Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Mélenchon réussit sa « prise de la Bastille »

L’« opération démonstration de force » voulue par le Front de gauche et son candidat Jean-Luc Mélenchon est un succès. Plus de 80 000 personnes ont défilé entre la place de la Nation et celle de la Bastille, et c’est depuis le perron de l’opéra que le héraut de « l’autre gauche » a prononcé son discours sur la VIe République.

(tiré de Médipart.fr, 18 mars 2012)

Un discours, de seulement 22 minutes, que Mélenchon a solennisé, comme ses deux précédentes interventions en plein air et devant un auditoire massif (devant la place Stalingrad en juin 2011, puis à la fête de l’Humanité en septembre dernier). Un discours s’inscrivant dans la lignée de ce « socialisme historique » qu’il revendique face à la social-démocratie de François Hollande, il s’est mis dans les pas de 1789, du devoir d’insurrection inscrit dans la Constitution de 1793, de Louise Michel et de la Commune de Paris, Jules Vallès et son Cri du peuple, ou la manifestation féministe du 14 juillet 1935, prélude au Front populaire.

L’ancien sénateur et ministre socialiste a donné le cadre de sa VIe République, en inscrivant son socle sur l’égalité des droits, afin de « refonder la France en refondant la République », via « une assemblée constituante strictement paritaire ». Droit à l’avortement, à la « fin de vie », « droit du sol intégral », « règle verte pour annuler la dette écologique, plutôt que règle d’or »… Voici les exemples d’une constitution Mélenchon, entrevue au cours de son intervention. Le tout conclu d’un « Vive la Sociale ! » aux accents si désirés de Jean Jaurès. Longtemps menaçant, l’orage a finalement réservé ses foudres. « Ça aide d’avoir un mitterrandien comme candidat, se marre un membre du service d’ordre, les forces de l’esprit sont avec nous. »

En coulisses, le conseiller de Paris, Alexis Corbière, l’un des lieutenants du candidat, se réjouit d’apporter la preuve « que la gauche est une langue qui se reparle », voyant en Mélenchon « le grand instituteur de l’histoire de la gauche ». « C’est par l’élévation du débat politique qu’on reconscientise le peuple ! » dit-il, convaincu de la pertinence du modèle latino-américain, « où au second tour on a souvent retrouvé ces dernières années un social-démocrate face à un homme de gauche, qui gagne à la fin ». Pour le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, « cet après-midi va marquer la suite de la campagne en général, pas seulement la nôtre ! Le Front de gauche n’est plus un appoint, mais le moteur de la victoire de la gauche ».

Porte-parole de Mélenchon, Clémentine Autain estime qu’« une journée aussi réussie crédibilise notre élan et nous sort de notre petit carré de l’extrême gauche, dans lequel on voudrait nous enfermer ». Toutefois, elle est consciente de l’effet de curiosité de cette « marche pour la VIe République », ayant fait venir dans le cortège beaucoup de sympathisants, mais pas forcément des électeurs : « L’enjeu des cinq semaines à venir est de transformer cette sympathie en votes sonnants et trébuchants. »

« On retrouve le peuple de gauche »

Avant le discours, le défilé entre Nation et Bastille s’est fait en rangs serrés, derrière un carré de tête uniquement politique, avec toutes les figures du rassemblement à gauche du PS. Outre Mélenchon et Laurent, on retrouve Marie-George Buffet et les animateurs de l’ensemble des menues formations ayant rejoint ce qui ressemble de moins en moins à un simple cartel électoral (lire notre article Le Front de gauche réfléchit déjà à l’après-présidentielle).

De rares slogans ont parcouru sans discontinuer le long du cortège, s’essaimant au gré des ouïes et de la rue du Faubourg-Saint-Antoine. « Résistance ! », le refrain de l’Internationale, « Vite, vite, vite ! une 6e République ! ». En tête de cortège, beaucoup de gens se pressent autour d’un carré sévèrement encordé par deux rangées de membres du service d’ordre. De part et d’autre de la première rangée, les deux gardes du corps alloués par le Service de police des hautes personnalités (SPHP) scrutent les fans, souvent âgés, qui viennent apostropher et féliciter « Jean-Luc ». Celui-ci s’arrête souvent pour se tourner vers eux et les saluer, d’un sourire et d’un poing levé.

Parmi les dizaines de milliers de personnes ayant défilé entre Nation et Bastille, vaguement organisées par régions, beaucoup brandissent des panneaux souvent fabriqués à l’Usine, le siège de campagne du Front de gauche, et massivement distribués. Pancartes appelant à la VIe République, drapeaux du Front de gauche, du PCF ou du Parti de gauche, couleur rouge ultra dominante, ou cartons bricolés à la maison… « Regardez, voici le peuple des lumières », « Je suis un indigné, tendance révolté », « Communards de tous les pays, Mélenchons nous ! » ou encore « Pour préserver le peuple, recyclons 1789 ». D’autres, plus farfelus, avaient amené des branches de bambous avec écrit : « On tient le bambou ».

« On retrouve le peuple de gauche », commente un militant, rue du Faubourg-Saint-Antoine, sourire aux lèvres. Beaucoup de militants : certains déjà rompus aux Bastille-Nation des manifestations syndicales, des salariés de la fonction publique, des syndicalistes, leur chasuble CGT sur le dos, une délégation des Fralib avec leur éléphant en papier mâché appelant au boycott des Thés Eléphant. Mais aussi des curieux, venus « voir ». Ce sont eux que nous avons interrogés, ceux qui ne portaient pas d’autocollants, au fil du cortège.

