15 avril 2020 | tiré d’Alternative socialiste
https://alternativesocialiste.org/2020/04/15/pour-un-gel-et-une-annulation-des-loyers-et-des-hypotheques/
La récession dans laquelle s’enfonce l’économie mondiale met à nu les inégalités grandissantes au Canada et ailleurs dans le monde. Uniquement en mars, plus d’un million de personnesont perdu leur emploi selon Statistique Canada. Il s’agit de la pire chute en 40 ans. Au Québec, le nombre s’élève à 290 000, soit environune personne qui travaille sur 15. En quelques jours, la province est passée du plus bas taux de chômage à un des plus hauts au Canada. Et les autorités prévoient des résultats encore pires pour avril et mai.
Depuis le début de la crise du coronavirus, plus de 2,5 millions de Canadiens et de Canadiennes ont rempli une demande de chômage. À cela s’ajoutent les 3,8 millions de personnesayant fait une demande de Prestation canadienne d’urgence. Ces travailleurs et travailleuses doivent maintenant trouver le moyen de payer les produits de première nécessité, dont leurs dépenses de logement.
Une pétition pancanadienne pour l’annulation des loyers du 1er avril a reçu une énorme vague de soutien avec pas moins de 737 000 signatures. Le journal LA PRESSE rapporte qu’au 6 avril, « 46 % des propriétaires de logements au Québec n’avaient pas encore reçu tous leurs loyers du mois ».
Un sursis avant les expulsions
À quelques jours du 1er avril, le premier ministre du Québec, François Legault, a officiellement demandé aux propriétaires de logements d’être conciliants avec les retards de loyers, sans toutefois les y obliger. Certains propriétaires millionnaires – comme le Groupe Sélection qui s’occupe de milliers d’unités pour personnes âgées – ne se sont pas gênés d’être complètement intraitable avec les retards de loyers.
Or, la Régie du logement avait déjà suspendu ses audiences d’expulsions de locataires à la mi-mars. L’odieux des expulsions en temps de crise semble trop risqué à porter. Cette mesure est évidemment la bienvenue. Toutefois, elle ne fait que pelleter en avant un problème déjà criant. Le Québec traversait déjà une crise du logement avant celle de la COVID-19. Des milliers de personnes voient leurs retards de loyer s’accumuler et verront bientôt leur loyer augmenter. Elles ne risquent pas l’expulsion immédiate, mais les expulsions viendront lorsque les mesures d’« assouplissement » seront levées.
Un combat sérieux devra être mené pour obtenir l’aide et les réformes dont nous avons besoin.
Des subventions dans l’intérêt de qui ?
Pour leur paiement de loyer, les entreprises supposément incapablesde le faire ont déjà obtenu une aide financière sans précédent de la part des différents paliers de gouvernement. La Chambre des communes a répondu à l’appel des milieux d’affaires en adoptant un plan de sauvetage qui, tout en apportant une aide limitée aux travailleurs et travailleuses, constitue globalement un renflouement massif pour les entreprises canadiennes. Même chose du côté du Québec où Legault a « débloqué » 2,5 milliards de dollars pour les entreprises, mais s’obstine à saupoudrer ça et là quelques maigres hausses de salaire temporaires pour les « anges gardiens » du réseau de la santé.
Le journal LE DEVOIR rapporte que près de la moitié des Québécois et Québécoises sont à 200$ de l’insolvabilité à la fin de chaque mois. En 2019, leur taux d’endettement a atteint 155% de leurs revenus après impôts. Cet endettement touche surtout les personnes travaillant à bas salaire. Le gouvernement et les patrons leur ont maintenant octroyé des primes de risques, puisque le travail en épicerie, en pharmacie ou en résidence pour personnes âgées est enfin considéré comme essentiel. Mais, pour combien de temps ? Car ces primes sont d’une durée limitée.
Même chose pour l’aide directe de 2 000$/mois offerte à travers la Prestation canadienne d’urgence. Cette aide représente d’ailleurs une somme supérieure à ce que gagnent les personnes travaillant à temps plein au salaire minimum. Cette situation montre clairement l’indécence et l’hypocrisie de leur exploitation en temps normal. Selon le Centre canadien de politiques alternatives, au moins 1,5 million de ménages canadiens ne pourront bientôt plus payer leur loyer. Sans rapport de force organisé collectivement, ces personnes se retrouvent seules face à leur propriétaire.
Organiser la lutte pour le gel et la suspension des loyers
Le 25 mars, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) ont réclamé un pardon pour les retards de paiement du loyer d’avril. Le 31 mars, Québec solidaire a emboîté le pas en suggérant au gouvernement caquiste d’adopter formellement une grâce de 30 jours.
La gravité de la situation exige d’aller plus loin. Les locataires ont besoin de s’organiser, immeuble par immeuble, afin d’exiger le gel du prix des loyers ainsi que leur annulation durant la période de crise ! Différents groupes se sont constitués sur internet pour revendiquer une grève des loyers ou encore un moratoire sur les loyers.
