Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Urgence climatique et biodiversité

À tous les journalistes - et à toutes les personnes - qui ne veulent pas se faire rouler dans la farine

Avant même le début de la COP15, plusieurs intervenants majeurs ont fait des affirmations parfois floues ou biaisées lors d’entrevues médiatiques, des affirmations qui ont toutes contribué à semer la confusion sur la réalité climatique et l’état de la biodiversité. 

Serge Proulx
Biologiste et M. Sc. (Hydrologie forestière)
Membre de GMob.

Nous croyons que, face à toute affirmation, déclaration ou article qui semble apporter de “nouveaux” chiffres, nous devons développer certains réflexes pour éviter de nous faire rouler dans la farine et ainsi nous détourner de ce qu’il faut faire urgemment. 

1- Quelles sont les sources de ces nouvelles affirmations ?

Les valeurs des “prévisions” diffèrent beaucoup d’une source à l’autre selon les méthodes de calcul (de quoi tient-on compte dans le calcul des chiffres énoncés [1]) et de l’horizon temporel pour ces calculs. Dans l’incertitude, il vaut mieux appliquer le principe de précaution.

De plus, ces nombres sont souvent basés sur des promesses des différents États, des promesses historiquement non tenues, sauf partiellement. Par exemple, le gouvernement Trudeau a promis la plantation de 2 milliards d’arbres pour 2030. En 2021, 30 millions ont été plantés. À ce rythme, ça prendrait plutôt 66 ans pour y arriver… soit pour 2087 !

2. “Ça va mieux !”... Vraiment ?

Jean Lemire, Émissaire aux changements climatiques et aux enjeux nordiques et arctiques du Québec, a affirmé à RDI « … il y a eu quand même une amélioration...[2] »
Même si certaines “prévisions” semblent indiquer que les hausses de température pourraient être moins élevées qu’anticipées il y a 10 ans, la multiplication des événements extrêmes amène à penser qu’on a sous-estimé les conséquences des hausses de température. Dans les années 1980, aux États-Unis [3], une catastrophe climatique causant des dommages d’au moins un milliard de dollars survenait tous les 82 jours ; aujourd’hui, c’est tous les 18 jours, même en tenant compte de l’inflation. 

Autre aspect important, l’évaluation des points de bascule climatiques [4], des seuils qui, lorsqu’ils sont franchis, entraînent de grands changements, souvent irréversibles (points de non-retour), avec un risque d’effet domino sur les autres. Ce domaine de recherche, de plus en plus étudié, ne nous amène vraiment pas à considérer que « ça va mieux » ! 

De plus, plusieurs secteurs économiques, après une diminution pandémique de leurs activités, semblent sur la voie de retourner au « business as usual » comme le montrent, par exemple, les prévisions du nombre de vols aériens [5]. 
Mais revenons à la COP15.

La Presse du 6 décembre [6] rapportait qu’aucun des 20 objectifs du précédent Plan stratégique pour la diversité biologique, adopté à Aichi au Japon en 2010, n’a été pleinement atteint ; seulement 34 % des objectifs nationaux ont été atteints, et seulement 23 % de ces objectifs nationaux étaient alignés avec ceux d’Aichi. 
En 2012, Jean Lemire et son équipage sillonnaient les mers du monde. La série 1000 jours pour la planète [7] offrait un constat troublant de l’état de la situation, notamment sur les plastiques. « Ce plastique, c’est notre plastique... », disait-il quelques années plus tard. 

Comment croire qu’il puisse ignorer que l’OCDE [8] en juin dernier, prédisait que les déchets plastiques, dont la production a doublé entre 2000 et 2019 pour atteindre 353 millions de tonnes (Mt), “devraient presque tripler d’ici 2060“ pour atteindre 1 014 Mt ? Les émissions de GES provenant du cycle de vie des plastiques devraient plus que doubler à l’horizon 2060, atteignant 4,3 milliards de tonnes (Gt). Or ce serait incompatible avec la cible de carboneutralité en… 2050 !

Pour l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement, ces plastiques représentent au moins 85 % du total des déchets marins. Ces centaines de millions de tonnes contribuent à l’effondrement de la biodiversité.
“Amélioration”, disait-il ?...

3 - Les termes à la mode 
 
Attention aux glissements de langage ! Plusieurs termes à la mode cachent souvent une réalité peu reluisante ! Par exemple : 

