photo : Archives CSN 2023
Des votes d’acceptation ou de rejet de ces hypothèses ou propositions d’entente de principe se déroulent en ce moment et le moins que l’on puisse dire est que le tout ne semble pas susciter l’adhésion unanime et l’enthousiasme spontané chez les personnes qui ont fait la grève - entre deux et quatre semaines - et qui auront à vivre avec de nouvelles conditions de travail et de rémunération négociées, et ce jusqu’au 31 mars 2028.
Nous réitérons qu’il est trop tôt pour dresser un bilan de la plus récente ronde de négociation qui n’est pas encore terminée avec la FIQ, le SPGQ, le SFPQ et qui aura à se poursuivre avec la Fédération de la santé du Québec (FSQ-CSQ) dont l’instance fédérative a décidé de rejeter l’hypothèse de proposition d’entente de principe. Ceci étant dit, il est quand même possible de commenter certains aspects qui caractérisent le moment pour le moins contrasté et dissonant qui se déroule sous nos yeux sans nous immiscer dans le processus décisionnel présentement en cours.
Des points de vue opposés se font entendre
Divers points de vue opposés et divergents au sujet de ces ententes survenues à la table centrale (ou intersectorielle) et les tables sectorielles s’expriment par les temps qui courent dans les médias. Certains spécialistes de la négociation nous invitent à croire que les opposant.e.s aux ententes proviennent de ces personnes minoritaires qui appartiennent depuis la nuit des temps au camp des opposant.e.s et que ces personnes ne sont pas représentatives de la « majorité silencieuse ». De quoi s’agit-il vraiment ? Entendons-nous uniquement la voix de ces éternelles personnes insatisfaites ou ne sommes-nous pas plutôt invités à écouter l’expression d’un point de vue critique en provenance de personnes qui sont en mesure de juger par elles-mêmes ce qui peut être bon ou mauvais pour elles ? À vous de vous faire une tête sur le sujet, constatons que la déception semble répandue auprès de certain.e.s salarié.e.s syndiqué.e.s qui comptaient sur la présente ronde de négociation pour améliorer la qualité des services à la population, les conditions d’exercice de leur métier ou de leur profession, leur statut d’emploi, leur rémunération, leur régime de retraite, etc.. Reconnaissons-le, il y a une flopée importante de militant.e.s qui ont pris une part active à l’exercice des moyens de pression et à la grève qui, devant les résultats décevants de la négociation se disent : "Tout ça... pour ça !"
Sur la place qu’occupe certain.e.s personnes dans le débat
Cetain.e.s ex-leaders et ex-négociateurs issus du milieu syndical multiplient leurs interventions dans les médias en se faisant les promoteurs de ces règlements. La courtoisie élémentaire à observer dans la présente période invite plutôt à la retenue et à éviter d’exprimer une opinion susceptible d’influencer le vote. Car, ce ne sont pas les personnes qui ont déjà négocié dans le passé ou qui ont pris une part active au dénouement final des anciennes rondes de négociation qui peuvent vraiment contribuer à changer, à ce moment-ci, les choses pour le mieux. S’il est exact d’affirmer que la présente ronde de négociation ne pouvait pas régler la totalité des problèmes que rencontrent actuellement les salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic, il faut rappeler que la présente ronde de négociation devait servir à implanter de nouvelles solutions et à corriger également les lacunes présentent dans les conventions collectives négociées, dans le passé, par les personnes qui ont fait pression sur leurs membres en vue de les faire accepter. Nulle ou nul n’est en droit de s’ériger en guide suprême en indiquant le voie à suivre ici…
Puisque tout est chiffre, achetons la majorité avec du fric…
