Édition du 17 décembre 2024

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Héros du jour, héros de toujours

En ces temps extraordinaires, on se demande s’il vaut la peine d’ajouter quelque chose au flot de paroles qui nous inondent. Après m’être posée la question, j’ai quand même décidé d’y aller. C’est donc en toute humilité que je vous propose quelques réflexions et observations sur la situation actuelle et tant pis si vous en avez déjà autant lu, vu et entendu.

Dans le grand virage que nos gouvernements effectuent en ce moment, (ne sont-ils pas en train de devenir keynésiens ? TINA se retrouve dans les poubelles de l’histoire ?) ceux et celles qui entretiennent le discours public, qui nous offrent les messes quotidiennes, sont en train de devenir des héros et des héroïnes. Le trio québécois, le brave premier ministre canadien et son français déplorable, la super vedette de la téléréalité américaine, le joyeux drille menteur du Royaume Uni et son homologue français sont sacralisés par une bonne partie des populations et la critique est rejetée vigoureusement : l’unité de chacune des nations est élevée au niveau du danger dans lequel nous vivons.

Or, les merdiers immondes que la maladie met à jour ont été créés de toute pièce par ces mêmes gouvernements et leurs prédécesseurs depuis des dizaines d’années. Néolibéralisme aidant, les services à la population qui avaient été implantés après la 2e guerre mondiale ont été littéralement démolis ; il n’en reste que la trame : les institutions et les personnels réduits qui tiennent le tout à bout de bras depuis tout ce temps. Les services de santé, l’éducation publique, les droits des travailleurs.euses, le transport en commun ne sont que l’ombre de ce qu’ils devraient être s’ils n’avaient pas été traités comme une marchandise qui doit être vendue et qui doit rapporter d’une manière ou d’une autre. Ce qui a fait dire à un économiste que nous avions été mis au même régime de base que celui des ajustements structurels imposés par le FMI, notamment aux pays africains. En ce moment, grâce à une de ces ententes avec ledit FMI, la population de l’Équateur reçoit de plein fouet la crise sanitaire sans moyens adéquats pour y faire face (cf. reportage de Democracy Now, 8 avril 2020).

Bien sûr nous nous consolons en voyant la situation catastrophique au sud de la frontière où, pour ce qui est plus visible en ce moment, les soins de santé sont inaccessibles à des millions de gens sans assurance, dans ce pays où ces services sont exactement une marchandise qui enrichit les compagnies d’assurance et celles qui possèdent les infrastructures : hôpitaux, systèmes d’ambulance, laboratoires, etc. Oui, au moins ici nous avons l’assurance maladie universelle. C’est une victoire du mouvement ouvrier canadien que nous avons réussi à conserver comme en Angleterre et en France.

Au Québec, le gouvernement Legault s’en tire plus honorablement parce que les coupures budgétaires ont été effectuées par les gouvernements libéraux précédents et qu’il a hérité de coffres pleins à ras-bord. Mais il est comme tous les autres et n’a pas pris en main la tâche d’organisation du réseau pour faire face à une éventuelle épidémie qui allait venir tôt ou tard. Tous les spécialistes de la santé publique le savaient et le disaient partout, l’OMS en tête. Il ne s’agissait pas de savoir S’IL allait y en avoir une, mais Quand. On sait depuis longtemps que la médecine préventive n’est pas la favorite loin s’en faut, et partout, ses budgets ont été coupés et recoupés. On se retrouve donc avec des manques criants de matériel, d’équipement et de personnel. Et M. Barrette, le dernier architecte de ces politiques de dénuement du secteur, est en train de se refaire une réputation en se collant au gouvernement Legault ; pas l’ombre d’un examen de sa part ni de la part de son Parti.

Aux États-Unis, l’administration Trump est allée jusqu’à détruire tout ce qui existait à ce chapitre à la Maison blanche : équipes, bureaux, plans et stocks de réserves de matériel et équipements, sous prétexte que ça ne servait à rien et que les États devaient se charger de « magasiner » leurs nécessités ; ce n’était pas la responsabilité du gouvernement fédéral. Aboutissement : les États sont en ce moment en compétition entre eux pour l’acquisition des équipements les plus basiques. Et Andrew Cuomo, le gouverneur de l’État de New-York, le François Legault des États-Unis, qui condamne la politique du Président et appelle désespérément à l’aide depuis une bonne dizaine de jours, a lui-même procédé à ces coupes dans les budgets du secteur hospitalier et des services de santé de son État (cf. The Nation 3 avril 2020).