• Transition : L’utilisation généralisée du mot “transition” depuis plus d’un siècle lorsqu’on parle d’énergie est un canular. Du bois au charbon, du charbon au pétrole, et maintenant des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, aucune transition n’a eu lieu. La réalité est plutôt une addition des nouvelles sources d’énergie, comme le montre ce graphique : 

http://www.bco2.fr/en._energie_1082.htm

• L’économie circulaire : une expression qui suppose un recyclage complet, mais qui cache une réalité plus sombre. Les divers scandales sur les supposés recyclages se succèdent. Selon National Geographic [9], depuis 2015, sur plus de 6,9 Gt de déchets plastiques produits, environ 9 % seulement ont été “recyclés”, 12 % ont été incinérés et 79 % ont été déversés dans des décharges ou dans la nature. 
Le portrait n’est pas plus rose concernant le recyclage des métaux et autres matériaux. Le groupe international d’experts sur les ressources [10] des Nations Unies évalue que moins d’un tiers des quelque 60 métaux étudiés ont un taux de recyclage en fin de vie supérieur à 50%, et plus de la moitié sont en dessous de 1% de recyclage. 
• Développement durable : Laissons la parole aux deux côtés de la médaille : 
◦ « Le développement durable est en soi une contradiction, car on ne peut pas développer sans consommer davantage de biens et d’énergie. » - René Dumont, agronome et environnementaliste français.
◦ « Le développement durable, c’est tout d’abord produire plus d’énergie, plus de pétrole, plus de gaz, peut-être plus de charbon et de nucléaire, et certainement plus d’énergies renouvelables. Dans le même temps, il faut s’assurer que cela ne se fait pas au détriment de l’environnement. » - Michel de Fabiani, président de BP France, rencontres parlementaires sur l’énergie, 2001.

4 - “La technologie nous sauvera ! “

Par exemple le captage et l’enfouissement ou séquestration du CO2 (technologies de captage et de stockage direct du carbone dans l’air - DACCS). Le plus gros site actuellement en service, l’usine ORCA, a une capacité de captage d’environ 4000 tonnes par an et son coût est estimé entre 10 et 15 millions $. Quelques règles de trois permettent de réaliser rapidement le cul-de-sac proposé : chaque petite municipalité de quelques centaines d’habitants devrait-elle construire une “ORCA” pour capter ses propres émissions de GES ? Des forêts feraient assurément mieux le travail, en plus d’être des habitats.

* * * * * * * * * * * * * * *
Notre mode de vie et les changements climatiques affectent grandement la répartition des espèces et donc la biodiversité, et inversement ces écosystèmes, chamboulés, pourront ne plus agir aussi efficacement comme puits de carbone [11], et même devenir des sources de carbone, accentuant ainsi le réchauffement planétaire [12] ; pensons à l’Amazonie ou au pergélisol arctique. 
De plus, en entrevue à Radio-Canada, la secrétaire générale d’Amnistie internationale, Agnès Callamard [13], a déclaré « Le droit à la vie ne pourra pas être réalisé dans un environnement où il n’y a plus de biodiversité, plus d’accès aux ressources, où la nourriture devient de plus en plus difficile à produire. Pour nous, la protection de la biodiversité, c’est un enjeu de droits humains. »
Tous les grands problèmes de l’humanité sont interreliés ! Nous devons cesser de les traiter comme s’ils étaient indépendants les uns des autres.
Sinon, l’humanité continuera, comme l’a dit le secrétaire général de l’ONU, « d’être une arme d’extinction massive”.


Notes

[1] https://www.techno-science.net/actualite/hausse-temperatures-degres-dit-vrai-N21416.html
[2] https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8700434/zone-economie-entrevue-avec-jean-lemire
[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1939979/catastrophes-climatiques-couts-milliards-dollars-changements-climatiques
[4] https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-09-10/changements-climatiques/la-terre-au-seuil-de-cinq-points-de-bascule.php
[5] https://www.visualcapitalist.com/cp/when-will-air-travel-return-to-pre-pandemic-levels/?fbclid=IwAR0ShRvE0dR2uTECj_csGWyVV4sEQlbcwJiU8Qch2KCyUvv2GMXpXCrAFUg
[6] https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-12-06/cop15/ne-pas-repeter-les-erreurs-du-passe.php#:~:text=La%2015e%20Conf%C3%A9rence%20des,int%C3%A9r%C3%AAt%20sur%20la%20sc%C3%A8ne%20internationale
[7] https://www.strategiessaintlaurent.org/component/eventlist/details/90-1000-jours-pour-la-planete-trois-episodes-de-decouverte-sur-la-biodiversite
[8] https://www.oecd.org/fr/environnement/les-dechets-plastiques-produits-au-niveau-planetaire-devraient-presque-tripler-d-ici-2060.htm
[9] https://www.nationalgeographic.fr/le-plastique-en-10-chiffres
[10] https://www.resourcepanel.org/fr/rapports/taux-de-recyclage-des-m%C3%A9taux
[11] https://www.lesoleil.com/2021/02/13/puits-de-carbone-terrestres-pres-dun-point-de-bascule-d3e1b70088f92ff0242ef4604742afc4?nor=true
[12] https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/12/12/pourquoi-les-crises-du-climat-et-de-la-biodiversite-sont-liees_6153988_3244.html?fbclid=IwAR2h6kTYvpFKU766FkiY50DoUvsGOGxoh_7ooRBH06gwXmRnbZiX6-Bd_vQ
[13] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1940414/amnistie-internationale-agnes-callamard-desautels

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