Cette aide était conditionnée à l’acceptation d’une liste de « réformes » que le gouvernement grec devait s’engager à mettre en œuvre. Cette liste devait, dans un premier temps, recevoir l’aval (par téléconférence) de l’Eurogroupe. Elle devait, ensuite, être acceptée par les différents parlements des États de la zone euro qui seront consultés, notamment le Bundestag. Elle devait, enfin, être acceptée, fin avril, par les différentes institutions européennes concernées : Commission, BCE, Conseil des chefs d’États et de gouvernements.
La première étape de ce marathon imposé à la Grèce a été franchie, lundi 24 février. L’Eurogroupe a considéré que la liste fournie par la Grèce était un point de départ acceptable même s’il s’agissait « juste d’un premier pas » et que les mesures envisagées doivent être détaillées et chiffrées. L’Eurogroupe a, ainsi, donné le feu orange à quatre mois de financement supplémentaires de la Grèce par l’Union européenne. Le FMI, de son côté, a déclaré que cette liste manquait d’assurances claires.
L’accord du 20 février
La signature de cet accord a fait l’objet de concessions de part et d’autre, mais celles du gouvernement grec sont les plus importantes.
- Les concessions faites par le ministre Yanis Varoufakis :
L’existence d’une crise humanitaire en Grèce et de la nécessité d’y répondre n’a pas été reconnue par l’Eurogroupe. L’UE s’est donc refusée à financer l’accès des plus démunis à l’eau, l’énergie ou à la santé. La Grèce devra trouver le moyen d’y faire face, sans augmenter pour autant son déficit budgétaire.
Le communiqué de l’Eurogroupe interdit de revenir unilatéralement sur les mesures imposées par la « Troïka » (augmentation de la TVA, baisse du salaire minimum, privatisations…)
La Grèce n’en a pas terminé avec le mémorandum, même si ce terme a fait, formellement, place à celui d’ « arrangements actuels ». La logique des programmes imposés à la Grèce en 2010 et 2012 est maintenue : l’objectif est d’obliger la Grèce à rembourser sa dette publique et à verser les intérêts dus à ses créanciers, aux dates prévues.
Les objectifs d’« excédents primaires » (excédent budgétaire dégagé avant le paiement des intérêts de la dette publique) sont restés les mêmes pour 2016 : 4,5 % du PIB alors que le gouvernement grec demandait qu’ils soient limités à 1,5 % en 2015 et les années suivantes. Ces objectifs avaient pourtant été fixés au doigt mouillé, en 2012, pour continuer à semer l’illusion que la dette grecque pourrait un jour être remboursée et revenir à 60 % du PIB, comme l’exigent les traités européens. La Grèce et l’Eurogroupe ont des analyses diamétralement opposées de la situation. La Grèce veut diminuer l’austérité, car elle constate que l’austérité étouffe la croissance et que ce déficit de croissance ne permet pas de dégager d’excédents budgétaires suffisants pour diminuer la dette publique. L’Eurogroupe, veut d’abord dégager ces excédents, au prix de coupes dans les dépenses budgétaires, ce qui n’a jamais fait qu’étouffer la croissance, sans permettre de dégager durablement de tels excédents. L’analyse de la réalité grecque, baisse du PIB de 26 % depuis 2009 et augmentation de la dette publique, durant la même période, de 113 % à 176 % du PIB, n’est pas prise en considération par l’Eurogroupe qui continue à s’accrocher à ses dogmes.
La fin de la « Troïka ». Le gouvernement grec a obtenu que le terme ne soit plus employé. Il a été remplacé par « les institutions ». Mais, sur le fond, ce sont toujours ces mêmes institutions (BCE, FMI, UE) qui décident des financements accordés à la Grèce en fonction des « réformes » réalisées. Le long chemin imposé à la Grèce pour faire accepter, d’ici fin avril, la liste de ces réformes l’atteste. Le gouvernement grec pouvait se prévaloir d’un changement notable : la surveillance des « institutions » ne s’exercerait qu’à posteriori, à la différence de celle de la Troïka qui n’hésitait pas à signifier par mail le détail des réformes qui devaient être mises en œuvre. Les nombreux allers-retours entre la Grèce et l’Eurogroupe, lundi 23 février, ont amené le gouvernement grec à remanier plusieurs fois la liste de ses réformes et indiquent que le contrôle a priori des « institutions » n’a pas réellement pris fin. Les « institutions » conservent la possibilité qu’avait la « Troïka » de geler les fonds destinés à la Grèce en se réservant, fin avril, la possibilité de refuser le plan d’Athènes et les financements attenants, une fois que la liste des réformes proposées par le gouvernement Tsipras aura été détaillée. Ce sont toujours elles qui décideront, de nouveau, de l’octroi d’éventuels nouveaux financements à la Grèce, fin juin.
