Édition du 12 novembre 2024

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Afrique

Au Cameroun, l’enfer des orpailleuses empoisonnées au mercure

Maladies, infections, eau polluée au mercure… Dans l’est du Cameroun, l’exploitation de mines d’or inbtoxique les populations, surtout les femmes. Un désastre environnemental et sanitaire, dont des entreprises chinoises seraient responsables.

Tiré de Reporterre.

À Batouri, petite commune de l’est du Cameroun, les orpailleuses souffrent dans un silence absolu. Leur travail dans les mines d’or dépend de cette omerta. « Il faut ruminer sa douleur dans le silence. Les entreprises chinoises qui exploitent les mines d’or de la localité n’aiment pas les bruits », dit Augustine à voix basse. L’artisane, tamis à la main, et une partie de son corps immergé dans une piscine remplie d’une eau boueuse, n’interrompt pas une minute le va-et-vient incessant de ses mains dans l’eau. « C’est notre quotidien », ajoute-t-elle.

Au milieu des autres orpailleuses, Augustine reste prudente dans ses réponses : n’étant pas salariée de l’entreprise propriétaire de la mine en aval de laquelle elle collecte ses pépites d’or, elle peut en être exclue très facilement. À l’écart du groupe, son discours change et sa parole se libère. Augustine raconte souffrir de lésions vaginales. « J’ai eu cette petite maladie », dit-elle, dans un rare témoignage de femme à accepter de raconter son enfer. Elle se lance : « J’ai eu des blessures tout autour de mon sexe. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Dans mon ménage, je n’étais plus en mesure de satisfaire mon mari. Je me sentais mal pendant les rapports sexuels. Quand il était emporté de joie, moi, je coulais des larmes, parce que je me sentais mal. C’était un cauchemar ! Il ne me comprenait pas, mais j’étais la seule à mesurer ma douleur, une douleur atroce. À force de revenir travailler à la mine, j’étais en contact avec ces eaux, et ces petites blessures se multipliaient et s’aggravaient. J’avais des démangeaisons partout au bas ventre. À l’hôpital, le médecin m’a demandé de quitter la mine, car il a retrouvé les traces de mercure dans ma vulve. »

Batouri et l’or de la misère

La commune de Batouri se trouve à quelque 400 kilomètres de Yaoundé, la capitale camerounaise. C’est l’une des localités de l’est du pays que l’ancien ministre camerounais des Mines, Emmanuel Bonde, qualifiait en 2012, dans un quotidien national, de « scandale géologique » à cause de sa richesse en matières premières : on y trouve du bois, de l’or, du cobalt, du manganèse et même des diamants.

Selon les données de la délégation régionale des mines de l’Est, 72 autorisations d’exploitation artisanale semi-mécanisée de mines d’or ont été accordées en 2018, couvrant une superficie cumulée de 38 437 km², soit près du tiers de la superficie totale de la région [1]. Ces autorisations ont été référencées comme appartenant à 37 compagnies minières aurifères. Les enquêtes de terrain menées par l’ONG WWF ont évalué l’ampleur de l’« informalité » de cette activité : en tout, 133 chantiers miniers et 98 compagnies, dont plusieurs entreprises chinoises, ont été recensées. Si les Chinois ne sont pas les seuls exploitants miniers de la zone, les guides locaux assurent que ce sont eux qui possèdent le plus grand nombre d’entreprises minières.

Au sommet des sites miniers aurifères, des excavatrices retournent la terre. Les pompes projettent de l’eau à bonne distance pour laver le minerai. Dans l’exploitation de l’or, le mercure, bien qu’interdit [2], reste utilisé massivement pour alléger le processus de captage du métal pendant la phase de lavage des agrégats. Une fois l’or capté dans de grands tamis métalliques, l’eau souillée est déversée dans la nature. Elle s’écoule vers les bassins de l’aval, où des femmes enceintes, d’autres qui allaitent encore et des enfants de moins de dix ans cherchent des résidus d’or qui auraient échappé aux tamis des miniers.

Ces maladies de la honte freinent à peine leur élan vers les sites miniers.

Depuis plus d’une décennie, l’exploitation minière fait payer un lourd tribut à la région de l’est du Cameroun. Les cours d’eau qui ceinturent la mine du village Kambele, par exemple, ont pris une couleur jaunâtre à cause de la boue rejetée. En saison sèche, les poissons meurent et flottent à la surface. Dans la périphérie de Batouri, les populations éprouvent des difficultés à trouver de l’eau potable et ne peuvent plus pêcher dans le fleuve Kadey en raison du degré élevé de pollution de ses eaux. Entre maladies hydriques, infections pulmonaires et maladies de la peau, les communautés n’ont que leurs yeux pour pleurer. La société civile ne cesse d’alerter sur le désastre environnemental et sanitaire. Mais également sur les multiples accidents causés par les trous non restaurés. Entre 2014 et 2020, au moins 150 morts ont été enregistrés dans les mines de la région.