À la lumière des informations qui filtrent du processus opaque qui enrobe certaines ententes de principe il semble que pour résoudre les problèmes d’attraction, de recrutement et de rétention de la main-d’œuvre le gouvernement caquiste a décidé d’y aller de primes aux hommes de métier et aux personnels exposés aux quarts de travail les moins attrayants dans le secteur de la santé. Il a aussi accordé des hausses salariales différenciées aux psychologues et à certain.e.s enseignant.e.s. Des ressources supplémentaires ou des primes sont prévues pour certain.e.s enseignant.e.s qui sont confronté.e.s à des problèmes en lien avec la composition de la classe. À quel(s) condition(s) ? Ces conditions sont-elles vraiment applicables et adéquates ? Bref du fric et toujours plus de fric. Cela nous en dit long sur la vision du gouvernement Legault. Pour dégager une majorité en faveur de ses solutions aux multiples crises bien réelles dans les secteurs public et parapublic il met de l’avant des mesures qui à défaut d’ajouter des ressources compétentes ont pour effet de diviser les troupes avec du fric. Tout se passe comme si les négociatrices et les négociateurs du Conseil du trésor se sont dit qu’elles et qu’ils viendraient à bout de la résistance syndicale en divisant les salarié.e.s syndiqué.e.s en bonifiant la rémunération de catégories bien ciblées et au diable pour les autres. Mais qui se fait dire, année après année, par l’Institut de la statistique du Québec, qu’il existe un écart important dans la rémunération entre le secteur public du Québec et les autres services publics (fédéral, municipal et universitaire) ? Qui a à affronter la hausse des prix à l’épicerie, la hausse du coût des loyers, les variations souvent à la hausse des taux hypothécaires, la hausse généralisée du coût de la vie ? Les 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic ou uniquement un certain nombre qui va permettre d’atteindre le 50% plus un dans les assemblées générales qui ont à se prononcer sur les ententes de principe ?
Pythagore et Galillée ont affirmé que « Tout est chiffre » ou « Tout est mathématique ». Inspiré par ces deux grands génies le comptable Legault semble se dire, « Tout est fric » et, par conséquent, toute personne a son prix. Se pourrait-il que le premier ministre Legault se dise dans son for intérieur que la majorité des salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic ne sont que de vulgaires matérialistes qui vont se laisser acheter pour une poignée de dollars supplémentaires ? Bref, qu’il va trouver parmi les salarié.e.s syndiqué.e.s des personnes qui vont continuer à s’éreinter au travail en tenant à bout de bras les services publics en échange ici d’un avancement rapide dans les échelons et là avec une prime ou un salaire différencié ? Qu’en est-il donc maintenant de la valeur réelle de la prestation de travail ? Qu’en est-il donc de la valeur des qualifications de la main-d’œuvre ? Qu’en est-il donc de l’équité salariale ? Qu’en est-il donc de la relativité ? À la lumière du contenu de certaines ententes sectorielles, nous pouvons nous demander ce qu’il est advenu de ces principes à la base d’une rémunération juste. Ces principes de justice et d’équité entre les salarié.e.s ont-ils été négligés ou scrupuleusement observés dans la présente ronde de négociation ?
En quoi au juste la présente ronde de négociation est-elle historique ?
Tôt ou tard nous aurons à donner un nom à la présente ronde de négociation qu’on nous annonçait comme historique au départ en raison de sa coïncidence avec le cinquantième anniversaire du mythique Front commun de 1971-1972. Historique elle l’a été principalement sur le plan du nombre total de salarié.e.s impliqué.e.s par la négociation - plus de 600 000 dont environ 75% sont des femmes - et par le nombre de grévistes des secteurs public et parapublic en arrêt de travail le 23 novembre 2023 (plus de 560 000 grévistes). Mais, dans ce Guiness syndical, ne gommons pas et n’oublions surtout pas, sur le plan numérique, la grève « illégale » de 24 heures du 14 octobre 1976 qui a rassemblé au Canada plus d’un million de travailleuses et de travailleurs et, pour ce qui est de la durée, rappelons-nous la très longue grève des avocat.e.s et notaires de l’État québécois (LANEQ) qui avaient débrayé durant quatre mois en 2016 et 2017. N’oublions pas non plus les arrêts de travail des paramédicaux, en 1976, qui se sont échelonnés sur une période de deux mois. Que dire maintenant de la grève de 23 jours des infirmières et des infirmiers en 1999 ? Ce sont là aussi des moments historiques de la combativité syndicale toutes catégories de salarié.e.s syndiqué.e.s ou de l’ensemble ou encore d’une partie des salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic.