Yanis Varoufakis demandait que les 10,9 milliards d’euros dont disposait le Fonds de stabilité financière hellénique soient mis à la disposition de la Grèce. L’Eurogroupe n’a pas accepté la demande du ministre des Finances Allemand, Wolfgang Schäuble, de dissoudre ce fonds mais en a réservé l’usage à la seule recapitalisation des banques grecques.
Le gouvernement grec demandait une extension du financement de l’UE pendant 6 mois. Il n’a obtenu que quatre mois de financement supplémentaires. Ces deux mois avaient pourtant toute leur importance puisque, en juillet et août, la Grèce devra rembourser 6,7 milliards d’euros à la BCE.
La restructuration de la dette a été refusée et la Grèce a dû renoncer à deux exigences. Elle a d’abord renoncé à lier le remboursement de la dette à la croissance, puis à échanger les titres actuels de la dette publique grecque, détenus par la BCE, contre des titres « perpétuels » dont seuls les intérêts auraient continué à être versés. Cette demande n’avait, pourtant, rien d’extraordinaire : en principe, les titres des dettes publiques d’un État ne sont jamais vraiment remboursés, puisque les États se contentent d’émettre de nouveaux titres pour rembourser ceux qui arrivent à échéance. Mais cette émission de nouveaux emprunts est, justement, ce que ne peut pas se permettre la Grèce, les marchés financiers exigeant d’elle des taux d’intérêt (plus de 10 % aujourd’hui) qu’aucun État ne pourrait assumer.
- Les concessions faites par les 18 autres ministres des Finances de l’Eurogroupe
Ces 18 ministres ont, d’abord, accepté quelques changements d’appellationsque le peuple grec ne supportait plus : « Troïka », « mémorandum », « surveillance a priori » du budget et de la politique grecs.
Ils ont accepté, ensuite, que, sous conditions, l’UE continue à financer la Grèce pendant 4 mois. 4,1 milliards devraient être versés, fin avril, si le plan de réformes d’Athènes, une fois détaillé et précisé, est accepté par les « institutions ».
Ils ont, ensuite, accepté que soient mises en place une réforme fiscale visant l’évasion fiscale (600 milliards d’euros ont trouvé refuge en Suisse, plus de trois fois le PIB annuel) et la taxation des plus hauts revenus. Ce n’était pas, loin de là, la priorité de la Troïka. Elle n’avait jamais demandé la taxation des armateurs (à peu près exonérés d’impôts par la Constitution de 1975 et de multiples amendements qui leur permettaient de disposer de 58 abattements fiscaux différents), ni de l’Eglise orthodoxe (le plus grand propriétaire foncier du pays). La lutte contre l’évasion fiscale n’est toujours pas la priorité d’un des trois membres des « institutions », la Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker qui fut pendant 30 ans le dirigeant d’un pays, le Luxembourg, véritable plaque tournante de cette évasion fiscale dans l’Union européenne. La « Troïka » avait, par contre, imposé la hausse de la TVA de 19 à 23 % et l’instauration d’un impôt foncier particulièrement injuste à l’égard des moins fortunés.
Les coupes budgétaires exigées par la « Troïka » pour bénéficier du financement de l’UE (une nouvelle diminution des pensions les plus basses, de nouvelles coupes dans la Fonction publique et une nouvelle hausse de la TVA) ne sont plus évoquées.
L’excédent primaire exigé en 2015 devra tenir compte de la situation économique de la Grèce et sans doute se situer aux alentours des 1,5 % demandés par le gouvernement grec.