Dans les bidonvilles, chaque orpailleuse ou presque a une histoire avec les produits chimiques. Des blessures qui peinent à guérir, des enfants de moins de cinq ans entraînés dans la mine par leurs parents qui suffoquent. Certains vieux orpailleurs ont perdu la vue à force de manipuler les produits toxiques. À cause de l’extrême pauvreté dans laquelle les orpailleuses croupissent, ces maladies de la honte freinent à peine leur élan vers les sites miniers. Tamis à la main, trempée dans une eau boueuse pendant des heures, les populations, des femmes en majorité, malaxent la terre molle sans protection. L’argent engrangé après la vente de quelques pépites d’or permet de s’occuper des charges familiales.

« Quand vous travaillez dans les mines appartenant aux Chinois, vous tombez malade »

À l’hôpital catholique de Batouri, un jeune médecin a fait du mercure sa spécialisation. Le docteur Betsalel Ndifo reçoit régulièrement les « accidentées du mercure », comme il les appelle. Pour lui, « il est inévitable qu’une femme qui passe du temps dans un liquide lui arrivant au niveau de son nombril ait, avec une dermatite de contact, des lésions au niveau de la peau ou du sexe. Évidemment, des femmes qu’on reçoit ici ont ces problèmes d’allergies vaginales causées par le mercure ». Il dit aussi recevoir des enfants qui, accidentellement, ont avalé du mercure.

Toujours selon ce médecin, l’utilisation ou la manipulation du mercure à forte dose peut causer des affections neurologiques, des maladies auto-immunes ou encore des malformations congénitales. L’inhalation de ses particules provoque des maladies respiratoires. Les orpailleuses seraient d’ailleurs les plus sujettes à des problèmes de coordination musculaire, de perte de mémoire, de tremblements des membres et d’hallucinations, selon le Dr Ndifo. À cela s’ajoutent des cas de brûlures chez les mineurs artisanaux travaillant à mains nues.

Contacté, Ndorman Nico Landry, le représentant local à Batouri du ministre des Mines, dément l’utilisation du mercure par les exploitants chinois, pourtant mis à l’index par la population. Pour ce délégué départemental, « aucun Chinois n’utilise le mercure. Au contraire, ce sont les orpailleurs artisanaux [camerounais et centrafricains] qui manipulent ce produit pour capter l’or sans mesures de protection ». Un témoignage en contradiction avec ce que les communautés locales nous ont confié. « Quand vous travaillez dans les mines appartenant aux Chinois, vous tombez malade. Vous avez des blessures au corps, parce qu’ils utilisent le mercure », nous expliquait une orpailleuse, ancienne malade de lésions vaginales.

Il n’a pas été possible de rencontrer les entreprises chinoises sur le terrain, les agents de sécurité ne nous ayant pas laissés passer. L’exploitation industrielle de l’or dans l’est du Cameroun provoque régulièrement de fortes tensions entre populations locales et les exploitants asiatiques, accusés de pollution, d’assassinat, d’accaparement des terres et de corruption dans un pays où l’industrie aurifère n’est pas encadrée légalement. Le secteur minier contribue à peine à 5 % du PIB. En novembre 2017, selon l’ONG Forêts et développement rural (Foder), un employé de l’entreprise Lu et Lang avait abattu un orpailleur camerounais qui cherchait de l’or sur la parcelle dont la société revendiquait la propriété. Les villageois, ce jour-là, se sont révoltés et ont tué le Chinois.

Notes

[1] Selon la loi camerounaise, les minerais dans le sol appartiennent à l’État, qui accorde des concessions en échange de 15 % de l’or extrait.

[2] Au Cameroun, une décision du ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique interdit depuis août 2019 l’utilisation du mercure et du cyanure dans l’exploitation minière. Ce texte interdit aussi le déversement dans les cours d’eau de produits chimiques ou nocifs utilisés pour le traitement des minerais sous peine de poursuites judiciaires. Jusqu’ici, aucune entreprise n’a été inquiétée pour utilisation de l’un ou l’autre de ces produits. Signataire depuis 2014 de la convention de Minamata sur la protection de la nature contre les émissions de mercure, le Cameroun peine à implémenter les actions sur le terrain.

Jean Charles Biyo’o Ella

Auteur pour Reporterre.

Diiki Ebenizer

Auteur pour Reporterre.

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