Un certain espoir
de Jean-Marc Piotte, Montréal, Les Éditions Logiques, 2008, 185 p.
Depuis plusieurs années Jean-Marc Piotte a analysé des grands auteurs (Les grands penseurs du monde occidental), des grands projets de société (le socialisme, l’indépendance du Québec) ; il s’est intéressé à la modernité (Les neufs clés de la modernité) et il s’est même aventuré à disserter sur le sens en politique (Sens et politique). Dans aucun de ses livres écrits jusqu’à maintenant a-t-il osé se montrer à nu. Dans Un certain espoir, il nous dévoile les matériaux qui lui ont permis de grandir personnellement, intellectuellement et politiquement à travers ses nombreuses déchirures. J.-M. Piotte, à 67 ans, fait ici le point sur son cheminement moral et politique. Son livre est une remarquable synthèse où se côtoient sa vie familiale, la philosophie, son cheminement personnel et la vie politique. Dans cet essai qui se divise en neuf parties, il découpe sa vie en trois périodes : celle de sa foi catholique, celle de son adhésion au marxisme et celle de sa paternité.
J.-M. Piotte est originaire d’une famille catholique et ouvrière. Sa mère qui est « profondément religieuse » lui transmet que « [l]a vie est une vallée de larmes : l’essentiel est le ciel » (p. 11). Élevé dans un tel contexte, où il pratique le chapelet en famille (ce rituel quotidien qui correspond à une authentique ascèse de perroquet), il apprend que, pour assurer son salut et son bonheur éternel, il doit respecter les règles morales de l’Église. Enfant, J.-M. Piotte est croyant, il fait sien le Sermon sur la Montagne. Il est persuadé qu’après l’injustice de l’ici-bas régnera la « Justice » dans l’au-delà (p. 13). Lors de ses études universitaires en philosophie, il décide de soumettre au doute systématique ce qu’on lui a appris. Cet exercice intellectuel, à la manière de la tabula rasa de Descartes, l’amène à sa première grande remise en question : il perd « la foi en Dieu » (p. 21).
Si J.-M. Piotte a été en mesure d’échapper à son destin de classe (« ouvrier de père en fils »), c’est à cause de l’insistance de sa mère qui l’a obligé à poursuivre ses études secondaires au secteur scientifique plutôt qu’au secteur général et grâce aussi à son acharnement à obtenir de bons résultats scolaires. Une fois son diplôme d’études secondaires en poche, il se retrouve à l’École normale. Il est convaincu, à la suite d’un conseil d’un professeur, que ce cheminement scolaire « [mène] à tout » (p. 58). Constatant, quelques années plus tard, que le diplôme de l’École normale n’ouvre pas toutes les portes de l’université, J.-M. Piotte s’inscrit à la Faculté de philosophie où il obtient, en 1963, sa licence avec un mémoire intitulé : De la société bourgeoise à la dictature du prolétariat ; étude effectuée dans une perspective marxiste-léniniste. S’ouvre alors sa période d’adhésion au marxisme et au communisme, « ce paradis sur terre » (p. 67).
Un séjour en Chine en 1972 l’amène à constater que « [l]e vaste mouvement socialiste du XIXe siècle, dont Marx avait été le grand théoricien, avait donc débouché sur une société oppressive qui était la négation même du mouvement libérateur qui lui avait donné naissance » (p. 24). C’est le grand désenchantement. J.-M. Piotte sombre dans une dépression qui s’accompagne d’une tentative de suicide. Une psychanalyse de deux années, à raison de trois séances par semaine, l’amène à accepter finalement sa « fondamentale fragilité » (p. 25). Il fait dorénavant sienne cette phrase de Lautréamont qu’il cite : « J’ai reçu la vie comme une blessure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. » (p. 21) Désormais bien ancré dans le réel, il refuse de suivre les nouveaux philosophes français qu’il qualifie de « vire-capots idéologiques » (p. 25). Sa remise en question du marxisme va plutôt l’amener à questionner les grands philosophes de l’Antiquité grecque à nos jours.
L’auteur nous confie : « La décision d’avoir un enfant est la meilleure que j’ai jamais prise. » (p. 28) Il est conscient que l’arrivée de son enfant lui fait découvrir « que le bonheur est dans le don » (p. 29). Mais cette joie qui découle de la présence et de la simple existence de l’autre ne l’amènera pas automatiquement « à l’amour de l’humanité » (p. 30). Il se dit plutôt que, devant les problèmes majeurs de notre époque (les guerres inutiles, le gaspillage des ressources, la pauvreté, les discriminations envers les femmes et les minorités, la pollution et les inégalités socioéconomiques), une prise de conscience accompagnée d’un appel à la révolte s’avère nécessaire. Il invite à des pratiques visant à « changer le système capitaliste ou à neutraliser les effets les plus pervers » (p. 31). Face aux problèmes politiques contemporains, il lance un appel qui s’enracine aux « valeurs de justice sociale, d’équité, d’égalité, de liberté, de solidarité, de non-discrimination et de respect de l’environnement » (p. 31). Même s’il ne croit plus à « l’émergence d’un homme nouveau » (p. 67-68), J.-M. Piotte a toujours une grande soif de justice. Il a toujours le goût de se mobiliser sur des enjeux qui l’interpellent. L’impérialisme américain, l’unilatéralisme et l’asservissement aux seules forces du marché le rebiffent toujours.
