Tiré de Europe solidaire sans frontière.
« Un grand, un beau monstre. » Avec la mesure qui le caractérise, Donald Trump n’a pas manqué de s’auto-congratuler ce 15 janvier pour l’accord « préliminaire » signé avec la Chine, censé mettre un terme à la guerre commerciale qui oppose les deux pays depuis plus de dix-huit mois. Même s’il n’est pas parvenu à tenir la grande cérémonie protocolaire qu’il espérait avec le président Xi Jinping, le président américain en fait des tonnes pour mettre en scène cet accord qu’il considère comme un succès de sa diplomatie, venant corriger « les erreurs de ses prédécesseurs, les méfaits d’un libre-échange déloyal ».
Pourtant, plus qu’un premier pas vers un traité global, cette phase 1, comme la dénomme l’administration américaine, de l’accord avec la Chine, s’apparente plutôt à un cessez-le-feu, une pause dans les tensions entre les deux pays. Chacun d’eux ayant besoin de souffler : la Chine parce qu’elle doit faire face à un ralentissement économique perturbant, Donald Trump parce qu’il est en campagne présidentielle.
Si les États-Unis acceptent de baisser de 15 % les tarifs douaniers sur quelque 100 milliards d’importations chinoises et s’engagent à ne procéder à aucune autre augmentation douanière dans les mois qui viennent, les sanctions douanières existantes, prélevées sur 360 milliards de dollars de produits chinois depuis plus d’un an, elles, subsistent. À la grande déception des marchés financiers, qui spéculent depuis des mois sur une normalisation des relations américano-chinoises, le secrétaire américain au trésor, Steven Mnuchin, n’a annoncé aucun changement sur les tarifs douaniers existants avant la négociation de la phase 2 prévue après novembre. Cette date, a précisé le secrétaire américain, « n’a rien à voir avec l’élection présidentielle [prévue le 3 novembre – ndlr] ». Pas plus d’ailleurs que cet accord de phase 1 considéré comme non officiel par les autorités de Pékin.
En échange, Pékin a obtenu que les autorités américaines suspendent les poursuites engagées contre lui pour manipulations monétaires. (Le yuan a perdu près de 8 % de sa valeur face au dollar depuis les premières sanctions douanières, ce qui avait été analysé par l’administration américaine comme une tentative d’effacer les hausses douanières par une dévaluation artificielle de la monnaie chinoise.) En contrepartie, la Chine s’est engagée à acheter pour 200 milliards de dollars de produits américains supplémentaires en deux ans.
« Cet accord relève d’un style de planification centrale communiste qui aurait fait grincer des dents les anciens présidents américains », n’a pas pu s’empêcher d’ironiser l’agence Bloomberg (dont le propriétaire est candidat contre Donald Trump). « Alors que les pactes commerciaux fixent traditionnellement les règles et laissent les détails du commerce réel aux marchés, celui que l’équipe de Trump a négocié comprend une annexe classée qui détaille les 200 milliards de dollars d’achats chinois. Cela comprend quelque 32 milliards de dollars d’achats supplémentaires d’exportations agricoles américaines et 50 milliards de dollars de gaz naturel et de pétrole brut, selon des personnes informées de son contenu. »
Pour le reste, tout est en suspens. Même s’il a fait quelques gestes, Pékin a refusé de faire la moindre concession, exigée jusque-là par la Maison Blanche, sur les subventions aux entreprises d’État et sur l’ouverture de ses marchés. De son côté, Washington campe sur ses positions, demande un rééquilibrage commercial avec la Chine et agite toujours la menace de sanctions, si Pékin ne respecte pas les engagements pris sur sa monnaie, la propriété intellectuelle.
Les milieux d’affaires et financiers attendaient beaucoup d’un accord entre Washington et Pékin pour relancer l’économie mondiale. Ils risquent d’être déçus. L’illusion que tout pourrait revenir comme avant, grâce à une réconciliation, pourrait vite se dissiper. « Même si elle est bienvenue, la signature de cette trêve n’empêche pas qu’en réalité, les deux pays se voient de plus en plus de manière antagoniste », déclare au Financial Times, Ali Wyne, analyste politique du Rand Corporation, un think tank libéral, très influent à Washington.
