Publié le 29 mai 2021
tiré de : Entre les ligne et les mots 2021 - Lettre n°22 - 29 mai Notes de lecture, textes, mises-à-jour, pétition
Le 4 mai, une femme est morte brûlée vive près de Bordeaux (2), elle s’appelait Chahinez, elle avait 31 ans, elle était mère de 3 enfants. Son ex-conjoint l’a tuée ce mardi 4 mai à Mérignac, elle est morte parce qu’il l’a brûlée vive après lui avoir tiré plusieurs coups de feu dans les jambes. Elle s’était pourtant défendue, avait effectué les bonnes démarches : elle avait porté plainte le 15 mars de cette année contre son ex-conjoint mais ne s’était pas vue attribuer de téléphone grave danger et son agresseur n’avait pas été contraint de porter de bracelet anti-rapprochement. Chahinez a fait tout ce qu’elle a pu pour sauver sa vie, elle craignait d’être tuée à juste titre, et rien de concret ni d’efficace n’a été fait pour la protéger, les institutions l’ont laissée seule face aux menaces qui pesaient sur elle. Chahinez avait peur de son ex-conjoint et comme l’a montré la suite des événements, elle avait raison. Andrea Dworkin disait que « les femmes ne peuvent échapper à la violence masculine » (3), ses mots résonnent d’autant plus terriblement qu’en ces jours nous pleurons une nouvelle victime de féminicide. D’autres suivront encore certainement cette année, comme les années d’avant.
L’horreur est devenue habituelle.
L’agresseur de Chahinez était en liberté depuis le 9 décembre 2020 suite à une mesure de placement extérieur (2), un agresseur étonnamment libre de ses mouvements, malgré ses nombreux antécédents. La police a d’ailleurs découvert en interpellant l’agresseur qu’il était lourdement armé (il portait un fusil, un pistolet à gaz et une ceinture de cartouches) (4). Il a bénéficié d’une certaine bienveillance des autorités, dont il a su tirer parti pour accomplir ses noirs desseins.
Le féminicide n’a rien d’exceptionnel en France, c’est une violence qui s’exerce très quotidiennement contre les femmes, en 2019, 146 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire d’après le ministère de l’Intérieur, soit une femme tous les 2,5 jours. Toujours d’après ces sources ministérielles, 41% de ces femmes avaient subi des violences avant d’être tuées et 63% d’entre elles avaient signalé ces violences aux forces de l’ordre. Pourtant, quand il s’agit de protéger les victimes, les dispositifs existants sont insuffisamment utilisés. L’inspection générale de la justice sur les homicides conjugaux en a même fait l’aveu dans un rapport de novembre 2020 : l’ordonnance de protection reste un mécanisme inexploité, de même que le téléphone grave danger (5). Les femmes victimes de violences tentent pourtant bien d’alerter les autorités, alertes auxquelles les institutions, souvent faute de moyens ou en raison de difficultés à mettre en oeuvre lesdits moyens n’ont pas la possibilité de répondre, ce qui mène aux drames tels que celui qui a coûté la vie à Chahinez.
La mort de Chahinez, bien que particulièrement atroce, est somme toute très semblable à celle des autres victimes de féminicide : victime de violences conjugales, elle avait dûment porté plainte, sans pour autant avoir été correctement protégée et bénéficié des mesures qui auraient pourtant pu lui sauver la vie.
En matière de féminicides, il faut prendre du recul et voir l’ensemble du tableau : en 2020, 90 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex. Si ce chiffre est le plus bas depuis 2006, pour Anne-Cécile Mailfert, il peut aussi s’expliquer par le contexte de confinement, à l’origine d’une meilleure prise en charge des victimes. On peut également émettre l’hypothèse que les départs du domicile des femmes victimes, qui précèdent souvent le passage à l’acte meurtrier des conjoints violents ont été moins nombreux du fait du confinement. Par contre, une augmentation des violences conjugales est observable par rapport à 2019, cette baisse du nombre de féminicides est donc à relativiser. (6)
Marlène Schiappa a déclaré avoir une « pensée » pour la victime (7), ce qui est bien aimable, et a annoncé qu’une mission conjointe allait être mise en place afin de faire la lumière sur ce qui s’était passé à Mérignac. Les ministères de la Justice et de l’Intérieur ont effectivement déclenché ce jeudi 6 mai une mission d’inspection dont les conclusions sont attendues le 11 mai (2). Or, la réalité des faits étant déjà connue, cette mission ne peut guère apporter de nouveaux éléments à la connaissance de l’affaire, elle n’est qu’une tentative maladroite du gouvernement d’occulter la dimension systémique du féminicide en France, d’en masquer le caractère sociétal, et de faire passer pour un incident isolé dû à un dysfonctionnement ponctuel ce qui relève d’un fonctionnement habituel. La redoutable machine de la violence patriarcale, contrairement à la justice, fonctionne bel et bien, elle tue régulièrement et implacablement chaque année. Les victimes de féminicides sont certes tuées par leurs conjoints, mais c’est le manque de moyens alloués aux institutions, ainsi que le manque d’application des solutions existantes qui rend ces passages à l’acte possibles, qui donne un cadre à ces morts violentes et totalement évitables.
Une fois de plus, nous déplorons la mort d’une femme tuée par son ex compagnon puis comme à chaque fois, comme à chaque féminicide, nous devrons certainement subir la litanie de ceux qui ayant failli, pour mieux se dédouaner vont déverser leur fiel sur la victime, la rendant responsable de sa propre mort. Rien n’est épargné aux victimes, même une fois enterrées. Le traitement médiatique des affaires de féminicides n’est que trop connu, trop souvent qualifiés de « drames passionnels », ces meurtres de femmes parce qu’elles sont des femmes sont traités avec une certaine désinvolture par les grands médias qui salissent souvent au passage la victime, quitte à cracher sur sa tombe. Celle-ci n’étant plus là pour se défendre, rien de plus facile que de la diffamer à titre posthume, de mettre ses supposés « défauts » en exergue. Bien que l’horreur de la mort de Chahinez nous affecte tou.te.s, rien ne semble pouvoir entamer l’autosatisfaction des politiques, qui malgré les faits accablants paraissent inaccessibles à toute remise en question, emmurés dans leurs certitudes d’avoir bien agi, ils se prétendent irréprochables envers et contre tout.
La mort de Chahinez prouve une fois de plus – si c’était nécessaire – que le système qui prétend protéger les femmes des violences conjugales en France ne fonctionne pas ou très mal. Les conjoints violents bénéficient d’une impunité de fait et les femmes victimes de violences continuent à mourir dans l’indifférence, ignorées jusqu’à la mort par un système sourd à leurs plaintes. Chahinez a été tuée par son ex-compagnon, mais ceux qui n’ont pas eu la volonté politique de donner aux acteurs institutionnels les moyens de faire leur travail portent aussi la responsabilité de sa mort, ils ont créé les conditions dans lesquelles l’agresseur a pu passer à l’acte. Après le choc causé par la mort d’Ana Orantes (8) en 1997 en Espagne, des changements au niveau législatif ont permis une amélioration sur le plan des féminicides, à quand de réelles évolutions à ce sujet en France ? Combien de femmes devront encore mourir pour que les politiques prennent les mesures nécessaires ?
Christine
Sources :
1. https://www.babelio.com/auteur/Hannah-Arendt/2263/citations
3. Andrea Dworkin, Life and Death, the free press, 1997, p 49
8 https://fr.wikipedia.org/wiki/Ana_Orantes
http://feministoclic.olf.site/feminicides-quand-la-barbarie-devient-quotidienne/
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