Édition du 19 novembre 2024

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Guerre au Liban

La persécution méthodique du Liban par Israël

Déjà confronté depuis 2019 à une crise économique et financière sans précédent, à laquelle s’ajoute un vide institutionnel depuis 2022, le Liban subit une fois de plus d’intensifs bombardements israéliens sur son sol. Lundi 23 septembre, on dénombrait plus de 550 morts à l’issue du pilonnage du sud du pays (ainsi que du sud de la capitale et d’autres régions). Ces actes, indissociables de la question palestinienne et des massacres à Gaza, s’inscrivent aussi dans une tradition de martyrisation du pays du cèdre par l’armée israélienne. Ce n’est pas le Hezbollah qui est visé, mais tout un pays.

27 septembre 2024 | tiré de AOC info

Le 14 août dernier nous quittait Georges Corm, auteur prolifique sur le Proche-Orient, ministre des Finances du Liban à la fin des années 1990 et infatigable soutien de la cause palestinienne. Il insistait souvent sur une caractéristique géopolitique mortifère de son pays : le Liban est un État tampon et en tant que tel, sa stabilité dépend de la stabilité régionale. La guerre en Syrie, le bras de fer saoudo-iranien ou la politique israélienne sont donc autant de facteurs d’instabilité. Mais s’agissant des tensions israélo-libanaises en particulier, Georges Corm aimait dire que le Liban était un contre-modèle pour Israël : là où ce dernier est un État d’apartheid et de colonisation, le Liban privilégie malgré tout la concorde et la coexistence entre communautés diverses.

La guerre actuelle rappelle la centralité de la question palestinienne, mais elle rappelle aussi la profonde hostilité israélienne à l’égard du Liban. La présentation médiatique des événements est problématique : comme en Palestine où tout est résumé à un conflit entre Israël et le Hamas, il est question de « frappes » contre les positions du Hezbollah. Quand, pour la première fois depuis les guerres du Liban (1975-1990), plus de 550 personnes, dont une cinquantaine d’enfants, sont tuées en une seule journée, peut-on vraiment parler de « frappes ciblées » ? La cible a un nom : le Liban.

La ritournelle du Hezbollah

La place prépondérante du Hezbollah, à la fois parti politique libanais et groupe armé, ne fait aucun doute. Il est vrai que le « Parti de Dieu », qui bénéficie du soutien de l’Iran depuis ses débuts dans les années 1980, s’inscrit pleinement dans « l’axe de la résistance » face à Israël, et agit au-delà du périmètre de l’État libanais. Et il est vrai aussi que la question de son armement est régulièrement posée par ses opposants. Son désarmement est même demandé par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. En somme, les adversaires et les ennemis du Hezbollah ne manquent pas d’arguments. Et certains commentateurs semblent trouver l’action israélienne « légitime ».

Le récit déployé par Israël, et hélas trop souvent relayé, est celui de la bienveillance étatique face à l’irrationalité des groupes « terroristes ». Associer systématiquement le Hezbollah à une communauté confessionnelle en particulier (les chiites) et à un allié extérieur (l’Iran), c’est contester sa dimension nationale. Le Hezbollah, et plus généralement ce qu’on appelait la résistance islamique dans les années 1980, est né contre l’occupation israélienne du Liban. Et c’est bien cette résistance, qui s’est poursuivie jusqu’en 2000 avec des soutiens dans toute la société libanaise, qui finit par débarrasser le pays de l’armée israélienne – qui occupe encore le Golan syrien et les fermes de Chebaa libanaises.

Le pire défaut du Hezbollah ces dernières années n’a pas été la subversion de l’État libanais, mais au contraire, son émergence comme gardien du système politique libanais, notamment face au soulèvement populaire de 2019. Souvent décrit soit comme une organisation hostile à l’État libanais, soit comme un acteur omnipotent en son sein, le Hezbollah n’est ni l’une ni l’autre. Il est membre du gouvernement libanais et il exerce assurément une influence sur les équilibres politiques du pays, mais il demeure tributaire de ses partenariats politiques, dans un paysage marqué par le confessionnalisme et la corruption – l’un nourrissant l’autre, le confessionnalisme empêchant une citoyenneté aboutie.

