Édition du 24 septembre 2024

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Asie/Proche-Orient

L’attaque israélienne contre le Liban s’inscrit dans une longue histoire et une stratégie de ciblage des civils

La dernière attaque d’Israël contre le Liban par l’explosion de milliers de bipeurs représente une extension de la doctrine Dahiya, qui vise intentionnellement les civils pour envoyer un message politique.

Tiré de l’Agence Média Palestine
18 septembre 2024

Par Jonathan Ofir

Les décombres au sud de Beyrouth, en 2006 après des frappes aériennes israéliennes massives sur la capitale libanaise.

L’attaque massivemenée au Liban contre des appareils électroniques personnels appartenant à des membres du Hezbollah, qui a déjà tué au moins 20 personnes et en a blessé environ 3 000, ne laisse planer aucun doute sur l’action d’Israël. L’attaque qui a commencé mardi s’est poursuivie pendant une deuxième journée, avec de nouveaux rapports faisant état de l’explosion d’autres appareils de communication personnels, tuant au moins neuf personnes et en blessant des dizaines d’autres mercredi, lors des funérailles de personnes qui avaient été tuées la veille lors de la première attaque.

L’attaque en cours, que l’on ne peut que qualifier de terroriste, est sans précédent par son ampleur et sa méthode, mais la nature de cette attaque aveugle est loin d’être unique pour Israël. En fait, la doctrine israélienne consistant à infliger des dommages massifs aux civils porte le nom d’un quartier de Beyrouth, Dahiya, où cette attaque était précisément centrée. Le développement le plus récent marque une avancée choquante dans le mépris total d’Israël pour la vie humaine, mais ce n’est pas nouveau, même si vous ne l’apprendriez jamais en lisant la presse occidentale.

L’interprétation des médias occidentaux

L’équipe du New York Times, composée de Patrick Kingsley, Euan Ward, Ronen Bergman et Michael Levenson, a couvert l’attaque et, bien qu’elle ait désigné Israël comme coupable, elle s’est efforcée d’inclure l’angle de communication manifestement faux d’Israël, à savoir qu’il s’agissait d’une attaque ciblée.

Le Times rapportece qui suit :
« Selon des responsables américains et autres informés de l’attentat, Israël a dissimulé des explosifs dans une cargaison de bipeurs de fabrication taïwanaise importés au Liban. L’explosif, qui ne pèse qu’une ou deux onces, a été inséré à côté de la batterie de chaque bipeur, ont déclaré deux de ces responsables. Les bipeurs, que le Hezbollah avait commandés à la société Gold Apollo de Taïwan, avaient été trafiqués avant d’arriver au Liban, selon certains des responsables. Selon un fonctionnaire, Israël a calculé que le risque de blesser des personnes non affiliées au Hezbollah était faible, compte tenu de la taille de l’explosif ».

Le Times écrit également que « les explosions semblent être la dernière salve dans un conflit entre Israël et le Hezbollah qui s’est intensifié après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre », ce qui donne à cette affaire l’allure d’une simple activité militaire, plutôt que celle d’une attaque meurtrière et manifestement imprécise contre une population civile. Le lanceur d’alerte américain Edward Snowden, cité sur ce site hier, résume ainsi l’objectif et l’impact de l’attaque :
« Ce qu’Israël vient de faire est, quelle que soit la méthode utilisée, imprudent. Ils ont fait exploser un nombre incalculable de personnes qui conduisaient (c’est-à-dire des voitures hors de contrôle), faisaient des courses (vos enfants sont dans la poussette derrière lui dans la file d’attente de la caisse), etc. Il est impossible de les distinguer du terrorisme ».

L’analyste politique principal d’Al Jazeera, Marwan Bishara, fait ce rappel à la réalité, peut-être plus pertinent pour les téléspectateurs occidentaux :
« Pour nos téléspectateurs du monde entier, il est probablement utile de faire un jeu de rôle. Imaginez que 1 200 personnes, travaillant au Pentagone, au département d’État et à la CIA, se fassent exploser un bipeur au visage, au bras et à l’abdomen. Comment pensez-vous que les États-Unis réagiraient à cette situation ? »

Le Times souligne la « longue histoire de l’utilisation de la technologie par Israël pour mener des opérations secrètes contre l’Iran et les groupes soutenus par l’Iran », comme s’il s’agissait d’une réalisation technologique impressionnante. Mais en réalité, pour comprendre ce qu’Israël fait ici, nous devons examiner ses antécédents en matière d’attaques aveugles. En fait, cela n’est pas seulement pertinent d’un point de vue historique, mais aussi d’un point de vue stratégique et géographique.

De l’attaque aveugle au génocide

Le nom de la doctrine Dahiya provient du quartier Dahiya de Beyrouth, qu’Israël a ciblé et rasé pendant la guerre de 2006, un quartier où vivaient de nombreuses familles affiliées au Hezbollah. En 2008, Gadi Eisenkot, alors chef israélien du commandement du Nord (plus tard chef d’état-major et ministre centriste), a inventé la doctrine qui décrit « ce qui arrivera » à tout ennemi qui oserait attaquer Israël :
« Ce qui s’est passé dans le quartier de Dahiya à Beyrouth en 2006 se produira dans tous les villages d’où Israël essuie des tirs… Nous appliquerons une force disproportionnée sur [le village] et y causerons d’importants dégâts et destructions. De notre point de vue, il ne s’agit pas de villages civils, mais de bases militaires ».

Israël a déjà appliqué cette méthode lors de l’attaque de Gaza en 2008 et 2009. Le « rapport Goldstone » des Nations unies de 2009 a conclu qu’Israël avait mené une « attaque délibérément disproportionnée, conçue pour punir, humilier et terroriser une population civile », et a noté que la doctrine Dahiya « semble avoir été précisément ce qui a été mis en pratique ». Je le répète : « Punir, humilier et terroriser ». Ce dernier mot, « terroriser », devrait nous faire réfléchir, surtout dans ce contexte particulier.

Le récent assaut de Gaza a été, à sa manière, la mise en œuvre de cette doctrine dans le cadre d’un génocide à part entière. Ce n’est pas surprenant, puisque la veine des dommages délibérés aux civils en tant que logique de « guerre » fait partie de l’ADN de cette doctrine depuis le début.

Aujourd’hui, Israël fait donc exploser des bipeurs. La probabilité que les médias occidentaux qualifient cette action d’acte de terrorisme est très faible. Cette notion est encore considérée comme radicale lorsqu’il s’agit d’Israël, car la terreur est un terme politique qui n’est réservé qu’aux ennemi·es de l’Occident. Pour les lecteur·ices du New York Times, il s’agit simplement d’une « dernière salve » et non d’une réflexion sur la nature même d’Israël.

Jonathan Ofir, rédacteur chez Mondoweiss, est un musicien, chef d’orchestre et blogueur/écrivain israélien basé au Danemark.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source :Mondoweiss

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