Comme Bertrand, 30 ans, CPE en Seine-Saint-Denis. A 13 h 30, place de la Nation, il était déjà là, un ami l’a rejoint. Il se dit « électeur de gauche » et fait partie des rares rencontrés vraiment venus pour le mot d’ordre de la journée : la VIe République. « C’est un concept qui m’intéresse depuis Arnaud Montebourg au PS il y a déjà plusieurs années. Il y a une dérive monarchique de la Ve République. Ce n’est pas possible d’élire un président qui rassemble toute la complexité de la société sur son nom. » Il ne sait pas encore pour qui il votera le 22 avril. Mélenchon ou Hollande. Justement à cause du fonctionnement de la Ve République : « Je me sens prisonnier de ça. Je serai obligé d’analyser la dynamique de la campagne pour décider... On a déjà eu le 21 avril. »

Cette phrase, ils sont nombreux à la répéter dans la cortège. Parlant d’un « traumatisme », celui du second tour Chirac-Le Pen. Comme Janine, 51 ans, « électrice de gauche mais pas militante », qui elle aussi « hésite encore » pour le premier tour. « Ce sera sans doute Hollande, il me correspond mieux. Je suis moins radicale que Mélenchon... Et puis il y a l’histoire du vote utile. » Elle est quand même venue, dès 14 heures, place de la Nation. « J’avais envie d’avoir un bain de foule de gens qui avaient envie que ça change. J’avais envie de voir des têtes sympathiques autour de moi. » Sa présence est « symbolique », dit-elle. « Beaucoup de gens comme moi ont envie de sentir une solidarité face à cette droite forte. »

« Depuis Coluche, personne ne m’a convaincu »

Un peu plus loin, Maryse et Catherine, 56 ans toutes deux, ont le même sourire. Comme un soulagement. « Moi je suis là parce que ça m’apporte de la chaleur, du réconfort. Je me sens moins seule, je me sens portée », dit Catherine, qui s’occupe de l’exploitation de salles de cinéma. Electrice de gauche, elle va pourtant sans doute voter Hollande : « J’attends de voir le rapport de force, j’ai qu’une trouille : le 21 avril. Je voterai utile. » Maryse n’est pas d’accord, elle votera Mélenchon, elle se dit plutôt de gauche radicale. « Moi aussi, ça me fait du bien d’être ici. On parle politique, des choses qui nous préoccupent, on n’entend pas de vilains mots, pas d’insultes. »

Dans le cortège, un jeune homme timide qui « vient rarement aux manifs, sauf pour les retraites », et qui n’a jamais été à un meeting politique, dit doucement : « Aujourd’hui, c’est une occasion qui nous est donnée et je n’avais pas envie de la rater. Une occasion de montrer qu’on existe. Là, on nous donne de l’espoir. »

Laurent, 40 ans, osthéopathe à Dunkerque, venu par ses propres moyens, dit presque les mêmes mots : « Aujourd’hui, on a l’impression d’être à un tournant. Je me suis dit : “Je vais pas rater l’histoire.” Avant j’étais en sommeil, le Front de gauche a réveillé l’envie d’être là. » Laurent n’est pas encarté, il votait écolo dans les années 1990, puis souvent blanc car « de gauche mais sans horizon ». Sa dernière manif remonte à 1986, contre les lois Devaquet, quand il était « gosse ». « Je trouvais rien d’intéressant. J’attendais que quelque chose se passe. Là, le Front de gauche parle des choses à la base, il reprend un courant historique, la Commune, la prise de la Bastille. Ça me parle. Je m’y reconnais. »

Thierry, 50 ans, chaudronnier dans l’aéronautique, fait, lui, son baptême du feu. Venu de Château-Thierry, il n’avait jamais manifesté de sa vie. Jamais voté non plus. « En 1981, c’était la première fois que je devais voter. Coluche ne s’est pas présenté, ça m’a dégoûté. Et depuis, personne ne m’a convaincu. » C’est le 21 avril qui l’a réveillé, puis les discussions en famille. « J’ai mon beau-frère qui soutient Mélenchon. Et finalement, dans la famille, on est une dizaine à vouloir voter pour lui... » Thierry a prévu de voter pour la première fois le 22 avril, parce qu’il veut « plus de social, plus d’importance aux hommes qu’à la finance ».

A deux pas, Erick et Ingrid sont frère et sœur, respectivement 25 et 32 ans, et eux votent. Ils parlent vite, sont agacés de la campagne, du débat sur le halal – ils étaient nombreux dimanche, dans le même cas, à dénoncer « la campagne minable » –, et veulent que « ça change ». « Il faut se bouger », dit Ingrid. Pourtant, les manifs, « c’est pas son truc », elle n’en a pas fait depuis le lycée et elle se dit « plutôt centriste à la base ». En 2007, elle avait voté Bayrou. « Mais je suis devenue contre le capitalisme en voyant comment les patrons fonctionnent. » Ingrid est architecte, elle a un « Bac +6 », mais là, elle est au chômage. « J’ai vu la galère. Je gagnais 2 000 euros mais j’ai un 20 m2. » Elle votera Mélenchon, sans hésiter.

Comme son frère, très critique de Hollande : « Il met le costard, un fond bleu (dans ses meetings), il veut se droitiser pour gagner les élections. C’est du délire ! Ce qui compte, c’est les idées, il faut aller au-delà des images. » Et puis tacle sa sœur : « Hollande dit qu’il est contre la finance, et puis dit le contraire en Angleterre. »

Dans un coin de la Bastille, on tombe sur l’entourage proche d’Arnaud Montebourg. Récemment promu par Hollande comme conseiller spécial, le troisième homme de la primaire socialiste a demandé aux responsables de son tout jeune mouvement Rose Réséda « de venir adresser un signe à Jean-Luc », selon les termes de l’un d’eux. Qui explique : « Même si notre candidat est différent, ce qu’il fait est important pour la gauche. »

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