Donc la ronde de négociation 2022-2023 présente certes des aspects historiques, mais pour ce qui est des résultats obtenus, il va falloir se dire qu’ils ne sont pas hélas à la hauteur des attentes de plusieurs membres ni non plus de l’implication exigée et des sacrifices consentis pour atteindre ces résultats décevants aux yeux de plusieurs qui, dans certains cas, ne se rendront probablement pas à leur assemblée générale pour enregistrer leur vote dissident. C’est, pour le moment, le fric pour des groupes bien ciblés qui semble l’emporter sur les principes. Il s’agit donc, à coup sûr, d’une ronde de négociation qui comporte à sa façon, sur le plan historique, ses occasions manquées. Occasions manquées face à la qualité des services et aux conditions de travail, face à l’inflation, face au rattrapage, face à l’amélioration du statut à l’emploi des précaires, face à la bonification du régime de retraite, etc.. Se pourrait-il donc que si la présente ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic passe à l’histoire ce ne soit pas pour les bonnes et les mêmes raisons pour toutes et tous ?
Conclusion
La solution à un problème exige parfois un investissement supplémentaire. Il faut certes ajouter des ressources compétentes dans les services public et parapublic et ces ressources se payent. Mais ce n’est pas nécessairement en accordant une prime ici et là que la personne qui va voir ses gains bonifiés va nécessairement avoir les compétences pour résoudre les problèmes qu’elle affronte dans sa classe ou sur son lieu de travail. Le problème que rencontre une ou un salarié.e sur son lieu de travail exige de la part de l’État patron un apport d’argent supplémentaire, mais, face à certains problèmes, c’est avec l’ajout et le recrutement de ressources professionnelles et compétentes que les problèmes vont se résoudre, pas simplement avec une prime. Il faut donc se dire que dans les secteurs public et parapublic, là où il y a des ententes de principe qui sont entérinées par les assemblées générales, tout n’est pas réglé. Nous risquons, dans quatre ans, d’entendre la même litanie que nous avons entendue au cours des quatorze derniers mois au sujet de l’état « lamentable » ou « déplorable » ou encore« pitoyable » des services public et parapublic.
Durant la négociation des secteurs public et parapublic, le gouvernement Legault a incarné la cible des insatisfactions des salarié.e.s syndiqué.e.s et d’une partie importante de l’opinion publique, la question qui se pose maintenant est la suivante : vers qui sera dirigée l’ineffaçable source d’insatisfaction présente chez trop de salarié.e.s syndiqué.e.s précaires, permanent.e.s ou qui ne sont pas rémunéré.e.s à la hauteur de leur prestation de travail dans ces deux secteurs essentiels à notre qualité de vie en société ?
Lors de la ronde de négociation historique de 1971-1972, les négociateurs syndicaux sont parvenus à pulvériser le cadre monétaire que le gouvernement Bourassa refusait de négocier. La question qui se pose maintenant, dans les secteurs public et parapublic est la suivante : le cadre monétaire du gouvernement caquiste a-t-il été véritablement réduit à néant ? La négociation à la table centrale a-t-elle porté sur l’ampleur de l’enveloppe monétaire que le gouvernement doit consacrer à ses salarié.e.s syndiqué.e.s ou uniquement à sa répartition différenciée parmi les 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s dont environ 75% sont des femmes ? C’est en répondant à ces questions qu’il sera possible de déterminer si nous pouvons qualifier la présente ronde de négociation toujours en cours dans les secteurs public et parapublic de libre négociation ou de négociation factice.
Yvan Perrier
21 janvier 2024
11h30
yvan_perrier@hotmail.com
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