Son niveau actuel d’appuis dans la population [1], leur dispersion à travers le Québec, les ressources limitées du parti et l’évolution de la conjoncture politique nous y obligent. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en étaient déjà venus les membres de QS en mars 2011 lors de son VIème Congrès en déterminant des critères de priorisation. Mais à la veille du déclenchement possible d’élections générales au printemps prochain, nous avons tout intérêt préciser les implications d’un tel choix stratégique et la présente contribution propose d’aller un peu plus loin en ce sens.
À propos de la concentration des votes
En 1998, l’ADQ a récolté 12% des votes et n’a fait élire qu’un seul député. Dix ans plus tard, Québec solidaire atteignait le même résultat mais avec trois fois moins d’appuis au niveau national. Pourtant en 1970, avec un appui légèrement inférieur, le Ralliement créditiste a envoyé douze députés à l’Assemblée nationale grâce à la concentration de ses appuis dans certaines régions, alors que trois ans plus tard (en 1973), le PQ récoltait 30% des votes mais ne faisaient élire que 6 député-e-s.
Depuis 1970, le PLQ est toutefois le parti qui a bénéficié de la plus forte surreprésentation à l’Assemblée nationale [2]. Cela est surtout attribuable au fait que les libéraux récoltent l’appui d’une forte majorité d’électeurs-trices anglophones et allophones, surtout concentrée dans les régions de Montréal, de l’Outaouais et de l’Estrie [3]Ce pourcentage d’électeurs-trices non francophones (environ 15%), additionné à l’appui indéfectible d’une bonne part des fédéralistes francophones, fournit au PLQ, élection après élection, environ 35% de sa députation totale. Résultat : toutes les circonscriptions comptant moins de 90% de francophones en dehors de Montréal et moins de 79% sur l’île peuvent être considérées comme des « châteaux forts » libéraux.
Du côté du PQ, la concentration de ses appuis fait en sorte qu’en 2008 55% de sa députation provient de sept régions [4]composées très majoritairement de francophones nés au Québec. À Montréal, ce phénomène apparaît encore plus clairement : en 2008, les huit député-e-s du PQ représentaient des circonscriptions toutes situées dans l’est de l’île, constituées très majoritairement de francophones. Toutefois, étant donné que dans l’ensemble du Québec les votes péquistes se répartissent dans un plus grand nombre de circonscriptions (et que ceux des libéraux sont davantage concentrés), le PQ bénéficie d’un avantage sur le PLQ qui doit récolter entre 3% et 7% de plus de votes au total que le premier pour espérer remporter un nombre suffisant de sièges et former un gouvernement majoritaire avec le mode de scrutin actuel.
Pour Québec solidaire le problème est double : en plus de récolter au total beaucoup moins de votes que ses deux adversaires politiques, plus des trois quarts de ses appuis sont dispersés sur l’ensemble du territoire québécois. En 2008, 95% des candidat-e-s solidaires se sont divisés 78% des votes exprimés pour Québec solidaire. Ce qui fait en sorte qu’il en reste bien peu pour un petit nombre de candidat-e-s : 13,5% pour nos deux porte-parole et 8,5% pour les quatre candidat-e-s qui ont obtenu plus de 10% lors de la dernière élection.
C’est insuffisant pour espérer faire élire une équipe de député-e-s solidaires la prochaine fois. Combinée au « vote stratégique ou utile » engendré par le mode de scrutin actuel, cette dispersion des appuis solidaires nuit grandement aux chances de QS de percer en dehors des circonscriptions convoitées par ses deux porte-parole.
Concentrer nos ressources pour obtenir plus de sièges
Historiquement, pour être élu-e à l’Assemblée nationale, un-e candidat-e récolte au moins 30% des voix exprimées lors d’un scrutin général. Pour obtenir ce résultat, son parti aura investi la plupart du temps des ressources financières que Québec solidaire n’a pas eu les moyens de consacrer, sauf dans Mercier et Gouin. Au total lors de la dernière campagne électorale, Québec solidaire a dépensé 600 000 $, alors ces montants s’élevaient à un peu plus de 3M $ pour le PLQ, à 3,8M $ pour le PQ et à 1,8M $ pour l’ADQ. Individuellement, 69% des candidat-e-s libéraux ont bénéficié d’un budget supérieur à 40 000$, alors que c’était le cas pour seulement 22% des candidat-e-s péquistes. Pour QS, il n’y a que ses deux porte-parole qui ont pu faire campagne avec des ressources financières comparables.
En tenant compte uniquement de ce facteur financier, Québec solidaire a deux choix s’il veut se rapprocher de ses adversaires : gonfler substantiellement sa « caisse électorale » totale et ainsi en donner plus à tous ces candidat-e-s ou encore augmenter son « investissement » dans certaines circonscriptions pour que ces candidatures bénéficient de ressources comparables à leurs adversaires. Les deux options sont nécessaires, mais comme il est à peu près impossible (et souhaitons-nous vraiment qu’il le fasse de toute façon ?) que QS dépense autant que le PLQ ou le PQ au cours d’une campagne électorale, il devient encore plus évident que ses dépenses doivent se faire prioritairement dans les circonscriptions où il a des chances de gagner ou encore de placer un-e candidat-e en position de l’emporter dans un proche avenir.
L’argent n’est pas tout, heureusement. La plupart des candidat-e-s élu-e-s le doivent bien entendu à la plate-forme électorale de leur parti respectif, au rayonnement de leur chef ou porte-parole, à la conjoncture politique prévalant à ce moment, etc., mais également à l’organisation que leur parti dispose pour faire valoir leur candidature. Rares en effet sont celles et ceux qui ont été élu-e-s sans avoir derrière elles et eux une équipe aguerrie de militant-e-s et de bénévoles qui ont fait campagne quotidiennement pour les appuyer et les faire connaître à la population.
