Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
26 septembre 2024
Par Joseph Daher
Charles Perragin - Le Hezbollah libanais pourrait-il se lancer dans une guerre ouverte contre Israël ?
Joseph Daher : Depuis le 7 octobre 2023, le discours et le comportement du Hezbollah démontrent une volonté d’éviter une telle possibilité. Déjà, avant le déclenchement de la guerre de l’État d’Israël contre la bande de Gaza, le renforcement de l’alliance entre le Hezbollah, ses alliés palestiniens et d’autres groupes soutenus par Téhéran dans la région avait pour but de renforcer sa capacité de dissuasion à l’égard d’Israël. Cela s’est matérialisé, après le 7-Octobre, avec la stratégie dite de l’« unité des fronts ». Cependant, les premières cibles du Hezbollah étaient les fermes de Chebaa en territoire libanais occupées et non directement la terre israélienne. Par la suite, il a mené des attaques sur des sites militaires israéliens avec, récemment, une intensité croissante en réaction à l’escalade militaire et des opérations terroristes à partir de la mi-septembre dont le bilan est de 570 morts – en grande majorité des civils, dont 50 enfants, et des milliers de blessés. Les opérations militaires du Hezbollah sont néanmoins restées dans une perspective calculée – et relativement modérée comparée à la violence des attaques israéliennes.
“L’objectif du Hezbollah est d’éviter une guerre totale avec Israël”
Toujours pour ralentir l’entrée dans un conflit ouvert avec des armées au sol ?
Oui, l’objectif du Hezbollah est d’éviter une guerre totale avec Israël et de montrer sa solidarité avec ses alliés politiques palestiniens afin d’être crédible quand il mobilise la rhétorique de la résistance, tout en cherchant à protéger ses intérêts… Ses membres ne se doutaient certainement pas que cela durerait autant et qu’Israël allait monter à un tel niveau d’intensité dans ses attaques contre le Liban. En fin de compte, la guerre génocidaire continue à Gaza, malgré toutes les opérations du Hezbollah. L’unité des fronts devient donc de plus en plus difficile à défendre politiquement au sein de la population libanaise. Enfin, le Hezbollah a encore des capacités militaires, bien plus importantes qu’en 2006 – notamment au niveau de ses missiles –, même si leur communication interne a été affaiblie et un grand nombre de leurs cadres assassinés. Cependant, le coût pour le Liban est de plus en plus lourd, et l’organisation ne veut pas que ce conflit soit instrumentalisé par ses ennemis politiques intérieurs qui en feraient la principale responsable de tous les malheurs du pays.
Le Hezbollah a-t-il encore beaucoup de soutiens au Liban ?
Il reste le parti politique le plus important du pays, avec une base populaire large au sein de la population chiite libanaise, incluant des soutiens au sein des classes populaires, moyennes libérales et des fractions de la bourgeoisie. Mais, en effet, même si une solidarité nationale s’est exprimée avec les civils tués récemment, ce soutien est réduit au sein des populations libanaises des autres confessions. Cela est une différence importante comparée à la guerre israélienne contre le Liban de 2006.
Comment expliquer ce déclin ?
En mai 2008, déjà, l’organisation avait pris les armes contre d’autres Libanais, avec une invasion de certains quartiers de Beyrouth-Ouest et des combats dans d’autres régions, notamment dans le Chouf, après que le gouvernement libanais a annoncé vouloir démanteler son réseau de communication. En plus de ce conflit intérieur, elle a participé plus tard à la répression meurtrière du mouvement populaire syrien aux côtés du régime despotique de Damas, et cela a de nouveau attisé les tensions confessionnelles au Liban. Enfin, le Hezbollah fait partie de tous les gouvernements depuis 2005 et est donc perçu comme l’un des responsables de la crise économique et financière de 2019, comme les autres partis dominants libanais. Son guide religieux, Hassan Nasrallah, a même été très virulent à l’égard du mouvement de protestation cette année-là, l’accusant d’être financé par des ambassades étrangères et envoyant des membres du parti attaquer les manifestants. Ajoutons à cela d’autres incidents confessionnels impliquant le parti et, finalement, les accusations, à l’encontre du Hezbollah principalement, d’obstructions dans l’enquête sur les explosions du port de Beyrouth. Tous ces éléments ont mené à un plus grand isolement, à la fois politique et social de l’organisation. Ce manque de soutien explique en partie la volonté d’éviter une guerre totale contre Israël.
