Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La longue marche vers l'indépendance

L’élection dont nous venons tout juste de sortir a été l’occasion d’appels à l’unité de tous les partis souverainistes du Québec. Indépendamment de ce qui les distingue dans leurs programmes et singulièrement à propos de la démarche prévue pour l’accès à la souveraineté. Ces derniers jours, le sujet a rebondi dans l’actualité ; jeudi le 27 à l’émission Bazzo.tv sur Télé Québec où J.M. Aussant et M. Bock-Coté en discutaient et dans une lettre de Pierre Dubuc et Marc Laviolette du SPQ Libre.

Leur conception vise à fédérer les souverainistes sur l’objectif unique de l’arrivée à l’indépendance. Et cette fédération devrait se faire en faveur du PQ, le seul des partis souverainiste à être capable, en ce moment, d’accéder au pouvoir (même sans majorité). C’est ce raisonnement qui fait du moyen, en l’occurrence le référendum, un simple fétiche. On se querelle, se sépare sur la détermination d’une date, sur la prééminence de cet élément dans le programme, sur la vitesse avec laquelle on compte faire émerger la question dans la sphère publique.

Ils (je me rends compte qu’il n’y a que des hommes dans ce groupe) reportent bien consciemment tous les autres aspects sociaux et politiques de la nation au lendemain de ce jour. Cela me rappelle étrangement les analyses marxistes-léninistes d’une autre époque qui, parce qu’il ne faisait pas parti de la contradiction principale (renverser le capitalisme), le statut des femmes dans la société était remis à après « le grand jour ».

L’indépendance d’une nation est une question éminemment sérieuse qui doit absolument engager la vaste majorité de sa population. Elle doit y voir aussi clairement que possible, son avantage. Et c’est cette équation qui n’est pas résolue en ce moment au Québec. Il est très clair qu’une grande partie de la population n’adhère pas aux arguments fournis jusqu’ici en faveur de l’indépendance. Sinon, en 1995, les machinations et arguments contre, n’auraient pas eu le succès qu’ils ont eu.

Pour importante et sérieuse qu’elle soit, l’indépendance ne constitue pas (plus ?) en elle-même un projet de société suffisant. Ceux et celles qui en font un objectif singulier le traitent en fait comme un produit vendable par une bonne campagne de marketing. On a vu ce que cela a donné et deux fois plutôt qu’une. N’y a-t-il pas quelques questions à se poser avant de promouvoir les mêmes moyens ? Rejeter à plus tard la lutte de classe qui agit de toute façon partout où la politique s’exprime en ce moment, c’est balayer sous le tapis, faire croire qu’il n’y a pas de barrières inhérentes dans l’avancement de la longue marche vers l’objectif.

Donc, il y a quelques jalons à poser dès maintenant pour fédérer la population dans ce projet. Elle doit d’abord et avant tout, être convaincue de son bon droit. Cet aspect du débat, qui précède celui de l’indépendance et du référendum comme tels, n’est jamais invoqué publiquement par Québec solidaire.

y compris, qui défende ici et ailleurs, notamment au Canada anglais, le droit du peuple québécois à l’auto-détermination. C’est un droit internationalement reconnu qui s’applique ici : nous sommes un peuple ! Et ça n’a rien d’anodin.

Ce peuple, y compris dans ses couches dominées, doit pouvoir minimalement entrevoir une amélioration de son statut, de son sort. Sinon, en bon québécois c’est changer quatre trente sous pour….moins d’une piastre peut-être. Il doit aussi avoir droit à la parole sur ce qui se prépare et doit advenir. La démocratie libérale qui prévaut en ce moment l’en prive. Jusqu’à maintenant, les débats concrets et les arrangements dans la lutte pour l’indépendance se sont tenus principalement entre les fractions dominantes de la société. Il faut élargir ce cercle et le pouvoir qu’il comporte.

Ms Dubuc et Laviolette sont très inquiets des pressions que pourrait subir une éventuelle assemblée constituante. Est-ce que ces pressions n’ont pas joué antérieurement et ne jouent-elles pas encore en ce moment ? Qu’elle que soit la formule elles seront à l’action. Il est difficile d’entrevoir un moment où les fédéralistes de tout poil accepteront que le Québec se prononce sur son statut. Et qui pense, un seul instant, que les États-Unis resteront bien tranquilles à la frontière du Vermont et de l’État de New-York pour admirer notre audace ? Est-ce que, dans de telles circonstances l’appui populaire ne sera pas aussi important que celui de tous les entrepreneurs et financiers du cru ? Pour qui a vu le film de Ken Loach, Le vent se lève, (The Wind that Shakes the Barley, 2006) impossible de ne pas être tentéE de transposer cet épisode de la lutte pour l’indépendance de l’Irlande à notre propre situation à venir. En sommes nous vraiment conscientEs ? Comment nous y préparons-nous ? Comment nous présentons-nous devant la population avec ces dures réalités possibles sinon probables ? Mme Marois avait soulevé un tollé chez les péquistes il y a quelques années lorsqu’elle avait osé dire que l’indépendance soulèverait des remous…..Nous sommes lancéEs dans un combat exaltant mais semé d’embuches importantes dont on ne peut pas faire l’économie.

Il faut déterminer les contours du Québec indépendant. Serons-nous dans un régime présidentiel ou parlementaire ? Ça n’a rien d’anodin ni de facile et c’est un aspect fondamental du projet. Le fameux vote proportionnel sera-t-il le mode électoral établi ? C’est un des moyens d’assurer la présence au parlement de toutes les tendances et de toutes les couches sociales présentes dans le pays. La détermination des droits fondamentaux de parole, de religion, des femmes, des minorités dont les Anglophones, les InnuitEs et AmérindienNEs du Québec, des handicapéEs, etc. etc. doit être assumée. La propriété des richesses naturelles, les rapports avec l’étranger, la diplomatie, les droits à la syndicalisation et à la grève, etc. etc. Il est impératif qu’au moins les bases constitutionnelles en soient dessinées avant un vote formel sur l’indépendance. Ce n’est qu’ainsi que la population pourra se prononcer de façon éclairée et soutenir le projet jusqu’au bout.

La constituante ouvre le champ à tous et toutes sur l’ensemble de ces questions et à bien d’autres encore. Il se peut que ce soit un lieu de division mais il est fort probable que ce soit plutôt un lieu de consolidation des liens et d’évolution des mentalités et des opinions. Ses travaux seront longs et ardus mais vaut mieux en passer par là que de reporter tous ces débats et toutes ces décisions fondamentales à après l’indépendance alors qu’il faudra surtout s’atteler à consolider la nouvelle société qui sera bien fragile. Sauf miracle, bien sûr !

Je ne répondrai pas ici, en détail, aux attaques de Ms Laviolette et Dubuc à l’adresse de Québec Solidaire. Le parti le fera lui-même s’il le juge à propos. Personnellement, je considère qu’elles découlent plus de leur approche strictement opérationnelle du projet d’indépendance que de quoi que ce soit d’autre. Il leur est difficile, dans ces circonstances de voir que réfléchir au projet, en discuter, travailler à lui assurer les appuis populaires les plus larges possibles ne signifie pas hésiter et s’aplatir. Surtout pas devant la constitution canadienne actuelle.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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