De son côté, la BCE, qui avait lié à la signature d’un compromis entre la Grèce et l’UE, son financement des banques grecques, va de nouveau refinancer plus largement celles-ci. Elle n’acceptait plus en garantie les titres de la dette grecque, sous prétexte qu’ils n’étaient pas bien notés par les agences de notation. Cette notation n’a pas changé mais la BCE les acceptera de nouveau. Elle va également relever son plafond d’octroi de fonds d’urgence (ELA) aux banques grecques. Il était temps : depuis décembre, ce sont plus de 20 milliards d’euros qui ont été retirés des banques grecques. La panique bancaire se rapprochait dangereusement.
La liste des réformes, fournie par la Grèce le 24 février
Une partie du programme de Syriza d’aide aux plus démunis a été préservé, permettant la mise en place de mesures « très ciblées » pour améliorer la couverture sociale et l’accès aux soins, faire face à la pénurie d’eau et d’électricité, de logement et de nourriture. Les emprunteurs ne parvenant plus à rembourser leurs emprunts seront préservés des saisies bancaires. En acceptant ces réformes, l’Eurogroupe a fini par reconnaître, malgré leur refus de considérer l’état d’urgence humanitaire de la Grèce, que le plan de réformes de Syriza avait le droit de répondre à cette urgence. Ils ont ainsi reconnu, publiquement, les effets humains catastrophiques des politiques imposées par la Troïka.
Le programme de Syriza prévoyait le retour au salaire minimum d’avant le mémorandum imposé par la Troïka, et donc une hausse de 22 %. Le compromis se traduit, dans la liste des réformes accepté par l’Eurogroupe, par la mise en place d’une consultation des partenaires sociaux et des institutions européennes et internationales sur « le calendrier et l’ampleur » de la progression de ce salaire minimum, qui se fera « de manière à préserver la compétitivité et les perspectives d’emploi ». La question n’est donc pas tranchée puisque le gouvernement grec et l’UE ont, là encore, des vues diamétralement opposées sur la façon de parvenir à atteindre ces deux objectifs.
Le gouvernement grec pourra mettre en œuvre un programme permettant de freiner les départs en préretraite grâce à un « soutien ciblé » pour les salariés entre 50 et 65 ans.
Les privatisations déjà réalisées ne seront pas remises en cause, pour le plus grand profit des multinationales européennes ou chinoises. Celles qui sont engagées ne pourront se poursuivre que « conformément à la loi ». Les appels d’offre déjà lancés seront donc vérifiés à la loupe pour s’attaquer à la corruption et aux procédures trop rapides qui lèsent l’État grec. Aucun engagement n’est pris pour de nouvelles privatisations, même si celles qui étaient prévues devront être« examinées avec pour objectif de maximiser les bénéfices à long terme pour l’État ».
L’évasion et la fraude fiscale seront combattues. Ce n’était pas la priorité de la « Troïka », même si aujourd’hui, l’Eurogroupe fait comme si cela en avait toujours été une et que, en fin de compte, le gouvernement grec cédait à ses exigences. C’est au contraire, l’Eurogroupe qui est obligé d’accepter une solution aussi évidente mais aussi éloignée de ses préoccupations, sous la pression du gouvernement Tsipras. Les plus hauts revenus, que la « Troïka » avait toujours épargnés, devraient donc être mis à contribution. L’oligarchie va, enfin, devoir payer. Des mesures contre la contrebande d’essence (là encore, les armateurs semblent visés) ou permettant le paiement rapide d’arriérés fiscaux seront mises en place.
Une administration fiscale efficace et la lutte contre la corruption et leclientélisme seront, également, des priorités du gouvernement grec acceptées par l’Eugroupe. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’était le problème ni de la « Troïka » ni des deux dynasties (Papandréou et Caramanlis) et des deux partis (Pasok et Nouvelle démocratie) qui se sont partagés le pouvoir pendant quarante ans. Ils n’avaient pas, non plus, envisagé, comme le prévoit la liste de réformes du gouvernement grec, acceptée par l’Eurogoupe, de ramener le nombre de ministres de 16 à 10 ou de remanier les grilles de la fonction publique pour résorber les distorsions entre les salaires les plus élevés et les plus bas.