“Le Hezbollah n’est pas un simple parti. Il dispose de sa propre armée, dont la capacité est bien supérieure à l’armée libanaise, et est très certainement le plus gros employeur du pays après l’État”
Entre la guerre, la crise économique et les tensions religieuses, on peut même dire qu’il est inespéré que le « Parti de Dieu » ait encore des soutiens au Liban…
Il faut garder à l’esprit que le Hezbollah n’est pas un simple parti. Contrairement aux autres organisations politiques, il dispose de sa propre armée, très organisée, et dont la capacité est bien supérieure à l’armée libanaise. Ensuite, l’organisation est très certainement le plus gros employeur du pays après l’État. Elle structure la vie de toute une partie de la population chiite à travers sa propre société civile, notamment un réseau d’institutions et organisations de charité offrant une multitude de services sociaux, y compris aux secteurs chiites les plus populaires. Il est intéressant de remarquer que le Hezbollah, comme les autres acteurs politiques dominants libanais n’a, par ailleurs, jamais cherché à construire ou renforcer l’État et particulièrement ses services publics, précisément pour étendre et consolider une base populaire dépendante de ses propres institutions et actions de charité. C’est une raison, parmi d’autres, qui explique la permanence d’une base solide au sein de la population chiite, faute aussi d’alternative politique structurée avec un discours inclusif et promouvant droits démocratiques et sociaux pour tous.
“Le Hezbollah défend une forme d’alliance entre néolibéralisme économique et fondamentalisme religieux”
Quel est le modèle politique du Hezbollah ?
Il défend une forme d’alliance entre néolibéralisme économique et fondamentalisme religieux, alliance qu’on observe ailleurs chez les fondamentalistes chrétiens aux États-Unis, les évangéliques d’Amérique du Sud, les nationalistes hindous, les Frères musulmans… Le Hezbollah a encouragé des processus de privatisation, notamment dans les télécommunications, et voit d’un mauvais œil les idéologies socialistes et communistes qui théorisent la justice sociale et l’émancipation matérielle et intellectuelle des masses populaires. L’idéologie du parti est liée à l’exportation de la Révolution islamique de Khomeini dans les années 1980, où l’on retrouve cette rhétorique de défense des opprimés contre les oppresseurs, les opprimés n’étant cependant pas associés à une classe sociale exploitée. Ce sont plutôt les sympathisants du mouvement en général, y compris les fractions de la bourgeoisie chiite du mouvement, contre tout acteur déclaré comme ennemi ! C’est pour cela que le Hezbollah dispose d’un soutien transclasse. L’idée même de lutte des classes est rejetée parce qu’elle affaiblirait l’oumma, la communauté islamique. D’où l’opposition quasi systématique aux luttes de justice sociale, des mouvements sociaux aux organisations syndicales indépendantes du Liban. Le système politique confessionnel et néolibéral libanais assure ses intérêts, comme à ceux des autres partis politiques dominants, tant que les classes populaires ne s’allient pas au-delà de leurs différences religieuses.
Cette stratégie, étant donné la fragmentation religieuse du pays, ne condamne-t-elle pas le Hezbollah à long terme ?
Depuis le 7 octobre, le parti, tout en gardant la main sur les opérations militaires, a quand même réussi à empêcher que les tensions confessionnelles ne s’enflamment au Liban en tentant d’inclure d’autres partis dans la résistance militaire contre Israël : on connaît déjà le Hamas, et d’autres partis palestiniens comme le Jihad islamique, mais on compte aussi la Jamaa Islamiya(la branche des Frères Musulmans au Liban), et le Parti social nationaliste syrien, qui dispose d’une base populaire multiconfessionnelle. Enfin, n’oublions pas le principal soutien politique, économique et militaire du Hezbollah : l’Iran. Les objectifs stratégiques de Téhéran, notamment depuis le 7 octobre, sont d’éviter une guerre régionale et d’améliorer sa position politique dans la région afin d’être le « meilleur » interlocuteur pour de futures négociations avec les États-Unis, notamment sur le nucléaire et les sanctions, et de garantir ses intérêts politiques et sécuritaires. Un affaiblissement du Hezbollah saperait inévitablement l’influence géopolitique de Téhéran dans la région. Dans ce cadre, la dernière escalade militaire meurtrière de l’armée israélienne contre le Liban constitue un défi et un dilemme pour Téhéran : comment éviter un affaiblissement trop important du Hezbollah sans s’engager dans une confrontation militaire directe avec Israël ?
Joseph Daher, propos recueillis par Charles Perragin
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