En entrevue au téléjournal de Radio-Canada, il a expliqué, avec toute la partisanerie qu’on lui connaît, comment, « comparativement aux oppositions », son gouvernement gérait bien les finances publiques en améliorant grandement les repas des résidents des CHSLD du Québec pour seulement 0.20$ de plus en moyenne par repas, faisant ainsi passer leur coût moyen de 2.17$ à 2.37$. Une aubaine pour des gestionnaires responsables comme le gouvernement libéral.
Au passage, il en a profité pour déclarer qu’il pouvait réussir cela grâce à sa loi 10 que tout le monde a tant décriée et démonisée. Bien sûr, l’interviewer ne lui a pas demandé en quoi il avait fallu fusionner des centaines d’établissements pour arriver à améliorer les repas en CHSLD. Et encore une fois le ministre a passé son message sans être importuné.
Grande opération médiatique, large couverture, entreprise réussie : tout le monde en a entendu parler, ça va aller mieux dans les CHSLD et tout ça, grâce au ministre et à son gouvernement.
Évidemment, il l’a trouvé moins drôle quand l’émission Tout le monde en parle a donné la parole à d’autres personnes plus critiques de son action, qui ont mis en évidence ce que le ministre tentait de cacher avec son « crémage » à gâteau : le manque de personnel, le rationnement du matériel, les piètres conditions de vie des résidents, etc. Ses réactions immédiates sur Twitter laissaient bien voir encore une fois qu’il ne tolère pas la critique, qu’il n’entend pas laisser poindre d’autres voix que celles qui répètent ses propres dires.
Cela illustre bien le peu de considération que ce ministre a pour la démocratie, cette démocratie qu’il a réduite comme peau de chagrin dans son Projet de loi 10, qui a fusionné les établissements de santé, faisant passer leur nombre de 182 à 34, réduisant du même coup les lieux de décisions et de démocratie.
Certains diront qu’il n’y a aucun lien entre démocratie et santé. Nous leur rappellerons qu’en santé mentale, on considère que la dépression est une perte de pouvoir sur sa vie. S’il en est ainsi, nous pouvons affirmer que la santé est aussi une question de démocratie, liée au pouvoir de changer les choses pour les améliorer.
D’autant plus que la santé ne relève pas que d’une responsabilité individuelle, pas plus qu’elle n’est déterminée d’abord et avant tout par la génétique. Selon le Canadian Institute for Advanced Research, les déterminants de la santé sont l’environnement social et économique pour 50%, le système de soins pour 25%, la biologie et la génétique pour 15% et l’environnement physique pour 10%.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »
La Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec (LSSSS), quant à elle, la caractérise comme « la capacité physique, psychique et sociale des personnes d’agir dans leur milieu et d’accomplir les rôles qu’elles entendent assumer d’une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie. »
La LSSSS affirme que notre régime public de SSS a pour but le maintien et l’amélioration de cette capacité, et pour y arriver, elle établit plusieurs cibles d’actions dont la deuxième est d’« agir sur les facteurs déterminants pour la santé et le bien-être et rendre les personnes, les familles et les communautés plus responsables à cet égard par des actions de prévention et de promotion ».
L’article 2 de la loi stipule :
« Afin de permettre la réalisation de ces objectifs, la présente loi établit un mode d’organisation des ressources humaines, matérielles et financières destiné à :
1° assurer la participation des personnes et des groupes qu’elles forment au choix des orientations, à l’instauration, à l’amélioration, au développement et à l’administration des services ;
2° favoriser la participation de tous les intervenants des différents secteurs d’activité de la vie collective dont l’action peut avoir un impact sur la santé et le bien-être ;
3° partager les responsabilités entre les organismes publics, les organismes communautaires et les autres intervenants du domaine de la santé et des services sociaux ;
4° rendre accessibles des services continus de façon à répondre aux besoins des individus, des familles et des groupes aux plans physique, psychique et social ;
5° tenir compte des particularités géographiques, linguistiques, socio-culturelles, ethno-culturelles et socio-économiques des régions ;
6° favoriser, compte tenu des ressources, l’accessibilité à des services de santé et à des services sociaux selon des modes de communication adaptés aux limitations fonctionnelles des personnes ;
7° favoriser, compte tenu des ressources, l’accessibilité à des services de santé et des services sociaux, dans leur langue, pour les personnes des différentes communautés culturelles du Québec ;
8° favoriser la prestation efficace et efficiente de services de santé et de services sociaux, dans le respect des droits des usagers de ces services ;
8.1° assurer aux usagers la prestation sécuritaire de services de santé et de services sociaux ;
9° assurer la participation des ressources humaines des établissements [...] au choix des orientations de ces établissements et à la détermination de leurs priorités ;
10° promouvoir la recherche et l’enseignement de façon à mieux répondre aux besoins de la population. »
La lecture de ces dix objectifs structurels montre que le législateur avait bien compris le lien entre santé et démocratie.
Et on cherche en vain en quoi les nouveaux conseils d’administration issus des fusions du Projet de loi 10, dont la majorité des membres sont nommés par le ministre, peuvent représenter autre chose que les volontés du ministre lui-même.
Ce n’est sans doute pas pour rien que le ministre Barrette a déclaré qu’au terme de sa réforme, il faudrait réécrire la LSSSS.
Agir sur les déterminants de la santé par la prévention et la promotion, en favorisant la participation des personnes et des groupes qu’elles forment et en tenant compte entre autres des particularités géographiques, tout ça ne cadre ni avec le Projet de loi 10 ni avec les autres lois composant sa réforme qui vise plutôt l’ouverture au marché, à la sous-traitance et à la privatisation de notre système public de soins de santé et de services sociaux.
Mais ça, les médias n’en parlent pas. On nous parle plutôt du crémage à gâteau...