Depuis 2022, le Liban est sans président et un gouvernement d’affaires courantes a été reconduit ; le Hezbollah peine à imposer son candidat et il est loin de dominer le gouvernement.

Parmi ses partenaires, certains n’ont pas hésité à lui indiquer leur refus d’un « front libanais » censé soulager les Palestiniens (et maintenir la pression en vue d’un cessez-le-feu à Gaza). Pour eux, la solidarité avec les Palestiniens ne peut pas passer par une mise en danger d’un Liban, déjà largement fragilisé par une crise économique et financière inédite. C’est notamment le cas du courant aouniste (en référence au général Michel Aoun, président de 2016 à 2022 avec l’appui du Hezbollah), son principal allié chrétien de 2006 à 2022, favorable à la résistance à Israël tant que l’armée n’a pas les moyens d’assumer une telle mission seule, mais hostile à « l’unité des fronts » (un front libanais solidaire du front palestinien). Exploiter de telles divisions est l’un des objectifs constants d’Israël.

Détruire et diviser : les objectifs d’Israël au Liban

Tout cela n’est pas nouveau. Rappelons les années de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler la « guerre civile » libanaise (1975-1990). L’un des buts d’Israël était d’exacerber les divisions confessionnelles (qui ne se confondaient pas avec les divisions politiques) du pays et d’apparaître comme une espèce de défenseur des chrétiens contre les Palestiniens (et leurs alliés libanais) et contre les Syriens. Israël est allé jusqu’à former une armée de supplétifs au sud du pays, ce même sud qui deviendra un bastion de la résistance anti-israélienne. Israël pouvait alors s’appuyer sur certains chefs politiques chrétiens (de ce que l’on appelait la « droite chrétienne ») dans sa lutte contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). En 1982, cette lutte a pris la forme d’une invasion du Liban, quand Beyrouth était – déjà – prise pour cible.

L’expérience libanaise de l’armée israélienne n’a pas été un succès. Certes, l’OLP est poussée à quitter Beyrouth, mais ce qui succède à l’OLP en termes de résistance à Israël au Liban est redoutable pour l’armée israélienne : c’est dans ce contexte qu’est né le Hezbollah, au lendemain de l’invasion israélienne. L’organisation, soutenue par la République islamique d’Iran, s’insérera peu à peu dans la vie politique libanaise et sa résistance à Israël lui permettra d’acquérir une légitimité certaine auprès de toutes les communautés. Avant les affrontements actuels, la guerre de 2006 – considérée comme une déroute israélienne – était le dernier grand épisode de cette résistance.

L’autre échec est politique. En 1982, Israël n’obtient pas la « normalisation » escomptée – destinée à noyer la question palestinienne et à isoler la Syrie. Et depuis les années 2000, Israël n’arrive pas à obtenir l’exclusion du Hezbollah de la vie politique libanaise.

Bien sûr, on ne peut pas nier que les actions du Hezbollah divisent la population et la classe politique libanaises. C’était le cas en 2006, et c’est encore le cas cette fois. Néanmoins, la violence israélienne, aussi bien à l’égard des Libanais que des Palestiniens, laisse peu de place aux critiques à l’encontre du Hezbollah. Devant les bombardements continus et les centaines de morts, et même si certains réfutent l’opportunité des tirs du Hezbollah dirigés contre Israël, c’est bien ce dernier qui est largement perçu comme l’objet prioritaire des condamnations. Aujourd’hui, le parti des Forces libanaises (principale formation chrétienne du pays à l’issue des dernières législatives et principal adversaire du Hezbollah) se montre discret, tandis que les autres formations politiques – des aounistes au chef druze Walid Joumblatt – se focalisent sur les intentions d’Israël.