Un chemin de crête périlleux
Yanis Varoufakis, Alexis Tsipras et le gouvernent grec se sont battus comme des lions et ont réussi à sauvegarder tout ce qu’il était possible de sauvegarder, au cours du jeu de poker qui se joue depuis un mois et qui va continuer.
- Les cartes de Syriza
La crainte des gouvernements de la zone euro d’un « Grexit », d’une sortie de la Grèce de la zone euro : ce serait l’aveu que l’euro n’est pas irréversible et se reposerait la question de la sortie de cette zone pour chaque pays qui se trouverait confronté à des problèmes équivalents à ceux auxquels s’était heurtée la Grèce en 2010, mais aussi l’Irlande et le Portugal, en 2011.
Le risque d’encourager les marchés financiers à spéculer et de voir, ainsi, secreuser les écarts de taux des dettes publiques, entre les pays du Nord de la zone euro (dont, pour le moment, la France) et les pays périphériques (du Sud et de l’Est) de cette zone.
Le risque qu’une crise bancaire en Grèce ne s’étende à d’autres pays de la zone euro et de l’Union européenne.
La difficulté qu’avait l’Eurogroupe à faire croire, une fois le problème mis publiquement sur la table, que la lutte contre la corruption, le clientélisme, l’évasion et la fraude fiscales ne serait pas un moyen efficace de diminuer le déficit public de la Grèce alors que, au contraire, son efficacité est évidente aux yeux de tous les peuples européens.
- Les cartes des 18
Les 18 autres pays de la zone euro paraissent estimer, sous la houlette de Wolfgang Schäuble, qu’un « Grexit » n’entrainerait pas de crise de l’euro, de spéculation sur les taux des dettes publiques et que le risque d’extension d’une crise bancaire grecque à la zone euro serait bien moindre qu’en 2012.
Le risque d’une crise de l’euro serait, de leur point de vue, moindre depuis l’instauration du Mécanisme européen de Stabilité (MES).
Le risque de spéculation sur taux des dettes publiques, serait, de leur point de vue, limité par la nouvelle politique de « Quantitative Easing » de la BCE, qui permettrait de fournir des liquidités aux banques qui achèteraient (sur le marché secondaire, en bourse et non lors de leur émission) les titres des dettes publiques menacés, brisant ainsi les reins des spéculateurs.
Le risque d’une extension d’une crise bancaire grecque à d’autres pays de la zone euro leur paraît maintenant limité. En 2012, les banques européennes (françaises et allemandes, en particulier) étaient les principales créancières de la dette publique grecque. Une crise du système bancaire grec aurait donc pu entraîner une crise systémique, s’étendant à l’ensemble des banques européennes. À la suite de la restructuration de la dette grecque en 2012, les banques ont su tirer leur épingle du jeu et, moyennant des pertes minimes, réussi à transmettre leurs dettes aux institutions européennes (MES, BCE, Union européenne et États européens), avec l’entière complicité de ces institutions.
- Quelles autres possibilités avait le gouvernement grec ?
Annuler immédiatement et unilatéralement sa dette publique ou, au moins, une partie de cette dette ? Cela aurait eu l’avantage de ne plus avoir à rembourser le principal ni verser d’intérêt pour la partie de la dette qui aurait été annulée. La contrepartie aurait été la fin du financement des banques grecques par la BCE, sans doute une panique bancaire, l’obligation de quitter la zone euro et de revenir à la drachme pour pouvoir recapitaliser le système bancaire grec.
Le retour à la drachme aurait signifié une dévaluation très importante de la valeur de la drachme par rapport à l’euro sur le marché monétaire, et le risque de spéculations à répétition contre une monnaie aussi faible. Cette dévaluation aurait signifié l’obligation de mener une politique de baisse des salaires pour compenser l’augmentation du prix des importations (toujours libellé en euros et en dollars) dans un pays très dépendant de ses importations.
Le gouvernement grec a donc fait le choix de ne pas utiliser immédiatement cette carte pour respecter son engagement de faire le maximum compatible avec ses autres engagements pour rester dans la zone euro. Il se réserve, cependant, le droit de procéder à l’annulation de sa dette publique, comme peut le faire tout État souverain, si l’UE et le FMI l’empêchaient de mettre en œuvre, la politique définie par sa liste de réformes. Yanis Varouvakis a, d’ailleurs, prévenu que si la liste présentée par le gouvernement grec n’était pas acceptée, l’accord du 20 février « était mort ». Cette annulation ne toucherait vraisemblablement pas les créanciers privés de la dette publique grecque (environ 20 % de son montant) pour se réserver la possibilité, à moyen terme, de revenir se financer sur les marchés financiers, mais impacterait la partie de la dette grecque dont les titres sont détenus par le FMI, l’UE, la BCE et les États européens.