Les dix-huit mois de guerre commerciale entre les deux premières puissances mondiales ont laissé des traces qu’il sera difficile d’effacer rapidement. La démondialisation s’accélère autour des lignes de fracture provoquées par les rivalités entre Pékin et Washington. Chaque pays est sommé de choisir dans cette « nouvelle guerre froide commerciale ».
Les tarifs douaniers imposés par les États-Unis ont déjà provoqué des ruptures profondes dans les organisations industrielles, dans les chaînes de valeur mondiales. Pour échapper aux sanctions, des multinationales ont décidé de quitter la Chine et de délocaliser leurs productions dans des pays moins exposés. Le Vietnam est la dernière destination prisée.
D’autres ont choisi de rapatrier directement leurs productions aux États-Unis. Les secteurs de l’électronique et de l’informatique ont particulièrement pris conscience de leur dépendance à l’égard des composants chinois et ramènent ce qu’ils peuvent sur le territoire américain. Dans le même temps, le gouvernement américain met les bouchées doubles pour rattraper ce qu’il considère comme des menaces stratégiques dans ses approvisionnements. Depuis quelques mois, il met tout en œuvre notamment pour acquérir et développer aux États-Unis ou dans des pays considérés comme sûrs l’exploitation des terres rares, matières premières essentielles pour tous les composants électroniques.
La rupture se ressent aussi dans les flux commerciaux. Pékin a redoublé d’efforts pour développer de nouveaux marchés délaissés ou abandonnés par les États-Unis. C’est particulièrement vrai au Moyen-Orient. Refusant de se plier à l’embargo américain, la Chine poursuit ses achats pétroliers avec l’Iran et en profite pour nouer des relations commerciales suivies avec le régime iranien. Profitant de son statut de premier importateur mondial de pétrole, Pékin poursuit aussi sa politique d’expansion dans les pays du Golfe et l’Arabie saoudite.
De façon prudente et mesurée, la Chine est aussi en train de prendre ses distances par rapport au dollar. Depuis l’été, Pékin, à la fois pour ses besoins financiers pour faire face au ralentissement économique du pays mais aussi pour des raisons de sécurité, vend chaque mois quelques dizaines de milliards de bons du trésor américains. Ces désinvestissements ne représentent que peu de choses par rapport aux 1 000 milliards de dollars qu’il détient en titres américains, qui ont servi à recycler ses énormes excédents commerciaux réalisés entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2010. Mais ils donnent un signal de la volonté de Pékin de rompre sa dépendance à l’égard du dollar. Dans le même temps, la banque de Chine diversifie ses réserves et n’a jamais acheté autant d’or.
S’il est un domaine où le divorce entre la Chine et les États-Unis est consommé et où les relations tournent à la guerre ouverte, c’est celui des hautes technologies. Télécoms, informatique, intelligence artificielle sont devenus des champs de bataille entre les deux pays, les États-Unis entendant bien préserver les monopoles mondiaux qu’ils ont su se constituer par l’intermédiaire des GAFAM. Le groupe Huawei est devenu le symbole de cette rivalité. Depuis des mois, Donald Trump fait pression sur tous les partenaires des États-Unis pour qu’ils refusent les équipements 5G proposés par le groupe chinois. Berlin a ainsi été sommé de renoncer à travailler avec lui. Mais a, jusqu’à présent, refusé de se plier aux injonctions américaines.
La Grande-Bretagne subit des pressions identiques. Une délégation de responsables américains de la National Security Agency (NSA) s’est rendue à Londres le 13 janvier pour des discussions avec leurs homologues britanniques, afin de les convaincre de bloquer le fournisseur chinois de télécommunications. Les pressions semblent être restées sans effet, pour l’instant. « Si les gens s’opposent à une marque ou à une autre, alors ils doivent nous dire “quelle est l’alternative” », a déclaré le premier ministre britannique le lendemain.
Ces discussions entre Donald Trump et les responsables européens illustrent bien la situation de l’Europe dans cette guerre commerciale. Désunie, incapable d’articuler une politique commune face aux deux puissances mondiales, elle navigue à vue. Dans cette nouvelle guerre froide commerciale, elle n’est qu’une proie que l’un ou l’autre tente d’emporter.
Martine Orange
• MEDIAPART. 15 JANVIER 2020 :
https://www.mediapart.fr/journal/economie/150120/la-chine-et-les-etats-unis-decident-d-une-treve-dans-leur-guerre-commerciale
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