En dépit de la permanence des rhétoriques confessionnelles (sunnites versus chiites en 2006 ; chiites versus chrétiens aujourd’hui), Israël aura du mal à trouver au Liban les relais qu’il pouvait avoir naguère. Par ailleurs, le Hezbollah et la population chiite du sud du pays ont été et sont encore les premiers à payer le prix de cette guerre. Mais, si en décembre dernier, nous pouvions constater à Beyrouth une dichotomie entre ceux qui perdaient des proches au sud du pays et ceux qui présentaient une sorte de vitrine de vie « normale », désormais, c’est tout le pays qui constate l’étendue des attaques israéliennes.

Il est pourtant plus question de cibler le Hezbollah, ce qui donne l’impression qu’il s’agit d’une opération militaire. Mais s’agit-il vraiment d’une opération militaire ? Le politologue Pierre France partage sa réflexion sur ce point : « Il n’y a jamais eu de si grand nombre de morts en une journée au Liban sur une opération militaire, ni en 1978, ni en 1982, ni en 2006 : même pendant la guerre civile, où les chiffres se sont parfois affolés ». Autrement dit, si le Hezbollah est bien ciblé, tous les civils autour sont aussi intentionnellement tués. Bombarder en les sachant là, tuer des civils par centaines, les déplacer par milliers, cela relève du crime de guerre.

Une complaisance confirmée

Le Liban est ainsi le théâtre de la confirmation de l’impunité dont jouit Israël. Cette impunité auprès des États est sans doute inversement proportionnelle à la détestation qui s’étend parmi les opinions publiques face à l’ampleur des massacres. Sur le plan médiatique, les euphémismes (des « frappes » contre le Hezbollah pour parler de centaines de civils tués), voire une admiration malsaine (dans l’affaire des bipeurs piégés), reflètent cette complaisance. On en oublie le caractère parfois inédit de ce qui advient en Palestine comme au Liban.

On est même invité à considérer les bombardements israéliens comme une riposte presque normale, ce qui permet de négliger le crime originel (l’occupation, la colonisation, les massacres) et même d’ignorer la responsabilité israélienne dans la précipitation des événements (l’escalade après une guerre d’attrition). La propagande israélienne contribue directement à cette distorsion, d’autant plus qu’elle est peu questionnée. Lorsque l’on reprend le noble objectif du retour des populations du nord d’Israël affiché par le gouvernement israélien, on a tendance à mésestimer le prix payé sous nos yeux : le déplacement de milliers de Libanais.

Quant au soutien inconditionnel des alliés d’Israël – de Washington à Paris, en passant par Londres –, là encore, on est enclin à croire que c’est la seule position envisageable tant il est devenu automatique. Mais quelques rappels s’imposent. En 1982, après l’invasion israélienne du Liban, les positions britannique et française étaient autrement plus fermes. Margaret Thatcher est allée jusqu’à imposer un embargo sur les armes pendant douze ans. Et François Mitterrand a condamné « sans réserve » ce qu’il a lui-même qualifié « d’agression ». Où sont les condamnations française et britannique aujourd’hui ? Elles ont cédé la place à de vagues manifestations affectives. Cette pusillanimité reflète le mélange d’impotence et d’indifférence qui règne parmi les États occidentaux.
Il est trop facile de déplorer la montée en puissance d’acteurs non étatiques (Hamas, Hezbollah, Houthis…) dans la lutte contre Israël et dans la défense de la cause palestinienne quand les États eux-mêmes – pourtant principaux objets et sujets du droit international – ne trouvent rien de concret à offrir pour protéger des civils qui meurent par dizaines de milliers. La rationalité étatique face aux acteurs non étatiques ne se décrète pas. Elle se démontre par la rigueur et la cohérence.

Photo d’ouverture : De la fumée s’échappe d’un site visé par un bombardement israélien dans le village de Zaita, au sud du Liban, le 23 septembre 2024. (Photo par Mahmoud ZAYYAT / AFP)

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Adlene Mohammedi

Journaliste, chercheur en géopolitique.

https://orientxxi.info/fr/Adlene-Mohammedi

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