Il n’est pas évident que mis devant une telle éventualité, les dirigeants européens ne se décideraient pas à mettre de l’eau dans leur vin pour éviter les risques qu’ils affirment, aujourd’hui, écartés.
Le MES n’aurait absolument pas les moyens de faire face à une crise espagnole et encore moins italienne.
L’efficacité du « Quantitative Easing » de la BCE est limitée par l’attribution des liquidités de la BCE en fonction de l’importance économique des pays de l’Union européenne. Or, ce ne sont pas les taux des titres publics de l’Allemagne qui inspirent le plus de crainte aux marchés financiers.
Il n’est pas évident de savoir où et quand une crise bancaire s’arrête, ni quels seront ses retentissements à moyen terme. Une crise bancaire en Grèce, survenant deux ans après la crise chypriote qui avait vu les déposants payer l’essentiel de la note, rendrait particulièrement nerveux, au moindre incident bancaire, les déposants de toutes les banques européennes.
Les objectifs de l’Eurogroupe
Malgré l’incroyable résistance des dogmes néolibéraux à la réalité, il paraît difficile de penser que l’Eurogroupe ait eu véritablement pour objectif la croissance ou le remboursement de la dette publique grecque.
La croissance ? Le PIB de la Grèce a diminué de 26 %, en 6 ans, mais selon les dernières prévisions de la Commission, la croissance serait de 2,5 % en 2015 et de 3,6 % en 2016 grâce aux politiques d’austérité imposée à la Grèce par la « Troïka », qui auraient fini par porter leurs fruits. Qui peut croire de tels contes de fées, alors que l’investissement est inférieur de 67 % à celui de 2009 et que les prévisions de croissance de l’UE se sont toujours révélées incroyablement fausses avec, pour l’année 2013, par exemple, un écart de 4,7 points entre ces prévisions et la réalité ?
Pendant 6 ans, les politiques imposées à la Grèce avaient pour objectif de réduire sa dette publique. Cette dernière a, en fait, augmenté de 113 % du PIB en 2009 à 176 %, fin 2014. Aucun dirigeant européen ne peut croire sérieusement que la Grèce pourrait consacrer 6 % de son PIB, pendant des dizaines d’années, au service de sa dette. Aucun pays ne le pourrait, et surtout pas la Grèce, dans l’état de crise économique et sociale où l’ont plongée les politiques infligées par la « Troïka » pendant 6 ans.
La situation humanitaire de la Grèce n’a pas non plus été leur principale préoccupation, puisqu’ils ont refusé de reconnaître que la Grèce était en situation d’urgence humanitaire avec 46 % des habitants en au-dessous du seuil de pauvreté, une augmentation de 43 % de la mortalité infantile depuis 2009, un taux de chômage de 26 %, une baisse de 33 % du salaire moyen, 25 % de la population ne disposant plus d’aucune couverture sociale. Aucun pays européen n’avait eu à subir un tel sort depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
L’objectif de l’Eurogroupe et des dirigeants européens est d’empêcher que la Grèce puisse appliquer une politique qui pourrait réussir. Sa réussite viendrait, précisément, de son opposition aux politiques menées par l’UE qui ont échoué partout. Ce serait, pour eux, la pire des catastrophes. Comment pourraient-ils justifier les sacrifices inutiles qu’ils imposent, depuis des années, à leurs populations ?
Ce n’est pas un hasard si les gouvernements les plus acharnés (avec celui d’Angela Merkel) contre la politique que veut mettre en œuvre Syriza sont les pays de la zone euro qui ont imposé l’austérité la plus dure à leurs peuples et qui vont se retrouver, en 2015, confrontés à des échéances électorales décisives.