Durant une campagne électorale, les partis politiques puisent chez leurs membres ce bassin de bénévoles et de militant-e-s et si on considère que seule une minorité de ces membres s’impliquent activement, encore là Québec solidaire est désavantagé. Alors que la formation de gauche dispose d’un bassin de plus de 7500 membres, celui du PLQ s’élève à 68 515 et celui du PQ à une peu plus de 71 000. À court terme, il est illusoire (même si dans ce cas ça serait souhaitable) de croire que Québec solidaire puisse se comparer avantageusement aux deux autres partis et dans ce cas, encore une fois, l’allocation prioritaire de ressources (celles-là humaines) dans certaines circonscriptions constitue pour QS une nécessité s’il entend compétitionner avec ses adversaires, là où il évalue pouvoir faire bonne figure et même l’emporter bien sûr.
S’il faut assurément augmenter sans cesse le membership du parti, et par conséquent le nombre de ses membres qui vont s’impliquer dans une campagne électorale, la réalité actuelle est telle que Québec solidaire ne peut se permettre le luxe de disperser ses troupes dans un trop grand nombre de circonscriptions, au risque de les diluer à un point tel qu’elles auraient un impact négligeable.
L’expérience acquise dans Mercier, de même que dans Gouin, en 2007 et 2008, conduit à une conclusion inévitable : pour obtenir une concentration suffisante d’appuis et ainsi espérer l’emporter, un-e candidat-e doit pouvoir compter sur une équipe d’au moins plusieurs dizaines (sinon centaines) de bénévoles, en plus d’un noyau fort et disponible (à temps plein idéalement) de militant-e-s d’expérience ainsi qu’un budget minimale (au moins 40 000$). Si nous acceptons ce constat, de même que les limites de nos ressources financières, l’exercice de priorisation effectuée en mars 2011 devra être peaufiné et des décisions difficiles devront être prises lors de la prochaine instance nationale du parti qui discutera de stratégie électorale.
Priorisation : s’en tenir à huit circonscriptions
Au Congrès de mars 2011, les membres de Québec solidaire ont décidé que le parti allait prioriser son « effort électoral » dans quatorze circonscriptions lors de la prochaine campagne. Ils ont établi des critères qui guident le comité électoral national dans sa planification : les résultats aux dernières élections, la reconnaissance des candidat-e-s au niveau local ou régional ainsi que la « force » des associations locales dans ces circonscriptions [5]Ces critères ont conduits à déterminer trois types de circonscriptions : celles des porte-parole (2), des « prioritaires » (6) et des « intermédiaires » (6). Au minimum, la moitié de ces douze dernières circonscriptions devront être situées hors de Montréal et la parité devra être respectée parmi l’ensemble des quatorze candidatures.
En se fiant uniquement aux résultats électoraux de 2008, 11 circonscriptions (7 à Montréal et 4 de l’extérieur de la métropole) pourraient être considérées comme prioritaires et 16 autres comme intermédiaires (6 à Montréal et 8 à l’extérieur). Si on inclut les deux autres critères (plus subjectifs nous l’admettons), une seule des circonscriptions prioritaires (provenant de Montréal) pourrait être excluse alors que le choix de 8 circonscriptions intermédiaires pourraient être discutables (4 de Montréal et autant de l’extérieur de la métropole).
Les membres de Québec solidaire devront donc faire des choix difficiles en 2012 car, même en respectant à la lettre les critères adoptés, 10 circonscriptions ont encore le « potentiel » d’être considérées comme prioritaires (dont 6 à Montréal) et 8 comme intermédiaires (dont 4 à Montréal). Devant ces choix, la tentation sera alors grande d’élargir le nombre de circonscriptions « admissibles » à la priorisation, où davantage de ressources et d’énergies seront investies lors de la prochaine campagne électorale, mais ça serait une erreur.
Pour espérer faire élire une équipe d’au moins cinq député-e-s à l’Assemblée nationale la prochaine fois, Québec solidaire a intérêt à concentrer la majeure partie de ses ressources (au moins les deux tiers) dans un nombre limité de circonscriptions : selon nous, 8 au total incluant celles de nos deux porte-parole. Ces choix devront certes tenir compte des critères adoptés en mars 2011, mais aussi de l’évolution de la conjoncture politique québécoise depuis près d’un an. Plus particulièrement de l’arrivée en scène du parti de François Legault, de la présence d’ex-député-e-s du PQ qui, après avoir quitté leur formation politique au cours des derniers mois, voudraient ou non se représenter aux prochaines élections à titre de candidat-e-s indépendant-e-s ainsi que de la possibilité que des ténors du PLQ ne se représentent pas lors de la prochaine électorale de peur de se retrouver dans l’opposition.
Mais un autre facteur pourrait influencer les choix de Québec solidaire en ce qui a trait aux circonscriptions dans lesquelles il investira prioritairement ses ressources : la possibilité pour lui d’établir des pactes tactiques avec d’autres partis [6]tel était le cas, le choix final de ces circonscriptions devra en tenir compte si l’on souhaite optimiser nos chances de faire élire la prochaine fois une équipe d’au moins cinq député-e-s.
Voilà pourquoi le comité électoral national doit disposer d’une marge de manœuvre suffisante ainsi que de la confiance des membres pour déterminer, le temps venu et avec en mains le plus d’informations possibles, les circonscriptions dans lesquelles Québec solidaire priorisera sa prochaine campagne électorale [7]
Stéphane Lessard
Ex-membre du Comité de coordination national de Québec solidaire (2006-2010)