éducation des jeunes générations. La mère de famille leur enseigne l’amour de la France. La Caryatide doit défendre la nature sacrée de la vie dès sa conception et en favoriser tant le développement que l’épanouissement.
D’un autre côté un courant identitaire, new look (Belles et Rebelles), une filiation gréciste, anti immigration (les Antigones, Némésis) et un courant dit du féminisme intégral, alterféministe et écoféministe conservateur, incarné par l’équipe de la revue Limite, déclinant la notion d’écologie intégrale dans différents domaines et entendant réalimenter l’argumentaire de l’opposition à l’avortement et à la contraception par un cadrage profane, séculier et écologiste
« Belles et Rebelles » se définissent comme « féminines, pas féministes ». Le féminisme est « anti femme, car il promeut l’indifférenciation des sexes et méprise la femme ». Le féminisme, la « théorie du genre » constituent une idéologie « néfastes pour les femmes ». Le féminisme est « un mouvement d’aliénation ». Némésis représente un féminisme identitaire contre l’immigration. Présent lors de la manifestation du 23 novembre 2019 contre les violences faites aux femmes, Némésis tente d’entrer dans le cortège pour y dénoncer le rôle des hommes d’origine étrangère dans les violences faites aux femmes. Le Collectif Némésis est expulsé du cortège. Le mode d’action de Némésis repose sur des coups médiatiques d’après sa porte-parole Alice Cordier. Le Collectif se réclame d’un féminisme identitaire qui place la défense de l’identité des femmes européennes au cœur de son projet politique et qui entend faire émerger une parole publique des femmes contre l’immigration et l’islam.
Les Antigones, groupe non mixte, développe une conception métapolitique de leur engagement qui doit porter tout autant sur la transformation de cadres naturels que sont la praxis militante. Les Femen sont « des hystériques qui occupent tout l’espace médiatique ». Les Antigones rejettent la contraception et l’IVG, qui participent « à l’oppression des femmes ». L’IVG et la contraception ne sont pas « des conquêtes » qui émancipent les femmes et encore moins « des droits », au contraire, c’est « en les refusant que les femmes vont reconquérir leur corps ; leur sexualité et affirmer leur subjectivité ».
La revue Limite occupe une place particulière et s’est emparé du concept « d’écologie intégrale » et de « féminisme intégral », dont l’objectif est de promouvoir « toutes les femmes » en se réclamant de la pensée chrétienne et de l’écologie. En novembre 2017, Limite participe à « Osez le féminisme » avec Mariane Durano (professeure de philosophie), Eugénie Bastié (journaliste et collaboratrice de Limite), Thérèse Hargot (sexologue), Natacha Polony (journaliste). Il s’agit d’élargir « le cadre de l’écologie humaine définie par Jean-Paul II », de réaffirmer les positions de l’Eglise sur l’IVG, l’euthanasie à une conception environnementale de bien commun. Il faut protéger l’ensemble du vivant et développer « une éco spiritualité » fondée sur une commune morale autour de la préservation du vivant. Ce courant participe aux manifestations opposées à la loi Taubira et s’oppose à la politique d’égalité des genres. La Manif pour tous a ouvert une fenêtre de tir et a permis aux catholiques de se positionner à l’intersection de la cause des femmes et de l’environnement, sous la bannière de « l’alter féminisme », tentative de réappropriation d’un vocabulaire contestataire issu des féministes alter mondialistes par les cercles catholiques conservateurs. Pour Limite, le « féminisme intégral » est un concept construit dans un cadre profane par Alain de Benoist puis déployé dans une perspective catholique dans l’Encyclique du Pape François, Laudato si. En 2008, le Collectif Alterféministe (CAL) déclare : « nous sommes les féministes de la féminité ». La revue Limite se positionne dans le sillage du pape François, elle est issue de la Manif pour tous et du groupe de jeunes « Les Veilleurs », animé par Gaultier Bès de Berc, Marianne Durano, Madeleine Bazin de Jessey, Paul Picaretta, Eugénie Bastié, Axel Rokvam. Dans le premier numéro de la revue, « l’écologie intégrale » est définie. Il s’agit de réconcilier l’humanisme et l’environnementalisme, faire la synthèse entre le respect absolu de la dignité humaine et de préserver la biodiversité. En 2015, Limite publie son manifeste « contre la marchandisation du corps et du vivant, traiter toutes les questions qui ont trait aux équilibres de la vie ». Gaultier Bès s’affirme en tant « qu’anarchiste conservateur »(se revendiquant de Simone Weil, Chesterton, Orwell, Ivan Illich, Jean-Claude Michéa), dans la pratique, jouir de ce monde, en préserver les conditions d’existence, la diversité, la beauté, la partager et la transmettre. Dans son livre « Adieu Mademoiselle » publié en 2016, Eugénie Bastié insiste sur le fait que l’égalité physique ne va de soi que dans la mesure où elle reconnait la différence des hommes et des femmes. « Là où il devait y avoir une complémentarité spontanée entre homme et femme, qui libérée par l’égalité juridique et citoyenne, pourrait enfin s’épanouir, la parité installe une égalité arithmétique, quantitative, factice qui réussit l’exploit de nier à la fois le rôle spécifique de la femme et l’émancipation individuelle promise par Les Lumières. La parité ignore à la fois dans la femme le féminin et l’universel ». Limite s’appuie sur l’écologie intégrale pour proposer un « féminisme intégral », une sexualité authentique parce que non polluée par les intrants, « rechignant à imposer à mon partenaire, ‘’le sexe sous-vide’’ » (le préservatif).
Magali Della Sudda dresse un panorama des différentes « femmes de droite » analysant les divers courants et à partir de 2013, l’irruption des femmes nationalistes dans la sphère politique, s’opposant à « l’image dégradante » des femmes, donnée par les féministes, qui permet de repenser l’engagement des femmes contre le féminisme., de faire émerger une parole publique des femmes contre l’immigration et l’islam. La politisation des questions de genre lors de la loi Taubira s’est accompagnée d’une explicitation des politiques de l’identité sexuée. Le féminisme est un mouvement « d’aliénation », « l’ennemi des femmes […] ». Pour ces féministes 2.0, l’objectif n’est plus l’égalité des droits -déjà atteinte dans la plupart des pays occidentaux – mais l’égalité biologique. Et cette égalité factice passe par l’éradication du mâle, de la virilité soi-disant « toxique » bref par l’anéantissement du masculin (L’Incorrect, mars 2021). Un ouvrage fondamental pour la compréhension des phénomènes à l’œuvre et l’émergence d’un militantisme féminin hostile aux féministes.
Magali Della Suda : Les nouvelles femmes de droite
Editions Hors d’atteinte, 2022
Jean-Paul Gautier, historien, spécialiste des extrêmes droites
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