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Décembre 2020
Introduction
Si l’économie est souvent présentée comme un domaine réservé aux experts, l’économie financière l’est sans doute encore plus. Le fait qu’on l’oppose souvent à l’économie dite « réelle » renforce d’ailleurs l’image d’un secteur déconnecté des préoccupations quotidiennes des citoyen·ne·s ordinaires et réservé aux professionnels du domaine. Le décalage que l’on observe depuis le début de la pandémie de COVID-19 entre les performances boursières de certaines entreprises et les difficultés qui frappent plusieurs secteurs d’activité, par exemple, semble conforter cette idée de « déconnexion ».
L’économie financière occupe pourtant une fonction névralgique dans le système économique capitaliste et affecte de différentes manières les salarié·e·s et les ménages en général. Depuis quelques années, on parle de « financiarisation » de l’économie pour désigner la position dominante qu’ont acquise les acteurs de la finance et les changements socioéconomiques que le poids accru de ce secteur a entraînés. La crise économique de 2008, qui avait comme on le verra plus tard des origines financières, aura d’ailleurs donné lieu à de nombreux débats sur le pouvoir démesuré qu’avaient acquis certains acteurs financiers et conduit à des ajustements réglementaires censés prévenir de futures crises.
Plus d’une décennie plus tard, les préoccupations de l’époque se sont quelque peu estompées à la faveur de la reprise économique qui a suivi la crise. Pourtant, les enjeux soulevés par la financiarisation de l’économie sont encore bien présents. Comme nous le verrons tout au long de cette brochure, la financiarisation de l’économie se manifeste à travers une variété de phénomènes qui touchent tant le secteur financier (multiplication des innovations financières telles que la titrisation des créances hypothécaires) que les entreprises (croissance de l’investissement spéculatif au détriment des investissements productifs, hausse de la rémunération des dirigeants), les individus (transformation des régimes de retraite, hausse de l’endettement des ménages) et même les États (financement des dépenses publiques via l’utilisation d’outils financiers). La financiarisation est en outre associée à d’autres phénomènes économiques tels que l’accroissement des inégalités économiques dans les pays riches, la faible hausse des salaires et le ralentissement de la croissance économique, comme nous le verrons également plus loin.
Pour y voir plus clair, nous proposons d’abord de définir ce qu’est la financiarisation, en présentant certaines des dimensions les plus marquantes de ce régime économique et en retraçant ses origines et son évolution. Dans les sections 2 et 3 de cette brochure, nous nous intéressons aux impacts de la financiarisation sur l’activité économique, plus spécifiquement sur les entreprises et les ménages. Nous nous penchons enfin dans la quatrième section sur la financiarisation de la nature, une tendance qui s’observe depuis quelques années et qui soulève des inquiétudes tant sur le plan économique qu’écologique.
Qu’est-ce que la financiarisation ?
1.1. Une nouvelle variante du capitalisme
1.2. Un phénomène aux origines économiques et politiques
Encadré 1 – Dérégulation en Allemagne et en France
Encadré 2 – La Caisse de dépôt et placement du Québec : un investisseur institutionnel influent
1.3. L’innovation financière
Encadré 3 – La Grèce dans la mire des investisseurs
Encadré 4 – La SCHL, agent de la titrisation au pays
La financiarisation des entreprises
2.1. La poursuite de la valeur actionnariale
Encadré 5 – Les fonds de pension, acteurs-clés de la financiarisation
2.2. Financement via les marchés financiers
2.3. Rémunération liée à la performance financière de l’entreprise
2.4. Des résultats tangibles pour les actionnaires
Encadré 6 – Les impacts de la financiarisation sur l’industrie forestière
L’impact sur l’économie et les ménages
3.1. Des économies fragilisées
Encadré 7 – Délocalisations : économiser pour investir sur les marchés financiers
Encadré 8 – Les pays émergents font les frais de la dérégulation de la finance
3.2. Déséquilibre dans la répartition des revenus 3.3. La contrainte de l’endettement
Encadré 9 – La crise de 2008 : une crise typique du capitalisme financiarisé
Financiarisation de la nature
4.1. La nature vue à travers le spectre de l’économie
Encadré 10 – Les services écosystémiques, un concept largement débattu
4.2. Émergence de la « finance verte »
Encadré 11 – Les banques de compensation
4.3. Une approche à l’efficacité incertaine
Conclusion
La pénétration des logiques financières dans différentes sphères de l’économie et de la société s’est révélée jusqu’ici être un facteur de concentration de la richesse et d’instabilité économique. Cette financiarisation a en effet largement profité aux détenteurs des titres que génère cette course vers la liquidité. La croissance des inégalités dans les économies les plus financiarisées n’est donc pas étrangère à ce phénomène. Pire, les inégalités de revenus alimentent la demande pour des produits financiers qui enrichissent les grandes banques, et accentuent selon un cercle vicieux la part de l’économie financière dans l’ensemble de l’économie.
Ces tendances, qui rendent l’économie plus vulnérable aux crises, plaident non seulement pour un meilleur partage des revenus et de la richesse à travers une fiscalité plus progressive, mais aussi pour une plus grande régulation de la finance par les pouvoirs publics. L’économiste François Morin a proposé à ce sujet de revenir à des taux de change fixes et d’adopter une monnaie commune pour les échanges internationaux afin d’éviter la spéculation sur les devises, mais aussi d’éliminer progressivement certains produits dérivés et de taxer lourdement certaines transactions financières.
La finance étant un acteur incontournable de notre système économique, il apparaît néanmoins essentiel, pour contrer la domination actuelle des banques systémiques, de développer de nouvelles institutions financières gérées de manière démocratique119. Le développement de coopératives financières permettrait de rebâtir un secteur financier au service des besoins économiques des communautés. La création récente en Belgique de NewB, une coopérative bancaire qui veut offrir des services bancaires abordables et du financement pour des entreprises respectueuses des droits de la personne et de l’environnement, constitue sans aucun doute un exemple intéressant à suivre120. Aux États-Unis, les représentantes démocrates Alexandria Ocasio-Cortez et Rachida Tlaib ont déposé à la fin d’octobre 2020 un projet de loi visant à encourager la création de banques publiques par les États ou les municipalités, une initiative qui vise entre autres à faciliter l’accès aux services financiers pour les petites entreprises et les personnes marginalisées.
Par ailleurs, on peut se questionner sur la pertinence pour les États de recourir à des outils financiers pour protéger l’environnement au détriment des outils traditionnels. C’est à se demander si ces innovations financières ne font pas office de diversion en l’absence de plans structurants de lutte contre la crise climatique et de volonté réelle de réduire l’empreinte écologique de nos économies.
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