Ce week-end encore la droite la plus réactionnaire bat le pavé. Comment analysez-vous cette mobilisation ?
C’est une vraie manif d’extrême droite avec des ingrédients fascisants. Il faut savoir que l’extrême droite, en France, ce n’est pas que le FN. Derrière sa soi-disant « nouvelle vitrine », il y a ce danger potentiel de radicalisation. La politique, ce n’est pas figé. Quand la droite court derrière le FN et la gauche derrière la droite, une radicalisation à l’extrême droite apparaît. Ce que l’on espère, nous, c’est qu’un déclic se produise chez ceux qui ont le cœur à gauche et antifasciste.
Dans les rangs des pro-Dieudonné ne trouve-t-on pas aussi des militants issus de l’extrême gauche séduits par son discours antisystème ?
Ce que je sais, c’est que la politique a horreur du vide. La force de ces courants-là, c’est la forfaiture actuelle de la gauche gouvernementale, ainsi que la faiblesse de la gauche non gouvernementale comme du mouvement social et ouvrier. Si certains réussissent à agréger et à donner de la visibilité à la contestation, c’est parce qu’en face il n’y a rien, ou si peu. A partir du moment où il n’y a pas de contestation qui apparaît à la gauche du gouvernement de façon audible, crédible, visible et permanente pour donner de la confiance, ce sont les discours haineux qui prévalent.
Comment expliquez-vous cette faiblesse de la gauche radicale ?
Il y a une raison substantielle : dans la course de vitesse entre l’extrême droite et la gauche radicale, on ne part pas du même point. Le Pen, outre son racisme diviseur, est dans le discours du changement de personnel sur le mode « vous avez tout tenté depuis vingt ans, ça ne marche pas : on vous propose de goûter à ceux dont on vous a toujours dit qu’il ne fallait pas le faire ». Nous, on dit que le changement de personnel politique ne suffit pas, il faut un changement d’institutions, de représentation et une rupture radicale. C’est ambitieux, mais cela paraît parfois hors de portée immédiate dans un contexte de crise économique avec plus de 5 millions de chômeurs… Un autre problème réside dans les rapports organiques et électoraux d’une partie de la gauche radicale avec le PS : est-ce qu’on assume ou pas de construire un front de la révolte de gauche opposé au gouvernement ? Si oui, cela signifie ne pas se présenter avec le PS aux municipales ou diriger des villes avec lui.
Hollande qui affiche sa ligne sociale-démocrate : les indignés de gauche sont-ils à ce point résignés ?
Ce n’est pas de la résignation. Il y a des mobilisations, des gens qui s’opposent à la politique du gouvernement, que ce soit sur l’égalité des droits au logement ou les sans-papiers. Sur les licenciements, une série de boîtes résistent aussi à la non-action du gouvernement. Le problème est de rendre visible cette contestation qui existe à la base et va au-delà des rangs anticapitalistes. Mon espoir est que les dirigeants des formations non gouvernementales, comme Pierre Laurent (PCF), Jean-Luc Mélenchon (PG) ou Nathalie Artaud (LO), soient piqués au vif. Et se disent qu’au-delà des divergences, l’urgence est d’organiser un week-end de révolte à gauche avant la fin février à Paris. Quant à François Hollande, ce n’est pas un tournant, puisque pour tourner il faut changer de direction. On ne change pas de direction, par contre il y a un saut qualitatif.
Qu’est-ce qui nuit à la cristallisation de la révolte à gauche ?
La politique a horreur du vide, mais il n’y a pas de vases communicants. Des déceptions ne naissent que des désillusions et de la résignation. C’est pour cela qu’on n’a jamais joué la voiture-balai derrière le PS ni même misé sur l’échec des socialistes. Aujourd’hui, l’enjeu pour nous, c’est d’assumer le degré de confrontation avec le gouvernement. On n’est pas en manque de professeurs ou de bons orateurs pour nous expliquer la gravité de la situation : le problème, c’est de se donner les moyens d’agir pour inverser le rapport de force et de montrer qu’il y a une révolte sociale et politique qui s’exprime. Un gouvernement de gauche qui mène une politique de droite, il faut lui réserver le même sort qu’un gouvernement de droite qui mène une politique de droite.
Mais avec sa politique du compromis, François Hollande entraîne les centrales syndicales…
Il faut se méfier des enveloppes chocolatées empoisonnées. La question qui se pose aux directions syndicales, c’est de savoir si elles veulent faire partie d’une troïka avec le gouvernement et le Medef, qui va imposer l’austérité en France. La politique de Hollande, c’est la récession assurée. Il prive la population de consommer ce que la société produit. Au rythme où il va, il va faire passer le président Barack Obama pour un type d’extrême gauche ! (Article publié dans le quotidien français Libération, 1er-2 février 2014, p. 16)