Les élections législatives se tiendront en novembre en Espagne et le gouvernement de droite de Manuel Rajoy n’a qu’une peur : se trouver confronté à un parti, Podemos, déjà à près de 30 % dans les sondages mais qu’une réussite de Syriza aurait toutes les chances de propulser vers la victoire. Le calendrier est d’autant plus serré que les élections régionales commenceront, en Andalousie, dès le mois prochain.
Les gouvernements de droite en Irlande et au Portugal sont confrontés aux mêmes difficultés avec, pour l’un, la progression du Sinn Féin, pour l’autre la progression d’un bloc unitaire de la gauche.
Une réussite de Syriza poserait, également, problème au gouvernement de Manuel Valls et à François Hollande. Elle serait la preuve qu’un petit pays (moins de 3 % du PIB de la zone euro) peut tenir tête à l’Union européenne dominée par la droite. Comment justifier, alors, que François Hollande, président d’un pays autrement plus puissant économiquement et politiquement, n’ait même pas essayé de résister à la politique de la droite européenne et se soit empressé de faire ratifier, sans en changer un seul mot, le traité Merkel-Sarkozy (le TSCG) qu’il s’était engagé à le renégocier ?
C’est pourquoi l’objectif de l’Union européenne est de soutenir la Grèce comme la corde soutient le pendu. Les multiples étapes nécessaires à l’approbation du plan de réformes du gouvernement grec, le conditionnement des financements de l’UE à la réalisation de ces réformes ont pour fonction d’obliger la Grèce à tresser elle-même cette corde, afin de déconsidérer son gouvernement aux yeux des populations européennes et, en premier lieu, du peuple grec.
Les difficultés de Syriza en Grèce
Le héros de 92 ans de la gauche grecque, qui avait décroché le drapeau nazi de l’Acropole en 1941, Manolis Glezos, a demandé « au peuple grec de lui pardonner d’avoir contribué à l’illusion » en soutenant Syriza. Alexis Tsipras, lui a répondu qu’il n’était « probablement pas bien informé des dures négociations qui se poursuivaient ».
Ce débat ne fait sans doute que commencer en Grèce, et risque de s’accentuer en fonction des difficultés que pourrait rencontrer le gouvernement. Il oppose, en fin de compte, la majorité de Syriza derrière Tsipras à la minorité qui souhaite une annulation immédiate d’une partie de la dette publique et la sortie de la Grèce de la zone euro.
Le tragique isolement de la Grèce
L’isolement de la Grèce est terrible. Aucun pays de la zone euro ne l’a soutenu.Michel Sapin a joué les Ponce Pilate en affirmant « il faut respecter le vote grec et les règles européennes » alors que les deux sont antinomiques. Jean-Christophe Cambadélis qui s’était enthousiasmé de la victoire de Syriza « renforçant le camp de ceux qui veulent réorienter la construction européenne et mettre définitivement fin à l’austérité », est resté très silencieux.
Comment ne pas penser à la politique suivie par Léon Blum lors de la guerre d’Espagne ? Le gouvernement français de Front Populaire s’était prononcé pour la « non intervention ». Il avait, ainsi, permis à Franco de l’emporter et au fascisme de se renforcer dans toute l’Europe. Les circonstances ne sont, évidemment, pas les mêmes aujourd’hui. Il ne faut, cependant, pas sous-estimer les périls qui guetteraient la Grèce si Syriza échouait. L’hypothèse d’une nouvelle dictature des colonels, comme en 1967-1974 ou d’une victoire d’Aube dorée ne serait plus à écarter. Plus globalement, c’est l’extrême-droite qui progresse, partout en Europe, comme le FN en France. Comment appeler à « défendre la République », en France, en se souciant aussi peu de la souveraineté populaire en Grèce ? Le sort de l’Union européenne est lié à celui de la Grèce.
François Hollande doit changer, d’urgence, sa politique européenne et « rejoindre le camp de ceux qui veulent mettre fin à l’austérité en Europe » en appuyant la politique du gouvernement grec. Ce gouvernement d’un petit pays a réussi une chose inouïe : obliger l’UE à négocier ! Elle ne l’avait jamais accepté auparavant. À la différence de François Hollande, Alexis Tsipras a compris qu’il ne suffisait pas de constater les rapports de force, mais qu’il fallait surtout agir pour essayer de les changer.
Cet article a été publié le 27 février 2015