Même s’il qualifie la présente période comme en étant une de révolte (p. 31), il glisse, ici et là, des idées de réformes concernant certains aspects de la vie en société. À ce sujet il envisage d’un bon œil la réforme électorale, le financement des partis politiques et les élections à date fixe. Ces réformes doivent être menées par des forces sociales qui dans certains cas le déçoivent (le syndicalisme et le mouvement « souverainiste ») et qui, dans d’autres cas, l’inspirent toujours (le féminisme, les groupes alternatifs et l’alter-mondialisme). Dans ses projets réformistes, il inclut à l’occasion des représentants de l’État. Sa nouvelle position face à l’État aurait mérité d’être un peu plus développée. Comment passe-t-on d’une vision de l’État bourgeois (appareil oppresseur par excellence d’une classe sociale sur une autre) à l’intégration de représentants de l’État dans des comités d’euthanasie ? Il nous semble que des fonctionnaires à la solde d’un gouvernement dirigé par des représentants des courants réactionnaires ou conservateurs n’accorderaient pas d’emblée l’autorisation à l’euthanasie assistée.
Manifestement son livre sera une grande déception pour les péquistes et les souverainistes-associationnistes. Devant ce projet politique vidé de tout contenu social, J.-M. Piotte a décidé de ne pas suivre les chantres du club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec Libre (SPQ libre). Selon lui, ces personnes oublient que le Parti québécois (PQ) a recouru systématiquement à des lois matraques pour mâter la résistance des salariés syndiqués ; ils passent sous silence que ce parti compte des chefs qui ont fait de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et du déficit zéro des dogmes qui ont eu des impacts négatifs majeurs sur divers acquis sociaux. Pour notre auteur, le PQ mérite d’être évalué à partir d’un regard critique qui nous le dévoile comme étant suspect. Celles et ceux qui s’y associent s’inscrivent dans une démarche piégée qui est vouée à la récupération politique.
J.-M. Piotte ne veut pas d’un troisième référendum portant sur la souveraineté-association où il ne votera plus « Oui » (p. 132). Puisqu’il en est ainsi, son analyse gagnerait en substance s’il identifiait des éléments concrets à corriger dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et dans la Loi constitutionnelle de 1982. Car, quoi qu’en pense celui-ci, le gouvernement du Québec n’est toujours pas pleinement outillé pour protéger adéquatement la langue française.
Ce plus qu’opusculum n’a rien à voir avec une plate et longue énumération de souvenirs. Il s’agit plutôt d’un auto-examen critique que notre auteur a osé effectuer en lien avec quelques-unes de ses expériences personnelles. Ajoutons que cette démarche, réussie avec succès, a été orientée, dans le cas de J.-M. Piotte, vers un effort d’élévation pour comprendre le monde et se comprendre lui-même.
Son livre illustre que c’est par la pensée qu’on peut devenir libre ; libre dans le sens de ne pas perdre la maîtrise de sa vie. Le livre de J.-M. Piotte est un ouvrage dans lequel on trouve une réflexion sur la vie et sur certains aspects de sa vie. Il scrute le réel à partir du rêve vers la réalité, du discours vers les faits, de la théorie vers l’histoire réelle, tout en gardant en tête l’espoir nécessaire pour passer à travers certains éléments des affres du réel qui engendrent des cassures et de l’humiliation. Il s’agit d’une authentique démarche qui puise dans la libre pensée avec un minimum d’autocensure.
L’auteur a cessé de croire aux divers paradis promis par la religion ou la politique. Son expérience de vie lui a fait découvrir d’autres voies pour atteindre ses buts. Par contre, il n’a jamais cessé d’adhérer à ce projet moderne du nécessaire changement social. Il nous montre que la vie est faite de hauts et de bas qui peuvent être affrontés facilement ou péniblement. Malgré sa lourdeur et les moments difficiles qu’elle comporte, la vie vaut la peine d’être vécue en autant que notre parcours de vie nous permette de nous resituer dans les voies de la probité sans complaisance face à soi-même.
Yvan Perrier
Cégep du Vieux Montréal
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