En France, la politique de diminution des budgets et des effectifs en santé a commencé un peu plus tard qu’ailleurs, mais elle a été appliquée avec une violence manifeste par le gouvernement Macron. Les médecins, les personnels soignants, dont plusieurs sont en grève depuis plus d’un an maintenant, l’ont dénoncée et dénoncée partout sans résultats. La démolition s’est poursuivie au nom de TINA : there is no alternative ! Là comme partout en Occident et ailleurs, on a voulu nous convaincre qu’il n’y avait pas d’argent de disponible. Tiens donc ! ! ! Devant l’horreur du danger bien réel, tout-à-coup, il y en a de l’argent. Au Canada, au fédéral et dans la majorité des provinces (je fais une exception pour Terre-Neuve et Labrador) de nouveaux budgets magistraux sont concoctés en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Aux États-Unis, 3 plans de sauvetage ont été mis en place et le dernier surpasse tous les budgets déjà adoptés même au pire de la 2e guerre mondiale. Il a fallu les pressions des Démocrates pour que tous ces fonds n’aillent pas qu’aux entreprises, à leurs dirigeants.es et aux actionnaires, pour que les travailleurs.euses qui se retrouvent par millions aux bureaux d’assurance chômage et le reste de la population sans moyens, soient pris en compte, et ce, à un niveau inférieur à leurs besoins réels. En France, le Président Macron n’a cessé de répéter « quoi qu’il en coûte » en appuyant sur la formule. Là non plus pas d’examen des politiques antérieures et de leurs retombées actuelles, pas d’excuses bien sûr.

Qu’en sortira-t-il ?

Je n’élaborerai pas beaucoup sur cela maintenant. Bien des gens supputent, entrevoient ou tentent d’entrevoir l’aboutissement de cette expérience grandeur nature encore jamais vue. Plusieurs rêvent d’un retour à l’état antérieur comme s’il ne s’était rien passé. D’autres rêvent d’une toute nouvelle organisation sociale, économique et politique plus juste, plus égalitaire qui surgirait des décombres car, chose certaine, nous serons dans les décombres. Pas semblables à ceux qui suivent les sorties de guerre, mais décombres quand même : financiers et ce ne seront pas les moindres, psychiques aussi chez beaucoup de personnes et probablement physiques quelque fois.

Pour ce qui est de la politique et de l’économie, il faut écouter Alain Deneault qui nous a offert des réflexions intéressantes à ce sujet récemment à Radio-Canada. Le site de Presse-toi à gauche offre une belle collection de textes pour alimenter notre pensée.

Ce satané virus est un révélateur. Il met en lumière diverses pratiques rejetées complètement depuis bien des années.
1-Le rôle des États dans la vie des citoyens.nes et dans l’économie.
2- La valeur fondamentale des services publics de santé où que ce soit. Il semble assez évident que les pays ayant des services universels d’assurance maladie et des équipements de santé publics s’en tirent mieux que les autres.
3- Les inégalités connues, mais portées au paroxysme parce que cause de vie ou de mort. Il n’est toujours pas vrai que nous sommes égaux devant la maladie.
4- Le sort déplorable réservé aux personnes âgées dont on s’accommode facilement en temps normal. Leurs proches compensent depuis des années le manque d’attention qu’on leur porte. Et celui pas plus enviable de tous les marginalisés et de toutes les marginalisées.
5- Le pire et le meilleur de chacun.e d’entre nous et de nos sociétés.
6- La fracture entre les humains.es et la vie sauvage qui ne peut pas durer, l’écologie étant de plus en plus cruciale. (cf. L’invité des matins de France culture, Gilles Bœuf, le 9 avril dernier).
7- Et bien d’autres choses encore auxquelles il faudra s’intéresser.
Mais il est déjà temps de s’atteler à assembler nos idées et nos revendications pour élaborer un nouveau projet de société et de production. Les progrès sociaux-économiques qui sont advenus après la 2e guerre mondiale ont été élaborés durant celle-ci.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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