Unir les 1,3 million de ménages locataires au Québec dans une organisation appuyée par le mouvement syndical et Québec solidaire (QS) obligerait le gouvernement à faire les concessions nécessaires. Avec ses dix député·es réparti·es dans quatre régions, QS dispose du poids politique et des ressources en mesure de populariser et d’organiser une campagne nationale de gel et d’annulation des loyers.
Forte de cet appui, une majorité de locataires qui refusait de payer le loyer du 1er mai, puis du 1er juin, forcerait le gouvernement à agir. Quant aux petits propriétaires, comme les propriétaires de maison, ils et elles devraient voir leurs paiements hypothécaires gelés. Au Québec, les petits propriétaires possèdent plus de 80% des logements locatifs. Les grands propriétaires (6 logements et plus) possèdent quant à eux environ 15% du parc locatif. Ce sont ces grands propriétaires immobiliers, les banques et les grandes compagnies qui doivent payer pour la crise de leur système.
Le gel et l’annulation immédiate de tous les paiements de loyer pendant la crise sont des revendications gagnables par l’organisation et la résistance des locataires. Tous les paliers de gouvernement devraient être pressurisés à accepter le non-paiement des loyers courants ainsi que les retards.
Personne ne devrait perdre son logement après avoir perdu son emploi !
La pandémie causée par lecoronavirus nous plonge dans une récession mondiale qui sera bien pire que celle de 2008. On prévoit déjà une hausse du prix des denrées alimentaires au Québec. Malgré la crise, Royal LePage n’entrevoit pas de baisse significative des prix sur le marché immobilier.
Les audiences d’expulsion à la Régie du logement reprendront après la crise sanitaire. Un nombre élevé de dossiers d’expulsion à gérer risque de mettre de la pression sur le système judiciaire, en plus de politiser l’enjeu davantage. La Régie – tout comme le gouvernement – aura l’air de faire le sale boulot des propriétaires après avoir obligé tout le monde à rester chez eux. Même si cette déconfiture se matérialise, nous ne pourrons compter que sur l’organisation des locataires pour résister aux évictions. Des actions collectives seront alors nécessaires. En respectant la distanciation sociale, il est possible d’organiser des manifestations de dizaines, voire de centaines de personnes contre les expulsions.
Les élites encourageront les banques à offrir des prêts à taux préférentiels, voire sans intérêt. C’est insuffisant pour sortir de la crise. L’objectif du mouvement devrait être de forcer l’élite politique à prendre des mesures pour effacer tous les paiements de loyers durant la crise du coronavirus.
Construire un mouvement efficace
Historiquement, organiser les communautés de locataires est la clé d’une « grève des loyers ». Il n’existe pas de raccourci pour gagner, ni dans l’action individuelle ni sur les réseaux sociaux. Pour que les locataires puissent survivre économiquement à cette crise sans avoir à affronter les prochaines années avec une montagne de dettes, l’action collective est la meilleure défense.
Pour qu’un mouvement de gel et d’annulation des loyers puisse aller de l’avant, les immeubles locatifs et les quartiers doivent être organisés les uns à la suite des autres, tout comme un mouvement d’envergure national. On ne décrète pas des solidarités par en haut. Elles se bâtissent sur le terrain, à travers l’élaboration de stratégies et de tactiques avec les personnes directement concernées.
Pour une Alternative socialiste au logement
Nous entrons dans une période de grands bouleversements. Le succès ou l’échec de la période à venir dépend de l’ampleur et du niveau d’organisation que les travailleurs et des travailleuses investiront dans des campagnes militantes répondant à leurs besoins réels. Le capitalisme est un système conçu pour offrir la chance aux propriétaires et aux patrons de tout nous prendre. La crise actuelle permet de les exposer tels qu’ils sont. Les héros de la situation, ce ne sont pas ces millionnaires. Ce sont les infirmières, les employés d’épiceries, les cols bleus, les préposées aux bénéficiaires, etc.
Dans ce monde bouleversé, plusieurs se demanderont : « Pourquoi ai-je donné à mon propriétaire la moitié de mon salaire mensuel pendant des décennies ? » Une telle situation, quasi féodale, est celle du capitalisme du XXIe siècle. Un mouvement fort pour le gel et l’annulation des loyers est nécessaire, non seulement pour répondre à nos besoins immédiats, mais pour construire la lutte pour un monde socialiste.
• Pour un gel des loyers et des hypothèques en 2020 !
• Pour l’annulation de tous les loyers durant la période de crise !
• Pour un moratoire sur toutes les évictions en 2020 !
• Pour la reconversion permanente des hôtels et immeubles inoccupés en refuges pour les personnes itinérantes et victimes de violences conjugales !
• Pour un plan national de construction de logements abordables publics et écoénergétiques !
• Pour la nationalisation du secteur de la construction ! Nos besoins avant leurs profits !
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