Ce retrait ne saurait en rien constituer un désaveu du travail des auteures, Delphine Abadie, Alain Deneault et William Sacher, ou de l’éditeur. En quelques années d’existence, Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique (Prix Richard-Arès 2008) aura rejoint des milliers de lecteurs. Son analyse du rôle des sociétés canadiennes en Afrique aura permis d’ouvrir un débat nécessaire sur le paradis judiciaire qu’est le Canada pour les entreprises minières mondiales et aura fait réaliser aux CanadieNEes que leur épargne se trouve investie dans ces activités controversées. Les Éditions Écosociété restent convaincues que l’ouvrage Noir Canada méritait d’être publié.
Noir Canada réclame une commission d’enquête indépendante qui ferait la lumière sur les nombreux cas d’abus qui auraient été commis en Afrique, selon une documentation internationale pléthorique. Écosociété et les auteures de Noir Canada continuent de réclamer la tenue d’une telle enquête.
L’aventure de cette publication, c’est trois années et demie de lutte pour la liberté d’expression, la liberté de publier et le droit à l’information, durant lesquelles Écosociété et les auteures de Noir Canada ont reçu le soutien de milliers de citoyennes, de centaines de professeures d’universités, de dizaines de juristes et de nombreuses organisations et personnalités publiques. Les démarches d’Écosociété auront notamment contribué à l’adoption de la Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens au débat public, seule législation du genre en vigueur au Canada. Nous en profitons pour remercier ici toutes les personnes et organismes qui nous ont soutenus depuis le début de cette affaire.
Les Éditions Écosociété entendent continuer leur travail d’éditeur critique, engagé et indépendant. Elles entendent continuer, malgré les menaces qui pèsent sur le livre et la pensée, à se prévaloir de leur liberté d’expression pour éclairer les citoyennes sur un ensemble de questions d’intérêt public. Elles entendent également continuer à publier l’auteur Alain Deneault, dont les écrits constituent une précieuse contribution à la pensée critique. D’ailleurs, elles annoncent d’ores et déjà la parution cet automne de son prochain ouvrage, Faire l’économie de la haine, un recueil de textes exposant les formes culturelles d’une « censure insidieuse » visant à empêcher des raisonnements critiques.
Avec ce règlement, les Éditions Écosociété et les auteures de Noir Canada comptent également se dégager d’un procès de 40 jours et de multiples procédures représentant en soi des coûts financiers, humains et moraux colossaux, malgré la provision pour frais de 143 000 $ que la juge Guylaine Beaugé a ordonné à Barrick Gold de leur verser le 12 août dernier. Elle concluait alors dans son jugement que la poursuite intentée présentait une apparence d’abus.
Si le litige opposant les défendeurs à Barrick Gold est maintenant derrière eux, les Éditions Écosociété et les auteures de Noir Canada font toujours face à une poursuite en diffamation de 5 millions de dollars, intentée par la multinationale Banro en Ontario. Ils sont toujours en attente d’une décision de la Cour suprême du Canada afin de rapatrier la poursuite au Québec, l’Ontario n’ayant pas encore adopté de loi contre les poursuites-bâillons.
Il s’entend qu’un débat urgent doit avoir lieu aujourd’hui sur l’accès à la justice et les coûts faramineux qu’elle implique.
Les auteurs de Noir Canada n’ont sans doute rien fait de plus que le travail auquel on s’attend des penseurs et des chercheurs au sein de chaque collectivité. Derrière la poursuite dont ils sont l’objet, demeure une question fondamentale : peut-on encore être critique dans notre société ? Le pouvoir (et l’argent) doit-il toujours l’emporter sur le droit de savoir, ou du moins sur le droit de s’interroger publiquement ? Au-delà de ce que recouvre la notion d’atteinte à la réputation, c’est donc l’avenir de la pensée qui se jouera ici.
Pierre Noreau, « Le pouvoir…contre le savoir ? »,
Le Devoir, 10 décembre 2010
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Source : Les Éditions Écosociété